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05/05/2022 | FRANCE | N°21MA01367

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre, 05 mai 2022, 21MA01367


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... a demandé au tribunal administratif de Marseille de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 16 février 2021 par lequel la préfète de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an, ainsi que d'enjoindre à l'autorité préfectorale de lui délivrer une

carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " vie privée et familia...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... a demandé au tribunal administratif de Marseille de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler l'arrêté du 16 février 2021 par lequel la préfète de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an, ainsi que d'enjoindre à l'autorité préfectorale de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale " ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de titre de séjour et de lui délivrer dans l'attente un récépissé de première demande de délivrance de titre de séjour.

Par un jugement n° 2101431 du 22 février 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille a admis M. E... à l'aide juridictionnelle provisoire, renvoyé à la formation collégiale du tribunal les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision du 16 février 2021 portant rejet de sa demande de titre de séjour et les conclusions accessoires qui s'y rattachent, annulé les décisions de la même date portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et interdisant à ce dernier le retour sur le territoire pour une durée d'un an, et enjoint à la préfète de l'Ain de réexaminer la situation de l'intéressé dans le délai de deux mois et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée le 8 avril 2021 sous le n° 21MA01367, la préfète de l'Ain demande à la Cour d'annuler ce jugement du 22 février 2021 en tant qu'il a annulé les décisions précitées portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination de M. E... et interdisant à ce dernier le retour sur le territoire pour une durée d'un an, ainsi que lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressé dans le délai de deux mois et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, la décision de refus de séjour n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 313-14-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- en tout état de cause, le magistrat désigné a entaché son jugement d'une erreur de droit dès lors que les dispositions précitées ne sauraient être appliquées à un ressortissant marocain, et qu'elle avait d'ailleurs sollicité une substitution de base légale sur laquelle il n'a pas été statué ;

- les moyens soulevés en première instance par M. E... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2021, M. E..., représenté par la SCP Couderc-Zouine, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat du versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;

- il confirme les moyens soulevés en première instance et ajoute que le préfet n'a pas examiné l'opportunité de lui délivrer un titre séjour portant la mention " vie privée et familiale " et la décision contestée est insuffisamment motivée.

II. Par une requête, enregistrée le 8 avril 2021 sous le n° 21MA01369, la préfète de l'Ain demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille du 22 février 2021 en tant qu'il lui est défavorable.

Elle soutient que les moyens d'annulation sur lesquels est fondée sa requête au fond présentent un caractère sérieux.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2021, M. E..., représenté par la SCP Couderc-Zouine, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat du versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

M. E... a été admis, dans ces deux affaires, à l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 3 septembre 2021 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. La préfète de l'Ain relève appel du jugement du 22 février 2021 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a annulé les décisions du 16 février 2021 portant obligation pour M. E... de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de destination et interdiction à ce dernier de retourner sur le territoire pour une durée d'un an, ainsi que lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressé dans le délai de deux mois et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

I. Sur la jonction :

2. Les requêtes n° 21MA01367 et 21MA01369 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

II. Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le magistrat désigné :

3. Aux termes des dispositions de l'article L. 313-14-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public et à condition qu'il ne vive pas en état de polygamie, la carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2, à l'étranger accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles qui justifie de trois années d'activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État ". Aux termes de l'article R. 313-25 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Pour l'application de l'article L. 313-14-1, l'étranger qui sollicite la délivrance de la carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 présente à l'appui de la demande, outre les pièces prévues aux articles R. 313-1 et R. 311-2-2 : / 1° Les pièces justifiant de trois années d'activité ininterrompue au sein de l'organisme, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration ; / 2° Un rapport établi par le responsable de l'organisme d'accueil mentionné au premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles précisant notamment la nature des missions effectuées et leur volume horaire, permettant de justifier de trois années d'activité ininterrompue exercée en son sein, ainsi que du caractère réel et sérieux de cette activité ; ce rapport précise également les perspectives d'intégration de l'intéressé au regard notamment du niveau de langue, des compétences acquises et le cas échéant, de son projet professionnel ainsi que des éléments tirés de la vie privée et familiale (...) ". Aux termes des dispositions du premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles : " Les organismes assurant l'accueil ainsi que l'hébergement ou le logement de personnes en difficultés et qui ne relèvent pas de l'article L. 312-1 peuvent faire participer ces personnes à des activités d'économie solidaire afin de favoriser leur insertion sociale et professionnelle. ".

4. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger justifie de trois années d'activité ininterrompue dans un organisme de travail solidaire, qu'un rapport soit établi par le responsable de l'organisme d'accueil, qu'il ne vive pas en état de polygamie et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

5. Il ressort de la demande de titre de séjour datée du 18 juin 2020, renseignée par M. E..., ressortissant marocain, qu'il a entendu solliciter un tel titre sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais aussi de celles de l'article L. 313-14-1 du même code au titre de la vie privée et familiale. Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaires prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14-1 précité n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Si un ressortissant marocain souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14-1 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, en son article 3, il peut en revanche s'en prévaloir afin d'obtenir un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

6. Si à la date de la décision attaquée, il n'est pas contesté que M. E... justifie de plus de trois années d'activité ininterrompue au sein d'un organisme d'accueil communautaire et d'activités solidaires, à savoir la communauté Emmaüs, et qu'il ne vit pas en état de polygamie, le rapport rédigé par cette structure se borne à énoncer que l'intéressé a fait preuve de polyvalence et de rigueur en occupant différents postes, comme celui de monteur de meubles, vendeur ou conducteur de charriot élévateur, et qu'il a suivi en 2017 et 2018 diverses formations, notamment celle relative au certificat d'aptitude à la conduite en sécurité, une formation interne sur la manipulation du gerbeur, une formation d'initiation à la fabrication d'un meuble, dont les volumes horaires ne sont pas précisés, et un apprentissage de la langue française dispensé par la Croix rouge. Par ailleurs, si l'intéressé s'est prévalu dans sa demande de titre de séjour d'une promesse d'embauche, la préfète de l'Ain fait valoir sans être contestée que cette dernière a été établie par un compatriote, dont le caractère réel de l'activité n'est pas justifié dès lors que, d'après les renseignements pris auprès de l'URSSAF, ce dernier déclare un chiffre d'affaires nul tous les trimestres depuis le début de son activité, soit le 16 septembre 2019, et n'emploie aucun salarié déclaré. Dans ces conditions, l'intéressé ne justifie d'aucun projet professionnel et n'établit pas avoir, eu égard aux activités précitées et aux seules formations suivies, de réelles perspectives d'intégration. La double circonstance que l'intéressé soit membre du conseil d'administration d'Emmaüs de Servas et que la pétition contre son éloignement aurait recueilli 10 000 signatures sur le site Change.org ne sont pas de nature à infirmer ce constat. En outre, si M. E..., célibataire et sans enfant, soutient qu'il est entré en France au cours de l'année 2013 et qu'il réside continûment sur le territoire français depuis cette date, l'intéressé ne produit aucun élément tangible de présence en France avant le 18 février 2015, date à laquelle il a fait l'objet d'une retenue pour vérification relative au droit au séjour par les services de gendarmerie et a pris la fuite. La préfète de l'Ain soutient sans être contredite qu'il a ensuite fait l'objet le 13 avril 2015 d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, s'est opposé le 29 avril suivant à son éloignement au Maroc et s'est enfui le lendemain du centre de rétention administrative. Le 3 août 2016, une nouvelle obligation de quitter le territoire français sans délai a été prise à son encontre, tandis que le 12 octobre 2016, une assignation à résidence a été édictée mais l'intéressé n'en a pas respecté les obligations. Dans ces conditions, eu égard aux conditions de séjour de l'intéressé sur le territoire national et de l'absence de projet professionnel et de réelles perspectives d'intégration, ainsi que celle de liens familiaux en France et de liens personnels significatifs, la préfète de l'Ain n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant à l'intéressé un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-14-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au titre de la vie privée et familiale, et, par suite, le moyen tiré de l'exception de l'illégalité de ce refus de titre de séjour doit être écarté.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la préfète de l'Ain est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille s'est fondé sur l'illégalité du refus de titre de séjour opposé à M. E..., pour annuler la décision du 16 février 2021 portant obligation pour ce dernier de quitter le territoire français sans délai, ainsi que, par voie de conséquence, celles de la même date fixant le pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

8. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant le tribunal administratif et la Cour.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. E... :

S'agissant du moyen commun aux décisions attaquées :

9. Les décisions attaquées du 16 février 2021 ont été signées par M. C... B..., directeur de la citoyenneté et de l'intégration à la préfecture de l'Ain, qui a reçu délégation à cet effet par arrêté de la préfète de l'Ain du 14 décembre 2020, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial n° 01-2020-209 de la préfecture de l'Ain. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions contestées, doit, par suite, être écarté comme manquant en fait.

S'agissant de la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

10. En premier lieu, contrairement à ce que fait valoir M. E..., et d'une part, l'arrêté litigieux, qui vise les dispositions applicables et expose de manière circonstanciée les motifs pour lesquels un refus de titre de séjour lui a été opposé tant sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que de celles de l'article L. 313-14-1 de ce code, lesquels étaient invoqués dans sa demande de titre de séjour, est suffisamment motivé. D'autre part, la motivation de l'obligation de quitter le territoire français se confond avec celle du refus de titre de séjour dont elle découle nécessairement et n'implique pas, par conséquent, dès lors que ce refus est lui-même motivé, et que les dispositions législatives qui permettent d'assortir le refus de séjour d'une obligation de quitter le territoire français ont été rappelées, de mention spécifique. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la mesure d'éloignement doit être écarté.

11. En deuxième lieu, il ne ressort ni des termes de la décision attaquée, ni d'aucune autre pièce du dossier que la préfète de l'Ain n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M. E... avant de lui refuser la délivrance d'un titre de séjour. Au contraire, la décision attaquée comporte les faits saillants de la situation personnelle et familiale du requérant et de son parcours depuis son arrivée en France. Le moyen tiré de l'erreur de droit en l'absence d'examen particulier de sa situation particulière, notamment au regard de la vie privée et familiale, doit par suite être écarté.

12. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. Si M. E... se prévaut de la durée de son séjour en France et de ses liens amicaux avec les membres de la communauté d'Emmaüs de Servas, il n'établit pas, par les seules pièces produites, avoir tissé des liens d'une intensité et d'une stabilité particulières, ni être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine, le Maroc, où réside encore sa mère selon ses propres déclarations et où il a vécu, selon ses dires, au moins jusqu'à l'âge de vingt ans. S'il mentionne dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal administratif, l'existence d'une compagne de nationalité française, il n'apporte aucun élément sur cette prétendue relation récente, et n'y fait plus référence dans ses écritures en appel. Dans ces conditions, la préfète de l'Ain n'a pas porté au droit de M. E... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision contestée a été prise. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

S'agissant de la décision refusant le bénéfice d'un délai de départ volontaire :

14. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter, à cet effet, un dispositif d'aide au retour dans son pays d'origine. Eu égard à la situation personnelle de l'étranger, l'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) / 3°) S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) / d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (...) ".

15. Si M. E... soutient qu'il présente des garanties de représentation suffisantes et dispose d'une adresse stable et effective, il n'est pas contesté qu'il s'est précédemment soustrait à deux mesures d'éloignement en 2015 et 2016, en s'évadant d'un centre de rétention et en ne respectant pas ses obligations assortissant une mesure d'assignation à résidence. Par suite, le moyen tiré de ce que la préfète aurait méconnu les dispositions précitées en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français à défaut de caractérisation d'un risque de fuite ne peut qu'être écarté.

S'agissant de la légalité de la décision fixant le pays de destination :

16. Le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.

S'agissant de la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :

17. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) / La durée de l'interdiction de retour (...) [est décidée] par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".

18. M. E... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, de sorte que la préfète de l'Ain pouvait, en application des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version alors applicable, prendre une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français.

19. L'interdiction de retour en litige se fonde sur les circonstances que M. E..., célibataire et sans enfant, s'est maintenu de manière irrégulière sur le territoire français depuis plus de cinq ans, qu'il a fait l'objet de deux précédentes mesures d'éloignement non exécutées et qu'il ne démontre pas être isolé dans son pays d'origine où réside encore sa mère. La préfète, qui a pris en compte l'ensemble des critères prévus par la loi, n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'a pas pris une mesure disproportionnée au regard de la situation personnelle et familiale de l'intéressé.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de l'Ain est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a prononcé l'annulation des décisions du 16 février 2021 par lesquelles elle a obligé M. E... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a interdit à ce dernier le retour sur le territoire pour une durée d'un an, ainsi que lui a enjoint de réexaminer la situation de l'intéressé dans le délai de deux mois et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

III. Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution du jugement attaqué :

21. Le présent arrêt statuant au fond, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement attaqué présentées par la préfète de l'Ain, dans sa requête enregistrée sous le n° 21MA01369, sont devenues sans objet. Il n'y a, par suite, pas lieu de statuer sur ces conclusions.

IV. Sur les frais liés au litige :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement, dans chacune des deux affaires susvisées, au conseil de M. E... d'une somme de 1 500 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins de sursis à exécution du jugement attaqué, présentées par la préfète de l'Ain, dans sa requête n° 21MA01369.

Article 2 : Le jugement n° 2101431 du magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille du 22 février 2021 est annulé en tant qu'il a prononcé l'annulation des décisions du 16 février 2021 par lesquelles la préfète de l'Ain a obligé M. E... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a interdit à ce dernier le retour sur le territoire pour une durée d'un an, ainsi qu'a enjoint à l'autorité préfectorale de réexaminer la situation de l'intéressé dans le délai de deux mois et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : La demande de M. E... présentée devant le tribunal administratif tendant à l'annulation des décisions précitées et assortie des conclusions aux fins d'injonction y afférentes est rejetée.

Article 4 : Les conclusions de M. E... présentées en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... E... et à la SCP Couderc-Zouine.

Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.

Délibéré après l'audience du 14 avril 2022, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- Mme Bernabeu, présidente assesseure,

- Mme Mastrantuono, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mai 2022.

2

N° 21MA01367, 21MA01369

nc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA01367
Date de la décision : 05/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Mylène BERNABEU
Rapporteur public ?: Mme COURBON
Avocat(s) : SCP COUDERC-ZOUINE

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-05-05;21ma01367 ?
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