Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 9 juin 2021 par lequel la préfète du Gard a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office.
Par un jugement n° 2102111 du 5 octobre 2021, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté du 9 juin 2021 de la préfète du Gard.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 octobre 2021 et le 26 janvier 2022, la préfète du Gard demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 octobre 2021 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... en première instance.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la durée du séjour en France de l'intéressé sous une fausse identité ne peut être prise en compte au titre de la vie privée et familiale ;
- il a fait l'objet de plusieurs procédures judiciaires ;
- les autres moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 18 janvier et le 15 février 2022, M. B..., représenté par Me Chabbert Masson, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la préfète du Gard ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la préfète du Gard ne sont pas fondés ;
- l'arrêté contesté méconnaît le premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- il est entaché d'erreur manifeste au regard de sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en conséquence de l'illégalité du refus de séjour ;
- elle méconnaît le 3° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La présidente de la cour a désigné M. Marcovici, président assesseur de la 5ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Mérenne a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. La préfète du Gard fait appel du jugement du 5 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a annulé son arrêté du 9 juin 2021 refusant de délivrer un titre de séjour à M. B..., l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et fixant le pays à destination duquel il est susceptible d'être reconduit d'office.
2. L'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoit que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
3. Lorsque l'autorité compétente envisage de prendre une mesure de retrait d'un titre de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire français, qui prive un étranger du droit au séjour en France, il lui incombe notamment de s'assurer, en prenant en compte l'ensemble des circonstances relatives à la vie privée et familiale de l'intéressé, que cette mesure n'est pas de nature à porter à celle-ci une atteinte disproportionnée. S'il appartient à l'autorité administrative de tenir compte de manœuvres frauduleuses avérées qui, en raison notamment de leur nature, de leur durée et des circonstances dans lesquelles la fraude a été commise, sont susceptibles d'influer sur son appréciation, elle ne saurait se dispenser de prendre en compte les circonstances propres à la vie privée et familiale de l'intéressé postérieures à ces manœuvres au motif qu'elles se rapporteraient à une période entachée par la fraude (CE, 17 oct. 2014, nos 358767, 358788, aux tables).
4. M. B..., ressortissant arménien né en 1978, est entré en France en 2004 avec sa compagne, née en 1980, et leur fille, née en 2003. Sous couvert d'une fausse identité azérie, il a bénéficié, du 16 juillet 2009 au 24 août 2016, de titres de séjour valables un an au titre de sa vie privée et familiale, puis d'une carte de séjour pluriannuelle valable du 25 août 2016 au 24 août 2018. Leur première enfant a effectué l'intégralité de sa scolarité en France. Leur deuxième enfant, née en 2006, est de nationalité française. Ils sont parents d'une troisième enfant, née en 2018. M. B... est gérant d'une épicerie. Sa compagne est directrice adjointe dans une chaîne de magasins. Ainsi qu'il a été dit au point 3, la préfète du Gard ne pouvait se dispenser de prendre en compte la vie privée et familiale constituée en France sous couvert d'une fausse identité. Compte tenu de l'ancrage de la vie privée et familiale de M. B... en France, le refus de renouveler son titre de séjour en raison de cette seule circonstance, dont il n'est d'ailleurs pas établi qu'elle ait eu une influence sur la délivrance des titres de séjour antérieurs, porte à celle-ci une atteinte disproportionnée. Le tribunal administratif a donc retenu à juste titre le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. La préfète du Gard fait également valoir que M. B... a fait l'objet de plusieurs procédures judiciaires. Cependant, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait pris le même arrêté si elle s'était fondée sur ce nouveau motif, invoqué pour la première fois devant le juge administratif.
6. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Gard n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé son arrêté du 9 juin 2021.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative le versement de la somme de 1 000 euros à M. B... au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la préfète du Gard est rejetée.
Article 2 : L'État versera la somme de 1 000 euros à M. B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information à la préfète du Gard.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2022, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Mérenne, premier conseiller,
- Mme Balaresque, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2022.
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No 21MA04197