Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'institution de retraite complémentaire Humanis retraite AGIRC-ARRCO, venant aux droits de l'institution de retraite complémentaire ABELIO, a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune du Lavandou à lui verser la somme de 1 050 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait d'une emprise irrégulière sur le terrain AP 89 dont elle est propriétaire.
Par un jugement n° 1802040 du 13 août 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 9 octobre 2020, l'institution de retraite complémentaire Malakoff Humanis AGIRC-ARRCO, venant aux droits de l'institution de retraite complémentaire Humanis retraite AGIRC-ARRCO, représentée par Me Raynaldy, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 13 août 2020 ;
2°) d'ordonner à la commune du Lavandou de mettre fin à l'emprise irrégulière dûment constatée par le tribunal, le cas échéant en lui restituant les parcelles AP n° 89 et AN n° 2, dans un délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard ;
3°) de condamner la commune du Lavandou à lui verser la somme de 1 050 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de cette emprise irrégulière, conformément aux conclusions du rapport d'expertise, à parfaire ;
4°) de mettre à la charge de la commune du Lavandou la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'emprise irrégulière sur sa propriété porte sur la réalisation de 35 emplacements de stationnement créés dans le cadre de l'exécution d'un permis de construire délivré en 1983, sans acquisition ni compensation par la commune, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal ;
- la commune, qui a pris possession de ce terrain depuis les années 90, est responsable des conséquences dommageables de cette emprise irrégulière ;
- l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune devant le tribunal ne peut être accueillie, une situation d'emprise irrégulière qui perdure ne créant aucun droit acquis et le préjudice lié n'étant pas connu de la requérante au moment de son action contentieuse ;
- si le juge administratif ne peut ordonner le transfert de propriété, il peut ordonner qu'il soit mis fin à cette emprise ;
- son préjudice correspond à un trouble de jouissance, évalué par l'expert à raison de 15 000 euros par place de stationnement réalisée, et à actualiser, dont la réalité ne peut être mise en cause par la possibilité laissée verbalement par la commune de disposer d'une vingtaine d'emplacements.
Par ordonnance du 9 juin 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 28 juin 2021,
à 12 heures.
Par une lettre du 16 février 2022, prise sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la Cour a demandé à l'institution de retraite complémentaire si elle possède des lots d'habitation ou d'hébergement au sein de l'immeuble Plein sud sis parcelle AP n° 73 et, le cas échéant, leur nombre, leur contenance et leurs références cadastrales.
Par une lettre du 1er mars 2022, la Cour a informé les parties, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, qu'elle était susceptible de fonder son arrêt sur le moyen, relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de l'appelante tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de mettre fin à l'emprise irrégulière, le cas échéant en lui restituant les parcelles concernées, faute pour ces conclusions d'avoir été précédées d'une demande présentée en ce sens à la commune, et d'avoir été formées devant le tribunal dans le délai de recours contentieux, lequel a couru au plus tard à compter de l'enregistrement de la demande.
Par des observations enregistrées le 3 mars 2022, l'institution de retraite complémentaire Malakoff Humanis AGIRC-ARRCO précise ne plus être propriétaire de lots d'habitation ou d'hébergement au sein de la copropriété Plein sud, et que sa demande d'injonction ne vise qu'à tirer les conséquences d'une emprise dont la réalité et l'irrégularité ne sont pas contestées.
Par une lettre du 3 mars 2022, prise sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la Cour a demandé à l'institution de retraite complémentaire de justifier de la date à laquelle l'institution a cessé d'être propriétaire de lots d'habitation ou
d'hébergement dans la copropriété Plein sud et de communiquer l'acte de cession correspondant ainsi que toute pièce de nature à en justifier.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me Germe, représentant la commune du Lavandou.
L'institution de retraite complémentaire a produit le 11 mars 2022 des pièces nouvelles.
Considérant ce qui suit :
1. L'institution de retraite complémentaire Humanis retraite AGIRC-ARRCO possède sur la commune du Lavandou, quartier de Cavalière Plage, boulevard des Acacias, deux parcelles cadastrées section AN n° 2 et AP n° 89, de 1 435 m2, sur lesquelles elle a fait constater par géomètre-expert le 25 mai 2012, l'aménagement d'aires de stationnement et d'une piste cyclable. Si, sur rapport d'expertise judiciaire du 11 mars 2014, l'institution de retraite complémentaire a assigné devant le juge judiciaire la commune du Lavandou, qu'elle considère comme responsable de ces aménagements réalisés sans titre, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, par un arrêt du 26 mai 2016, confirmé par un arrêt de la Cour de cassation du 18 janvier 2018, a jugé que seule, la juridiction administrative est compétente pour connaître de ces demandes. Par lettre du 10 avril 2018, l'institution de retraite complémentaire a saisi la commune du Lavandou d'une demande d'indemnisation du préjudice lié à l'emprise irrégulière sur ses parcelles, laquelle a été rejetée par décision du maire du 11 mai 2018. Par jugement du 13 août 2020, dont l'institution de retraite complémentaire forme appel, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune du Lavandou à lui verser la somme de 1 050 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à raison de cette emprise irrégulière.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne l'emprise irrégulière :
2. Il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du rapport d'expertise judiciaire du 11 mars 2014, ainsi que de la note de géomètre-expert du 26 mai 2012, que sur la parcelle
AP n° 89, à raison d'une surface de 389 m2, et sur 26 mètres linéaires de la parcelle AN 2, ont été aménagées une partie d'un parking public et d'une piste cyclable, séparés par une haie de lauriers à l'ouest sur 20 m environ, une piste cyclable en partie centrale sur quelque 135 mètres linéaires environ et une partie de piste cyclable et d'espace vert en partie est sur 30 mètres linéaires environ. Si les places de stationnement et l'espace vert ont été aménagés par la commune du Lavandou à compter de 1991, c'est sur le fondement de deux conventions d'occupation des 10 septembre 1999 et 4 octobre 2001 qu'a été réalisée par le département du Var en 2006 la piste cyclable. De tels aménagements, exécutés par des personnes publiques dans un but d'intérêt général, constituent des ouvrages publics.
3. Il résulte en outre de l'instruction que, lors de la délivrance le 15 juin 1983 du permis de construire nécessaire à la transformation en immeuble d'habitation de l'établissement hôtelier sis sur la parcelle actuellement cadastrée section AP n° 73, et prévoyant sur les parcelles en litige la réalisation d'une quarantaine de places de stationnement affectées à ces appartements, la commune, qui projetait alors de réaliser une zone d'aménagement concerté (ZAC), avait informé le notaire chargé de la vente de ces terrains, par lettre du 6 juin 1983, de ce que ceux-ci étaient situés dans les futurs emplacements de voie et de " surlargeurs " nécessaires à la ZAC, dont
765 m2 nécessaires au parking de l'opération. Par cette même lettre, la commune admettait que, dans l'attente de la réalisation de la ZAC, les terrains acquis pour le projet d'habitation seraient utilisés comme emplacements de stationnement de l'opération et s'engageait, en cas d'approbation du dossier de ZAC, et en échange de la cession à son profit de ces terrains pour l'aménagement des voies de la ZAC, à remettre au titulaire du permis de construire un nombre équivalent de places de stationnement dans un rayon de 300 mètres, conformément au règlement de plan d'occupation des sols. Toutefois, il est constant, d'une part, que par jugement du
11 avril 1991, confirmé par décision du Conseil d'Etat du 1er juillet 1994, le tribunal administratif de Nice a annulé la délibération du 26 septembre 1986 par laquelle la commune avait décidé la création de la ZAC et, par voie de conséquence, la délibération du même jour approuvant le plan d'aménagement de cette zone, pour méconnaissance des dispositions du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme alors applicables. D'autre part, les parcelles AN n° 2 et AP n° 89 n'ont jamais été cédées à la commune qui n'a par ailleurs engagé aucune procédure d'acquisition forcée ou d'institution de servitudes d'utilité publique les concernant.
4. Dans ces conditions, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, l'aménagement par la commune du Lavandou, sans droit ni titre, de places de stationnement sur la parcelle AP n° 89, propriété de l'institution de retraite complémentaire, dont celle-ci n'a pas été définitivement dépossédée, présente, non pas le caractère d'une voie de fait comme le soutient l'appelante, mais celui d'une emprise irrégulière dont la commune, propriétaire des ouvrages publics ainsi implantés, est responsable des conséquences dommageables. La circonstance, invoquée par la commune en première instance, que de tels aménagements auraient été rendus possibles par la carence du bénéficiaire du permis de construire du 15 juin 1983 dans son obligation de réaliser lui-même les aires de stationnement destinées à être affectées aux lots d'habitation de l'immeuble implanté sur la parcelle AP n° 73 demeure sans incidence sur l'irrégularité de l'emprise dont la commune est directement l'auteur.
5. En revanche, si par conventions des 10 septembre 1999 et 4 octobre 2001, la commune du Lavandou a mis à la disposition du département du Var les parcelles, propriétés de l'institution de retraite complémentaire, pour la réalisation d'un parcours cyclable, achevé en 2006, il résulte des stipulations de ces conventions que seul, le département du Var demeure propriétaire et maître d'ouvrage de cette piste cyclable et ses annexes, et responsable des dommages liés à leur construction, la commune n'étant conventionnellement responsable que des conséquences de l'entretien et de l'exploitation de ces équipements. Par conséquent, contrairement à ce qu'a considéré le tribunal, la commune, dont la requérante ne soutient ni en première instance ni en appel qu'elle aurait commis une faute en se comportant comme le propriétaire de ces parcelles et en les ayant mises à la disposition du département du Var, ne saurait être tenue responsable des conséquences dommageables de l'emprise irrégulière constituée par l'implantation sur ce tènement d'une piste cyclable.
En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale :
6. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".
7. La prescription quadriennale, qui n'est qu'un mode d'extinction des dettes des collectivités publiques et qui ne peut, par suite, être opposée qu'aux créances que les intéressés entendent faire valoir contre ces collectivités, est sans effet sur les droits réels. Lorsque la créance que le propriétaire d'un terrain faisant l'objet d'une emprise irrégulière entend faire valoir contre la collectivité qui en est l'auteur est relative à l'indemnisation du préjudice subi de ce fait, le délai de prescription quadriennale est susceptible de courir non pas à compter de la décision de justice constatant la créance, mais à la date du fait générateur de cette créance, c'est-à-dire celle de la prise de possession par la collectivité du terrain litigieux. Les droits de créance invoqués par ce propriétaire en vue d'obtenir l'indemnisation de son préjudice doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point 6, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ce préjudice ont été entièrement révélées, ce préjudice étant connu et pouvant être exactement mesuré.
8. Il résulte de l'instruction que la prise de possession par la commune du Lavandou de la parcelles AP n° 89, alors propriété de la CAPAVES, s'est réalisée dès 1991 avec l'aménagement de places de stationnement. En tout état de cause, c'est au plus tard par sa sommation interpellative à l'intention de la commune du Lavandou datée du 16 octobre 2008 que l'institution IPRIS, alors propriétaire des parcelles en litige, a manifesté sa connaissance claire et précise de la nature et de la consistance de l'emprise irrégulière par la commune. Dans la mesure où la présente instance n'a pour objet que de statuer sur les conséquences dommageables de l'emprise irrégulière à laquelle s'est livrée la commune du Lavandou, l'institution de retraite complémentaire, qui vient en dernier lieu aux droits de l'institution IPRIS, ne peut utilement prétendre avoir, à la date du 16 octobre 2008, ignoré les limites et la contenance de cette emprise, au motif que l'implantation précise des aménagements réalisés par le département du Var serait quant à elle l'objet d'une autre instance. Les préjudices qu'invoque la requérante en lien avec cette dépossession et tenant à la privation de propriété, évaluée en fonction de la valeur vénale de chaque emplacement de stationnement dont elle dit avoir été privée, et aux troubles de jouissance, évalués sur la même base, étaient susceptibles d'être connus dans leur existence et leur étendue dès la prise de possession de la parcelle AP n° 89 par la commune du Lavandou procédant à l'aménagement des places de stationnement. Dans ces conditions, la sommation interpellative du 16 octobre 2008, qui n'a ni pour objet ni pour effet de valoir réclamation avec demande de paiement, marque au plus tard le point de départ du délai de prescription quadriennale, laquelle est donc expirée le 1er janvier 2013, le constat de géomètre-expert réalisé le 25 mai 2012 demeurant sans incidence sur le cours de ce délai. Par conséquent, ni l'action en référé expertise formée devant le juge judiciaire le 6 mars 2013, ni l'assignation de la commune devant le juge judiciaire le 19 juin 2014, ni la demande d'indemnisation préalable reçue le 12 avril 2018, toutes formées après le 1er janvier 2013, n'ont pu suspendre ou proroger le délai de prescription. Ainsi que l'oppose la commune du Lavandou en première instance, la créance de l'institution de retraite complémentaire était dès lors prescrite, en 2018, au jour de l'introduction devant le tribunal administratif de Toulon de sa demande indemnitaire.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'institution de retraite complémentaire n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Il ne résulte pas de l'instruction que l'institution de retraite complémentaire aurait saisi la commune du Lavandou, avant d'introduire son recours indemnitaire devant le tribunal administratif ou au cours de la première instance, d'une demande tendant à ce qu'il soit mis fin à l'emprise irrégulière, telle que constatée au point 4, et à ce que lui soient restituées les parcelles ainsi concernées. Ainsi, et en tout état de cause, ses conclusions tendant aux mêmes fins, qui ne sont pas dirigées contre une décision administrative, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, et qui ne peuvent être regardées comme une demande accessoire à ses conclusions indemnitaires, sont irrecevables et doivent, pour ce motif, être rejetées.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'institution de retraite complémentaire Malakoff Humanis AGIRC-ARRCO doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'indemnisation de ses frais d'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'institution de retraite complémentaire Malakoff Humanis AGIRC-ARRCO est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'institution de retraite complémentaire Malakoff Humanis AGIRC-ARRCO et à la commune du Lavandou.
Délibéré après l'audience du 8 mars 2022, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mars 2022.
N° 20MA038262