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13/05/2022 | FRANCE | N°19MA04104

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 13 mai 2022, 19MA04104


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Campagne Valescure, la société anonyme (SA) Roxim Promotion, la SA Roxim Management et la SA Roxim Finance, ont demandé au tribunal administratif de Toulon :

1°) de condamner l'Etat à verser, au titre des préjudices subis, à la SARL Campagne Valescure la somme de 9 941 137 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la demande et de la capitalisation des intérêts ;

2°) de condamner l'Etat à verser,

au titre des préjudices subis, à la SA Roxim Promotion la somme de 2 750 063,50 euros, assort...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Campagne Valescure, la société anonyme (SA) Roxim Promotion, la SA Roxim Management et la SA Roxim Finance, ont demandé au tribunal administratif de Toulon :

1°) de condamner l'Etat à verser, au titre des préjudices subis, à la SARL Campagne Valescure la somme de 9 941 137 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la demande et de la capitalisation des intérêts ;

2°) de condamner l'Etat à verser, au titre des préjudices subis, à la SA Roxim Promotion la somme de 2 750 063,50 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la demande et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de condamner l'Etat à verser, au titre des préjudices subis, à la SA Roxim Management la somme de 1 555 793 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la demande et de la capitalisation des intérêts ;

4°) de condamner l'Etat à verser, au titre des préjudices subis, à la SA Roxim Finance la somme de 190 305 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la demande et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1500726 du 1er juillet 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistré le 30 août 2019, sous le n° 19MA04104, la société à responsabilité limitée (SARL) Campagne Valescure, la société anonyme (SA) Roxim Promotion, la SA Roxim Management et la SA Roxim Finance représentées par Me Valette-Berthelsen, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 1er juillet 2019 du tribunal administratif de Toulon ;

2°) de condamner l'Etat à verser, au titre des préjudices subis, à la SARL Campagne Valescure la somme de 9 941 137 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la demande de première instance et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de condamner l'Etat à verser, au titre des préjudices subis, à la SA Roxim Promotion la somme de 2 750 063,50 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la demande de première instance et de la capitalisation des intérêts ;

4°) de condamner l'Etat à verser, au titre des préjudices subis, à la SA Roxim Management la somme de 1 555 793 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la demande de première instance et de la capitalisation des intérêts ;

5°) de condamner l'Etat à verser, au titre des préjudices subis, à la SA Roxim Finance la somme de 190 305 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de la demande de première instance et de la capitalisation des intérêts.

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article l. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement est irrégulier dans la mesure où les conclusions du rapporteur public lues à l'audience et le sens des conclusions mises en ligne sur Sagace étaient contradictoires en méconnaissance des dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative et dans la mesure où les conditions de la tenue de l'audience étaient très mauvaises et n'ont pas été compensées par la communication des conclusions en dépit de la demande adressée en ce sens le 19 juin 2019 ;

- le jugement est irrégulier dans la mesure où les pièces du dossier ont été dénaturées ;

- à titre principal, l'Etat a commis une série de fautes de nature à engager sa responsabilité :

* les services de la préfecture du Var ont délibérément refusé d'appliquer le PPRI et ont classé de manière erronée les parcelles acquises par la SARL Campagne Valescure en zone bleue du plan de prévention des risques d'inondation (PPRI), approuvé le 6 mai 2002, alors qu'ils avaient connaissance de la nécessité de classer ces terrains en zone rouge ;

* les services préfectoraux leur ont fourni des renseignements erronés et les ont incitées à poursuivre leur projet ;

* les services préfectoraux n'ont pas exercé le contrôle de légalité requis lors de la délivrance des permis de construire à la société Roxim Management et ont commis sur ce point une faute lourde ;

* ces fautes ont d'ailleurs été relevées par la Cour des comptes ;

* les travaux de protection réalisés par la communauté d'agglomération de Fréjus-Saint-Raphaël et auxquels se référait le PPRI n'étaient pas conformes à l'arrêté préfectoral du

3 août 1999 les prescrivant et n'auraient pas dû permettre un classement de ces parcelles en zone bleue ;

* elles peuvent se prévaloir de l'espérance légitime résultant de la délivrance du permis de construire pour le projet envisagé et du classement des parcelles en zone bleue du PPRI ;

- à titre très subsidiaire, la responsabilité de l'Etat doit être engagée sur le fondement de la responsabilité sans faute au titre de l'indemnisation des servitudes dues par l'administration en application de la jurisprudence " Bithouzet " du Conseil d'Etat ;

- elles ont subi divers préjudices en lien direct et certains avec les fautes et le comportement de l'administration qui sont évalués, pour chacune d'elles, aux sommes respectives de 9 941 137 euros, 2 750 063,50 euros, 1 555 793 euros et 190 305 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- la code de l'urbanisme ;

- la loi n° 87-565 du 22 juillet 1987 modifiée par la loi n° 95-101 du 2 février 1995 ;

- le décret n° 95-1089 du 5 octobre 1995 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me Valette, représentant les sociétés appelantes.

Considérant ce qui suit :

1. La société Campagne Valescure est propriétaire d'un ensemble de parcelles d'une superficie de 25 787 m2, situées sur le territoire de la commune de Fréjus, cadastrées section AW n°s 591 et 742, pour lesquelles la société Roxim Management, associée à la précédente, a obtenu le 23 février 2005 un permis de construire et des permis modificatifs délivrés les 22 février et 18 juillet 2007 en vue de la réalisation d'un projet immobilier comprenant la construction de cinq bâtiments de 176 logements, de voiries, de parcs de stationnement, d'espaces verts et d'une piscine. Le 21 janvier 2005, la société précitée a sollicité, pour la réalisation de ce projet, la délivrance d'une autorisation préfectorale au titre des prescriptions de la loi sur l'eau, qui a été déclaré recevable pour instruction le 24 novembre 2006 et a été soumise à enquête publique par arrêté du 11 décembre 2006. A l'issue de l'instruction, le préfet du Var a, par un arrêté en date du 17 mai 2011, refusé de délivrer l'autorisation sollicitée. Ayant dû abandonner la réalisation de leur projet en l'absence d'une telle autorisation, les sociétés Campagne Valescure, Roxim Promotion, Roxim Management et Roxim Finance ont présenté, sans succès, par courrier du 5 novembre 2014, réceptionné le 12 novembre suivant, une demande préalable tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elles estiment avoir subis à raison de fautes commises par l'Etat et au titre de l'indemnisation des servitudes imposées par ce dernier. Les sociétés précitées ont demandé en conséquence au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à leur verser respectivement les sommes de 9 941 137 euros, 2 750 063,50 euros, 1 555 793 euros et 190 305 euros. Elles relèvent appel du jugement du 1er juillet 2019 par lequel ce tribunal a rejeté leurs demandes.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de les mettre en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public. En revanche, s'il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, la communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.

3. En indiquant aux parties qu'elle conclurait, lors de l'audience prévue le 17 juin 2019 devant le tribunal administratif de Toulon, au " rejet au fond " de la demande, la rapporteure publique les a informées du sens de ses conclusions en indiquant les éléments du dispositif de la décision qu'elle comptait proposer à la formation de jugement d'adopter. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la rapporteure publique n'était pas tenue de communiquer aux parties, préalablement à l'audience, les raisons pour lesquelles elle envisageait de conclure dans le sens qu'elle indiquait ni davantage la circonstance qu'elle entendait conclure à l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat pour écarter ensuite les différents chefs de préjudices. Le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait irrégulier pour méconnaissance des dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, lesquelles n'imposent pas en outre au rapporteur public de communiquer après l'audience ses conclusions quelles qu'aient été les conditions de l'audience, doit, par suite, être écarté.

4. En second lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens invoqués dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Pour demander l'annulation du jugement attaqué, les sociétés requérantes ne peuvent donc utilement se prévaloir de la dénaturation des pièces du dossier dont le tribunal aurait entaché son jugement.

5. Il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le jugement attaqué aurait été rendu au terme d'une procédure irrégulière.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

S'agissant de la responsabilité sans faute :

6. Il y a lieu de rejeter les conclusions introduites par les sociétés requérantes sur ce fondement par adoption des motifs retenus à juste titre par le tribunal aux points 16 et 17 du jugement.

S'agissant des fautes commises par l'Etat dans le classement des parcelles par le plan de prévention des risques d'inondation adopté en 2012 :

7. Au préalable, aux termes du rapport de présentation du plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) " Le Pédégal - Le Valescure ", adopté le 6 mai 2002, les parcelles de terrain concernées appartenant à la société Campagne Valescure ont été classées en zone rouge R2 à l'état naturel et en zone bleue B1 à condition que soient réalisés des travaux de parade autorisés par un arrêté préfectoral du 13 août 1999, consistant en la création d'un bassin écrêteur de crue d'une capacité de 20 000 m3 au lieu-dit " le Castellas ", le recalibrage des digues à l'aval de la route départementale (RD) 100 jusqu'à l'avenue Jean Giono, la construction de divers ouvrages hydrauliques reliant l'hôpital au cours d'eau, le renforcement à raison de 4m3/s de la station de pompage située au droit du garage Citroën, permettant d'évacuer les eaux pluviales débordant en rive gauche et s'accumulant derrière les digues du cours d'eau réaménagé. La zone R2 correspond à une " zone d'expansion des crues " ou une zone " où la hauteur d'eau est comprise entre 1 et 2 m avec des vitesses inférieures à 0,50 m/s, ou une hauteur d'eau comprise entre 0,5 m et 1 m et des vitesses comprises entre 0,5 m/s et 1 m/s " tandis que la zone bleue B1 se définit comme une zone " dite de risque faible, [où] la construction est possible sous certaines conditions ", les hauteurs d'eau devant être inférieures ou égales à un mètre et la vitesse d'eau inférieure à 0,50 m/s.

8. Si les requérantes soutiennent que l'Etat avait connaissance, dès l'approbation, le 6 mai 2002, du plan de prévention des risques d'inondations (PPRI), de l'inopérance des dispositifs mis en place pour parer le risque d'inondation dans la zone concernée eu égard au caractère très exposée de celle-ci et qu'en conséquence un classement en zone rouge R1 aurait dû prévaloir sur le classement conditionnel opéré par les services de l'Etat, il résulte de l'instruction que l'Etat ne disposait pas, au vu des études hydrauliques menées en 1998 et 1999, de données permettant d'affirmer que les dispositifs de protection mis en place en application de l'arrêté du 13 août1999 aurait été insuffisants pour permettre un classement conditionnel en zone B1. La note de présentation du PPRI aux termes de laquelle " il ne peut y avoir de mesures de protection efficaces " dans les zones très exposées n'interdisait pas aux services de l'Etat pour apprécier la pertinence du classement d'une parcelle, de conditionner ce classement, fût-ce en zone rouge, à la réalisation de travaux de protection préalable susceptible de diminuer le risque d'inondation. Par ailleurs, la circonstance que le terrain d'emprise du projet des sociétés requérantes n'aurait pas été inondé lors des évènements pluvieux de juin 2010 est sans incidence sur la nécessaire prise en compte de ces évènements exceptionnels dans le cadre global de la révision du PPRI.

9. Enfin, aucune des pièces produites par les sociétés requérantes ne sont de nature à démontrer qu'elles auraient été incitées par les services de l'Etat à poursuivre leur projet ou qu'elles auraient obtenus de la part des mêmes services des engagements quant à la délivrance d'une autorisation au titre de la loi sur l'eau, la circonstance que les services de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt aient étudié les modalités de protection des garages extérieurs ne pouvant au demeurant, dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme constituant une telle incitation ou un tel engagement.

10. Par suite, le classement des parcelles en cause opéré ab initio par le PPRI n'est entaché d'aucune erreur manifeste d'appréciation et, dès lors, aucune illégalité fautive ne saurait à ce titre être retenue à l'encontre de l'Etat.

S'agissant de la faute résultant de l'absence d'exercice du contrôle de légalité :

11. Les sociétés requérantes se prévalant notamment des observations mentionnées dans le rapport précité de la Cour des comptes de juillet 2012, estiment que le préfet du Var aurait dû exercer le contrôle de légalité lors de la délivrance des permis de construire à la société Roxim Management alors même que l'Etat avait connaissance du risque d'inondation. Toutefois, l'abstention d'un préfet de déférer au tribunal administratif un acte d'une collectivité locale n'est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat que si cette abstention revêt le caractère d'une faute lourde. En l'espèce, à la date à laquelle le permis de construire initial a été délivré par la commune de Fréjus l'illégalité de ce permis n'était pas flagrante dans la mesure où il a été délivré avant les importantes inondations de 2006 et alors que les services compétents de la communauté d'agglomération de Fréjus-Saint-Raphaël avaient engagé la réalisation de travaux de parades destinés à réduire le risque d'inondation. Si les requérantes font par ailleurs valoir que le préfet aurait délibérément décidé de ne pas appliquer le PPRI pour des motifs purement économiques, elles n'établissent pas l'existence de tels motifs. Par suite, les sociétés requérantes n'établissent pas que le préfet du Var aurait commis une faute lourde dans l'exercice du contrôle de légalité.

S'agissant de la faute résultant de " l'espérance légitime " :

12. Il y a lieu de rejeter les conclusions introduites par les sociétés requérantes sur ce fondement par adoption des motifs retenus à juste titre par le tribunal au point 11 du jugement.

S'agissant de la faute résultant de l'absence de vérification par l'Etat de la conformité des travaux réalisés avec les prescriptions de l'arrêté de 1999 :

13. Il résulte de l'instruction que, le 10 août 2006, la communauté d'agglomération de Fréjus-Saint-Raphaël a adressé aux services de la direction départementale de l'équipement du Var les plans de récolement du recalibrage aval du Valescure, entre l'avenue André Léotard et la rue Jean Giono, qui avait consisté à réaliser une section totalement bétonnée de 6 mètres de large et de 2,65 mètres de haut, dans le lit du cours d'eau pour diminuer les inondations sur des terrains rendus constructibles à l'amont de la RD 100. Par courrier du 16 août 2006, le maire de la commune de Fréjus confirmait par ailleurs que le débit de la station de pompage prévu était de 4m3/s. Ces éléments ont alors justifié, selon les termes de l'administration, le classement des parcelles en litige en zone B1. Cependant, il ressort d'un courrier du 15 janvier 2007 du directeur départemental de l'équipement du Var adressé au préfet de ce département que le bassin écrêteur du Valescure réalisé par la communauté d'agglomération présentait en réalité une contenance de seulement 18 000 m3, et que, pendant la crue de 2006, étant au maximum de ses capacités de rétention, il a déversé. Or, ainsi qu'il a été exposé au point 7, l'arrêté du 13 août 1999 prévoyait un bassin écrêteur de 20 000 m3 qui conditionnait notamment le classement des parcelles en litige en zone B1. Si, en défense, la ministre fait valoir que la conformité de ces travaux relevait de la seule compétence de la communauté d'agglomération, il incombait toutefois aux services préfectoraux de s'assurer de la conformité des ouvrages qui avaient été réalisés avant de procéder au classement des parcelles concernées en zone bleu B1 dès lors que ce classement était subordonné à la réalisation effective de travaux respectant les prescriptions de l'arrêté précité. En outre, la ministre ne saurait utilement faire valoir que, même si la capacité du bassin de rétention avait été de 20 000 m3, comme prévu, elle n'aurait pas suffi pour endiguer les inondations des 2 et 3 décembre 2006, ni davantage faire valoir que, par un courrier du 5 février 2010, la commune de Fréjus a informé le préfet que les travaux avaient été réalisés. La société Campagne Valescure et autres sont donc fondées à soutenir qu'en s'absentant de vérifier la complète conformité des ouvrages réalisés avec les prescriptions de l'arrêté préfectoral du 3 août 1999 et en classant les parcelles en zone B1 le 10 août 2006 alors que les travaux réalisés n'étaient pas conformes à celles-ci, l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne les préjudices :

14. Pour être indemnisables, les préjudices invoqués par les sociétés requérantes doivent être en lien direct et certain avec la seule faute qui peut être retenue à l'encontre de l'Etat, telle qu'exposée au point 13, consistant en l'absence de vérification en 2006 de la conformité des travaux de parade réalisés au regard des prescriptions de l'arrêté préfectoral du 3 août 1999 et le classement des parcelles concernées en zone B1 en résultant.

Quant aux préjudices invoqués par la SARL Campagne Valescure :

15. En premier lieu, la société Campagne Valescure se plaint de la perte de valeur vénale des parcelles concernées par le projet immobilier qui n'a pu aboutir en se prévalant de la différence entre le prix initial d'achat, le 13 mai 2005, fixé à 2 698 973 euros hors taxes et sa valeur estimée par un expert privé le 27 octobre 2014 à hauteur de 150 000 euros, soit une perte de valeur de 2 548 973 euros. Cependant il résulte de l'instruction qu'en 2005, les parcelles ont été achetées par la société requérante sans que ces dernières ne soient classées avec certitude en zone B1 constructible dès lors qu'elles étaient, à l'époque de la signature du compromis de vente, classées en zone R2 du PPRI. Ainsi, le préjudice allégué est sans lien direct et certain avec la faute commise par l'administration dans le zonage des parcelles adopté en 2006 dans le PPRI.

16. En deuxième lieu, la société Campagne Valescure évalue la perte des frais engagés dans l'opération au 30 avril 2014 à la somme totale de 1 770 647 euros, ces derniers consistant notamment en des frais d'acquisition du terrain, des honoraires de géomètre, des travaux de terrassement, des frais de publicité ou encore de conseil et d'avocat. Cependant, il est constant que le renoncement au projet par la SARL Valescure Campagne est dû, non pas au classement erroné de ses parcelles au PPRI en 2006, seule faute retenue à l'encontre de l'administration, mais au refus d'" autorisation la loi sur l'eau " qui lui a été ultérieurement opposé. Ladite " autorisation loi sur l'eau " est indépendante de la législation en matière d'urbanisme et la circonstance que le préfet ait commis une erreur dans un document d'urbanisme ne peut avoir d'impact sur le refus opposé postérieurement à une demande d'autorisation fondée sur la loi sur l'eau. Il résulte de l'instruction que le projet initié par les sociétés requérantes impliquait deux incertitudes liées, d'une part, au classement initial en zone rouge R2 et au classement conditionnel en zone B1 après travaux et, d'autre part, à l'obtention d'une " autorisation loi sur l'eau ". Ce refus d'autorisation était une éventualité à prendre en considération et, dès 2007, l'autorité préfectorale a fait part d'une incertitude sur la délivrance de cette dernière, ce qui aurait dû conduire la société à adopter un comportement plus vigilant. Par suite, la faute ainsi commise par la société, qui a engagé les frais précités alors même qu'elle n'avait pas obtenu toutes les autorisations requises pour réaliser le projet envisagé, est, en toute hypothèse, totalement exonératoire de responsabilité.

17. En troisième et dernier lieu, il en va de même du préjudice résultant d'une perte de résultat estimée à 5 050 864 euros, la société Campagne Valescure indiquant avoir commercialisé en partie des appartements, alors même que le projet n'avait pas obtenu toutes les autorisations requises, et du préjudice financier de 570 653 euros arrêté au 31 août 2014, subi à raison de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de réinvestir le résultat qu'elle aurait dû réaliser au plus tard le 31 décembre 2009, alors surtout qu'à cette date le préfet avait sursis à statuer sur le dossier présenté au titre de la législation sur l'eau. En tout état de cause, si l'administration n'avait pas procédé au classement erroné en zone B1 en 2006 et avait maintenu le classement en zone rouge, la société Campagne Valescure n'aurait, de toute façon, pas réalisé de tels bénéfices ou investissements. Elle ne saurait dès lors se prévaloir d'aucun préjudice à ce titre en lien direct et certain avec la faute commise.

Quant aux préjudices invoqués par la société Roxim Promotion :

18. En premier lieu, par contrat du 11 mai 2006, la SARL Campagne Valescure, maître d'ouvrage, a confié à la société Roxim Promotion, la gestion administrative de l'opération et sa commercialisation. Les préjudices allégués relatifs à la perte de frais de personnel engagés pour mener à bien le projet et à la perte de chiffre d'affaires et de résultats liés aux honoraires de gestion et de commercialisation qu'aurait dû engendrer l'opération ainsi que les préjudices financiers résultant de ce que les dépenses de personnel engagées auraient pu être évitées et l'argent placé et de ce qu'elle n'a pu réinvestir le résultat qui n'a pas été encaissé, doivent être écartés, pour les même motifs que ceux précédemment exposés aux points 14 et 15.

19. En second lieu, s'agissant du préjudice d'image et de notoriété, il n'est pas davantage imputable à la faute commise par l'administration, la société s'étant montrée elle-même très imprudente en commercialisant des logements qui n'avaient pas obtenu toutes les autorisations requises et en s'exposant ainsi à des litiges contractuels avec les acheteurs, s'avérant préjudiciables à son image de marque.

Quant aux préjudices invoqués par la SA Roxim Management :

20. Il n'est pas contesté que la société Roxim Management, associée de la SARL Campagne Valescure, a prêté à cette dernière la somme de 4 179 200 euros en vue de financer les dépenses d'acquisition du terrain et de lancement de l'opération. A la suite de l'abandon du projet, la société Roxim Management a renoncé, d'une part, à toute rémunération de ses apports depuis le 1er janvier 2007 alors qu'ils étaient jusqu'alors rémunérés et, d'autre part, partiellement au remboursement de ses apports, sauf retour à meilleure fortune.

21. En premier lieu, la société précitée fait ainsi valoir qu'elle a dû renoncer à la somme de 1 555 793 euros d'intérêts en compte courant au 31 août 2014, mais l'indemnisation de ce préjudice doit être écarté, compte tenu de ce qui a été précédemment exposé. Une telle décision ne relève, au surplus, comme le fait valoir à juste titre l'administration, que d'un choix délibéré des organes dirigeants de la société et ne saurait être imputée directement à la faute commise par les services préfectoraux.

22. En second lieu, si elle invoque aussi un abandon d'apports en compte courant avec clause de retour à meilleure fortune dans l'éventualité où le préjudice de la société Campagne Valescure pour perte de la valeur vénale de l'assiette foncière et des frais engagés ne serait pas reconnu ou seulement partiellement, le préjudice évalué à 3 763 200 euros par la SA Roxim Management est sans lien direct et certain avec la faute retenue.

Quant aux préjudices invoqués par la SA Roxim Finance :

23. Il n'est pas contesté que la SA Roxim Finance, également associée de la SARL Campagne Valescure, a prêté à cette dernière la somme de 511 200 euros pour financer le projet. Elle réclame en conséquence l'indemnisation du préjudice résultant de ce qu'elle a dû renoncer à la somme de 190 305 euros d'intérêts en compte courant au 31 août 2014. Pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés aux points 15,16 et 17, il convient d'écarter ce chef de préjudice, tout comme le préjudice évalué à 407 200 euros résultant d'un abandon d'apports en compte courant avec clause de retour à meilleure fortune.

24. Il résulte de tout ce qui précède que la société à responsabilité limitée (SARL) Campagne Valescure, la société anonyme (SA) Roxim Promotion, la SA Roxim Management et la SA Roxim Finance ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à la réparation de leurs préjudices.

Sur les frais liés au litige :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, tout ou partie de la somme que la société à responsabilité limitée (SARL) Campagne Valescure, la société anonyme (SA) Roxim Promotion, la SA Roxim Management et la SA Roxim Finance demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société à responsabilité limitée (SARL) Campagne Valescure, la société anonyme (SA) Roxim Promotion, la SA Roxim Management et la SA Roxim Finance est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée (SARL) Campagne Valescure, la société anonyme (SA) Roxim Promotion, la SA Roxim Management et la SA Roxim Finance et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée au préfet du Var.

Délibéré après l'audience du 27 avril 2022, où siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- Mme Ciréfice, présidente assesseure,

- M. Prieto, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 mai 2022.

2

N° 19MA04104

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA04104
Date de la décision : 13/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

44-05 Nature et environnement. - Divers régimes protecteurs de l`environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: Mme Virginie CIREFICE
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : SELARL VALETTE-BERTHELSEN

Origine de la décision
Date de l'import : 24/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-05-13;19ma04104 ?
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