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21/03/2022 | FRANCE | N°21MA00218

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 21 mars 2022, 21MA00218


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B..., acquéreurs évincés et D... B... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de la décision du 18 avril 2018 par laquelle le maire de Sauvian a décidé de préempter les parcelles cadastrées section AO n°s 2, 3, 4 et section AP n°s 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 35, au prix proposé par le propriétaire, soit 1 372 394,51 euros, au titre des espaces naturels sensibles pour la protection et la mise en valeur environnementale, paysagère et l'ouverture au public du domaine d'Esp

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Par un jugement n° 1802832 du 12 novembre 2020, le tribunal administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B..., acquéreurs évincés et D... B... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier l'annulation de la décision du 18 avril 2018 par laquelle le maire de Sauvian a décidé de préempter les parcelles cadastrées section AO n°s 2, 3, 4 et section AP n°s 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 35, au prix proposé par le propriétaire, soit 1 372 394,51 euros, au titre des espaces naturels sensibles pour la protection et la mise en valeur environnementale, paysagère et l'ouverture au public du domaine d'Espagnac.

Par un jugement n° 1802832 du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 18 avril 2018 et a enjoint au maire de Sauvian de proposer à l'ancien propriétaire, puis, le cas échéant, à l'acquéreur évincé d'acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle.

Procédure devant la Cour :

I- Sous le n° 21MA00218, par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 janvier et 2 novembre 2021, la commune de Sauvian, représentée par Me Valette-Berthelsen de la SELARL Valette-Berthelsen, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 novembre 2020 ;

2°) de mettre à la charge des consorts B... et du GFA Jourdain B... une somme de 2 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'abrogation de l'article L. 142-12 du code de l'urbanisme par l'ordonnance du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre 1er de ce code n'a pu avoir pour effet de faire disparaître les périmètres sensibles instaurés par arrêté préfectoral avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1985, dès lors que la recodification du code de l'urbanisme par cette ordonnance s'est faite à droit constant ;

- le droit de préemption prévu aux articles L. 215-1 et suivants du code de l'urbanisme s'applique bien dans ces périmètres ; les arrêtés les délimitant n'ont pas été rendus caduques par l'abrogation de l'article L. 142-12 ;

- la mesure de validation législative issue des dispositions du II de l'article 233 de la loi du 22 août 2021, qui donne une base légale à la décision contestée, est justifiée par des motifs impérieux d'intérêt général, de valeur constitutionnelle et ne méconnaît pas les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 octobre et 29 novembre 2021, M. C... B..., Mme A... B... et D... B..., représentés par Me Mialot et Me Poulard de la SELARL Mialot Avocats, concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à l'annulation de la décision du maire de Sauvian du 18 avril 2018 ;

3°) à ce qu'il soit enjoint à la commune de Sauvian de leur proposer d'acquérir les parcelles illégalement préemptées, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à un prix visant à rétablir les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle ;

4°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Sauvian une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la requête n'est pas fondée dans les moyens qu'elle soulève ;

- la mesure de validation législative prévue par le II de l'article 233 de la loi du 22 août 2021, qui ne répond à aucun motif impérieux général, méconnaît les stipulations de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision de préemption litigieuse viole le champ d'application de la loi ;

- elle méconnaît l'article L. 215-11 du code de l'urbanisme ; la cession du domaine d'Espagnac aux requérants ne porte pas atteinte à la politique de préservation des espaces naturels sensibles ;

- le projet objet de la décision de préemption ne permet pas d'affecter l'ensemble bâti à un usage permettant la fréquentation du public et la connaissance des milieux naturels ;

- la décision, qui n'est pas motivée par la protection des espaces naturels sensibles et leur ouverture au public, est entachée d'un détournement de pouvoir ; elle a pour unique objet la mise en place de mesures de compensation environnementale pour permettre la réalisation d'une zone d'aménagement concerté.

Les parties ont été informées, par lettre du 6 octobre 2021, qu'en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, il était envisagé d'appeler l'affaire en février-mars 2022 et que l'instruction pourrait être close à partir du 15 décembre 2021 sans information préalable.

Par une ordonnance du 12 janvier 2022, la clôture immédiate de l'instruction a été prononcée en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

II- Sous le n° 21MA04410, par une requête et des pièces complémentaires enregistrées les 16 et 17 novembre 2021, la commune de Sauvian, représentée par Me Valette-Berthelsen de la SELARL Valette-Berthelsen, demande à la Cour de prononcer, en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative le sursis à exécution du jugement du 12 novembre 2020.

Elle soutient que les moyens d'annulation développés dans la requête au fond sont sérieux et de nature à justifier le rejet des conclusions d'annulation accueillies en première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2021, M. C... B..., Mme A... B... et D... B..., représentés par Me Mialot et Me Poulard de la SELARL Mialot Avocats, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Sauvian une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que la requête n'est pas fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Les deux requêtes ont été communiquées au GFA du château d'Espagnac qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Balaresque,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public ;

- et les observations de Me Valette-Berthelsen représentant la commune de Sauvian ainsi que celles de Me Poulard représentant M. et Mme B... ainsi que le GFA Jourdain-Pugibet.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 18 avril 2018, le maire de Sauvian a préempté les parcelles cadastrées section AO n°s 2, 3, 4 et section AP n°s 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 35, au prix proposé par le propriétaire, soit 1 372 394,51 euros, au titre des espaces naturels sensibles. Par un jugement du 12 novembre 2020, le tribunal administratif de Montpellier a, à la demande de M. et Mme B..., acquéreurs évincés et du GFA Jourdain B..., annulé la décision du 18 avril 2018 et a enjoint au maire de Sauvian de proposer à l'ancien propriétaire, puis, le cas échéant, à l'acquéreur évincé d'acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle. Sous le n° 21MA00218, la commune de Sauvian relève appel de ce jugement. Sous le n° 21MA04410, la commune de Sauvian demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.

Sur la jonction :

2. Les deux requêtes susvisées ont été présentées par le même requérant, dirigées contre le même jugement et présentent à juger des questions semblables. Elles ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul et même arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la méconnaissance du champ d'application de la loi :

3. En application des articles L. 142-1 et suivants du code de l'urbanisme, dans leur rédaction antérieure à la loi du 18 juillet 1985 relative à la définition et à la mise en œuvre de principes d'aménagement, des périmètres sensibles pouvaient être délimités par le préfet dans les départements inscrits sur une liste établie par décret en Conseil d'Etat. Il appartenait au préfet d'arrêter les mesures nécessaires à la protection des sites et des paysages compris dans ces périmètres sensibles et d'y créer des zones de préemption au profit du département.

4. La loi du 18 juillet 1985 a modifié les articles L. 142-1 et suivants du code de l'urbanisme en supprimant le régime de protection des périmètres sensibles et en confiant au département la compétence pour élaborer et mettre en œuvre une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles. L'article L. 142-3 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de cette loi, prévoyait que, pour la mise en œuvre de cette politique, le conseil général pouvait créer des zones de préemption. Un nouvel article L. 142-12 disposait que : " (...) Le droit de préemption prévu à l'article L. 142-3 dans sa rédaction issue de la loi (...) s'applique dès l'entrée en vigueur du présent chapitre à l'intérieur des zones de préemption délimitées en application de l'article L. 142-1 dans sa rédaction antérieure (...) ".

5. L'ordonnance du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme, ratifiée par l'article 156 de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, a recodifié les dispositions relatives aux espaces naturels sensibles, d'une part, aux articles L. 113-8 et suivants pour les dispositions relatives à la politique départementale de protection des espaces naturels sensibles, et, d'autre part, aux articles L. 215-1 et suivants pour celles relatives au droit de préemption dans ces espaces. Cette ordonnance a abrogé, à compter du 1er janvier 2016, la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme dans sa rédaction antérieure, sans reprendre les dispositions de l'article L. 142-12. Il en résulte que, depuis cette date, le droit de préemption prévu aux articles L. 215-1 et suivants du code de l'urbanisme n'était plus applicable dans les zones de préemption créées par les préfets au titre de la législation sur les périmètres sensibles avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1985, sauf à ce que le département les ait incluses dans les zones de préemption qu'il a lui-même créées au titre des espaces naturels sensibles.

6. Toutefois, aux termes du II de l'article 233 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : " Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les décisions de préemption prises entre le 1er janvier 2016 et l'entrée en vigueur du présent article, en tant que leur légalité est ou serait contestée par un moyen tiré de l'abrogation de l'article L. 142-12 du code de l'urbanisme par l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l'urbanisme. "

7. Ces dispositions, qui ont pour objet, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, de valider les décisions de préemption prises entre le 1er janvier 2016 et leur entrée en vigueur, en tant que la légalité de ces décisions est, ou serait, contestée par un moyen tiré de l'abrogation, par l'ordonnance du 23 septembre 2015, de l'article L. 142-12 du code de l'urbanisme, sont applicables au présent litige.

8. Aux termes du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). Il résulte de ces stipulations que, lorsque sont en cause des droits et obligations de caractère civil, l'adoption de mesures législatives à portée rétroactive qui feraient obstacle à ce qu'une décision faisant l'objet d'un procès en cours puisse être utilement contestée n'est compatible avec le droit de toute personne à un procès équitable que si l'intervention de ces mesures est justifiée par d'impérieux motifs d'intérêt général.

9. La demande des époux B..., acquéreurs évincés, tendant à l'annulation de la décision de préemption du maire de Sauvian du 18 avril 2018 est relative à une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil au sens de ces stipulations.

10. La mesure de validation résultant des dispositions précitées du II de l'article 233 de la loi du 22 août 2021, qui n'institue pas un droit de préemption, est précisément définie dans le temps comme par son objet, ne poursuit pas un objectif exclusivement financier, et tend à sécuriser juridiquement les actes concourant à la politique menée par les départements en faveur de la protection des espaces naturels sensibles et de la préservation de la biodiversité. Elle entend limiter les conséquences, auxquelles l'administration ne peut remédier, d'un avis contentieux du Conseil d'Etat précisant que l'abrogation des dispositions de l'article L. 142-12 du code de l'urbanisme considérées comme obsolètes lors de la recodification de ce code privait de base légale les décisions de préemption prises, postérieurement à cette abrogation, dans les zones de préemption créées par les préfets au titre de la législation sur les périmètres sensibles avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1985. Elle ne valide les décisions de préemption qu'en tant qu'elles seraient contestées sur le fondement d'un moyen tiré de l'abrogation de l'article L. 142-12 du code de l'urbanisme, en adéquation avec l'objectif poursuivi, et réserve expressément les décisions passées en force de chose jugée. Eu égard au risque d'annulation contentieuse sur le fondement de ce moyen auquel sont exposées ces décisions de préemption, au nombre de décisions susceptibles d'être concernées et à l'objet de ces dernières, qui permettent d'assurer la mise en œuvre de la politique de protection des espaces naturels sensibles et de la préservation de la biodiversité menées par les départements, les dispositions précitées de l'article 233 de la loi du 22 août 2021 sont justifiées par un motif impérieux d'intérêt général et ne sauraient dès lors être regardées, nonobstant leur application aux litiges pendants devant le juge à la date de leur entrée en vigueur, comme portant une atteinte excessive au principe du droit à un procès équitable énoncé par l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance du champ d'application de la loi résultant de l'abrogation de l'article L. 142-12 du code de l'urbanisme qui permettait l'exercice du droit de préemption dans les zones de préemption créées par les préfets au titre de la législation sur les périmètres sensibles avant l'entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1985 ne peut être utilement invoqué par les consorts B....

11. Il résulte de ce qui précède que la commune de Sauvian est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé pour ce motif la décision du 18 avril 2018 et a enjoint au maire de Sauvian de proposer à l'ancien propriétaire, puis, le cas échéant, à l'acquéreur évincé d'acquérir le bien, à un prix visant à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle.

12. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les consorts B....

En ce qui concerne la méconnaissance des dispositions de l'article L. 215-11 du code de l'urbanisme :

13. Aux termes de l'article L. 215-11 de ce code : " A titre exceptionnel, l'existence d'une construction ne fait pas obstacle à l'exercice du droit de préemption dès lors que le terrain est de dimension suffisante pour justifier son ouverture au public et qu'il est, par sa localisation, nécessaire à la mise en œuvre de la politique des espaces naturels sensibles des départements. Dans le cas où la construction acquise est conservée, elle est affectée à un usage permettant la fréquentation du public et la connaissance des milieux naturels ".

14. Il résulte de ces dispositions que les décisions de préemption qu'elles prévoient doivent être justifiées à la fois par la protection des espaces naturels sensibles et par l'ouverture ultérieure de ces espaces au public, sous réserve que la fragilité du milieu naturel ou des impératifs de sécurité n'y fassent pas obstacle. Toutefois, la collectivité titulaire du droit de préemption n'a pas à justifier de la réalité d'un projet d'aménagement à la date à laquelle elle exerce ce droit.

15. Il ressort des pièces du dossier que les parcelles préeemptées d'une surface totale de plus de 60 hectares sont, pour la majeure partie d'entre elles, classées en zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) et identifiées au schéma régional de cohérence écologique comme constitutives d'un réservoir de biodiversité. Si ces parcelles font actuellement l'objet d'une exploitation agricole à dominante céréalière, le projet de la commune, détaillé dans le rapport annexé à la décision de préemption litigieuse, vise à y restaurer un réservoir de biodiversité, en composant une mosaïque d'habitats préconisés pour accueillir les oiseaux patrimoniaux des milieux agri-naturels de ce secteur et en diversifiant les cultures présentes sur ces parcelles. Dans ces conditions, le terrain objet de la décision litigieuse, d'une dimension suffisante pour justifier son ouverture au public, doit être regardé, compte tenu de sa localisation, comme nécessaire à la mise en œuvre de la politique des espaces naturels sensibles du département. Le projet détaillé dans le rapport annexé à la décision de préemption litigieuse prévoit également l'ouverture au public de ces parcelles, à travers l'aménagement d'un " sentier d'interprétation " permettant l'observation de la faune et de la flore et la création d'une " maison de site " dans la partie des bâtiments existants qui ne sera pas démolie. La circonstance que la commune ait, postérieurement à la décision attaquée, envisagé de mettre une partie de ces bâtiments à disposition de l'Etat pour y implanter un centre de vacances ou d'une entreprise agro-alimentaire innovante spécialisée dans la production viticole n'est pas à elle seule de nature à établir que la commune n'entend pas affecter les constructions subsistantes à un usage permettant la fréquentation du public et la connaissance des milieux naturels. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 215-11 du code de l'urbanisme doit être écarté.

En ce qui concerne le détournement de pouvoir :

16. Aux termes de l'article L. 215-1 du code de l'urbanisme : " Pour mettre en œuvre la politique prévue à l'article L. 113-8, le département peut créer des zones de préemption dans les conditions définies au présent article. " Et selon cet article L. 113-8 : " Le département est compétent pour élaborer et mettre en œuvre une politique de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, boisés ou non, destinée à préserver la qualité des sites, des paysages, des milieux naturels et des champs naturels d'expansion des crues et d'assurer la sauvegarde des habitats naturels selon les principes posés à l'article L. 101-2. "

17. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport de présentation annexé à la décision litigieuse précédemment évoqué, que la commune de Sauvian entend conclure un contrat avec un agriculteur s'engageant à respecter un programme expérimental dédié à la préservation de la biodiversité pour assurer l'exploitation des parcelles préemptées. Ainsi qu'il a été dit au point 15, ce programme aura pour objet à la fois de restaurer le réservoir de biodiversité que constitue le domaine d'Espagnac, en diversifiant les cultures présentes sur ces parcelles et en y créant des zones d'habitat préservés pour accueillir notamment les oiseaux patrimoniaux des milieux agri-naturels de ce secteur et d'ouvrir ce domaine au public, en y aménageant notamment un " sentier d'interprétation " permettant l'observation de la faune et de la flore. La décision de préemption litigieuse répond dès lors aux objectifs définis à l'article L. 113-8. Si un tel contrat est, par ailleurs, susceptible de contribuer à la mise en œuvre de mesures de compensation collectives visant à consolider l'économie agricole du territoire dans le cadre de la création de la zone d'aménagement concerté des Moulières, cette seule circonstance ne saurait révéler un détournement de pouvoir. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit, par suite, être écarté.

18. Il résulte de ce qui précède que les consorts B... ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision du 18 avril 2018 par laquelle le maire de Sauvian a préempté le bien dont ils s'étaient portés acquéreurs. Par suite, leurs conclusions à fin d'injonction ainsi que leurs conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être accueillies.

19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Sauvian en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

20. Le présent arrêt statue sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de première instance attaquée. Dès lors, les conclusions de la requête n° 21MA04410 tendant à l'application des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 21MA04410 présentée par la commune de Sauvian.

Article 2 : Le jugement du 12 novembre 2020 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. et Mme B... et D... B... devant le tribunal administratif de Montpellier et leurs conclusions devant la cour sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Sauvian en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à M. C... B..., au GFA Jourdain B..., à la commune de Sauvian et au GFA du Château d'Espagnac.

Copie en sera adressée pour information au préfet de l'Hérault et au département de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 28 février 2022, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président-assesseur,

- Mme Balaresque, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2022.

2

No 21MA00218 - 21MA04410


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA00218
Date de la décision : 21/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-02-01-01-03-01 Urbanisme et aménagement du territoire. - Procédures d'intervention foncière. - Préemption et réserves foncières. - Droits de préemption. - Espaces naturels sensibles. - Régime antérieur à la loi du 18 juillet 1985 : périmètres sensibles.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: Mme Claire BALARESQUE
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : SELARL VALETTE-BERTHELSEN

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-03-21;21ma00218 ?
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