La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/03/2022 | FRANCE | N°20MA02882

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre, 17 mars 2022, 20MA02882


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 9 mars 2020 du préfet des Pyrénées-Orientales portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2002009 du 7 juillet 2020, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montpellier, après l'avoir adm

is au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a rejeté sa demande.

Procédure...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 9 mars 2020 du préfet des Pyrénées-Orientales portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2002009 du 7 juillet 2020, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montpellier, après l'avoir admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 10 août 2020, M. C..., représenté par Me Summerfield, demande à la Cour :

1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du 7 juillet 2020 ;

3°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 9 mars 2020 ;

4°) d'enjoindre au préfet des Pyrénées-Orientales de procéder au réexamen de sa situation en vue de la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à Me Summerfield, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, ce règlement emportant renonciation à la contribution à la mission d'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

Sur la notification de l'arrêté litigieux :

- si les conditions de notification sont sans incidence sur la légalité de l'arrêté litigieux, il y a lieu de constater que ce dernier n'a pas pu prendre effet et n'est pas exécutoire, faute d'une notification régulière ;

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet s'est estimé lié par les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ;

Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- le préfet a ajouté à la loi un critère tiré de ce que l'étranger doit justifier que ses liens en France sont plus anciens, intensifs et stables que ceux dont il dispose dans son pays d'origine ;

- la mesure est disproportionnée, alors qu'il n'a jamais troublé l'ordre public ni fait l'objet d'une autre obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2022, le préfet des Pyrénées-Orientales demande à la Cour de rejeter la requête de M. C....

Il fait valoir qu'aucun de moyens soulevés n'est fondé.

Par une décision du 11 décembre 2020, M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bernabeu a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., né en 1992 au A... et entré en France le 14 juin 2016 selon ses déclarations, a déposé une demande d'asile rejetée le 28 septembre 2018 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), décision dont la légalité a été confirmée par un arrêt rendu par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), le 3 janvier 2020. Par un arrêté du 9 mars 2020, le préfet des Pyrénées-Orientales a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. L'intéressé relève appel du jugement du 7 juillet 2020 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté précité.

Sur l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :

2. M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 11 décembre 2020. Dans ces conditions, il n'y a plus lieu de statuer sur sa demande tendant à ce qu'il soit admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

3. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. En outre, il appartient au préfet de vérifier que la décision portant obligation de quitter le territoire français qu'il envisage de prendre ne comporte pas de conséquences d'une gravité exceptionnelle sur la situation personnelle ou familiale de l'intéressé et n'est pas ainsi entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

5. M. C..., célibataire et sans charge de famille, déclare être entré en France, par l'Italie le 14 juin 2016, à l'âge de vingt-quatre ans, et soutient y résider depuis lors. Cependant, les seules circonstances qu'il a pris part, en septembre 2018, à un atelier organisé par une réalisatrice de films et qu'il a participé à des cours d'apprentissage de la langue française et à un projet culturel pour la période de janvier à mai 2019 ne suffisent pas à considérer que M. C... aurait désormais établi le centre de ses intérêts privés et familiaux en France ni qu'il justifierait d'une insertion socioprofessionnelle particulière. En outre, et compte tenu de ce qui est exposé ci-dessous au point 7 sur les conditions dans lesquelles M. C... a quitté son pays d'origine, il ne justifie aucunement avoir résidé en Lybie avant de rejoindre la France et ne peut dès lors soutenir que le préfet a entaché sa décision d'une erreur de fait en mentionnant qu'il a vécu au A... jusqu'à l'âge de vingt-quatre ans. Enfin, l'intéressé allègue, sans toutefois l'établir, ne plus disposer d'attache familiale dans son pays d'origine. Ainsi, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, le préfet des Pyrénées-Orientales, en l'obligeant à quitter le territoire français, n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision a été prise et n'a donc pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'appelant.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

6. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au présent litige : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Pour l'application des stipulations et des dispositions précitées, il appartient à l'autorité administrative de s'assurer que la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger ne l'expose pas à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu'à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. M. C... soutient qu'à l'âge de seize ans, il aurait été enlevé sur un marché, pour être enrôlé de force dans l'armée tchadienne et qu'il aurait été victime de violences et menaces répétées de la part de son chef militaire. Il indique également avoir pu s'échapper et fuir son pays d'origine en 2010 pour rejoindre la Lybie où il aurait vécu six ans, avant de rejoindre l'Italie puis la France. Toutefois, alors que l'OFPRA, confirmé par la CNDA, a relevé que, d'une part, l'intéressé s'était montré sur de nombreux points insuffisamment précis, notamment s'agissant des circonstances de son enrôlement de force, de son entraînement quotidien et des mauvais traitements qu'il aurait subis dans le camp de Zouarké, et que, d'autre part, le récit de son évasion était peu crédible, ni les extraits de rapports d'associations, dont Amnesty International, et d'un article de presse émanant de " Jeune B... " relatant des faits d'enrôlement de force dans l'armée de jeunes enfants au A..., ni les attestations rédigées dans le cadre de l'instance n'établissent qu'il serait personnellement et directement exposé à un risque réel, direct et sérieux pour sa vie ou sa liberté en cas de retour dans son pays d'origine, les faits relatés remontant d'ailleurs à plus de dix ans avant la décision contestée. Dans ces conditions, le préfet des Pyrénées-Orientales, qui ne s'est pas estimé lié par l'appréciation portée par l'OFPRA et la CNDA, n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

8. Aux termes de l'article L. 511-III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. /Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

9. L'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'examen de l'un d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

10. Il ressort de la motivation de la décision litigieuse que le préfet des Pyrénées-Orientales s'est fondé sur les critères mentionnés au III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour prononcer la mesure d'interdiction de retour sur le territoire français et a notamment indiqué que M. C... s'était maintenu sur le territoire français malgré la décision de l'OFPRA rejetant sa demande d'asile. Il a également fait référence aux déclarations de l'intéressé en ce qui concerne son arrivée en France le 16 juin 2016 et son maintien irrégulier sur le territoire depuis le 3 janvier 2020, son absence de domicile stable et de liens familiaux sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté comme manquant en fait.

11. Ainsi qu'il a été dit précédemment, M. C..., célibataire et sans enfant, n'a pas de liens familiaux sur le territoire français et n'y justifie d'aucune insertion socioprofessionnelle particulière. La double circonstance que l'appelant n'a jamais fait l'objet d'une mesure d'éloignement et que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public ne fait pas obstacle à ce que le préfet, qui ne s'est fondé sur aucun critère ne figurant pas dans la loi, prenne une interdiction de retour d'une durée d'un an. Le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit, par suite, être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, doivent être également rejetées ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'allocation à son conseil de frais liés au litige.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. C... tendant à son admission à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à Me Summerfield et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales.

Délibéré après l'audience du 3 mars 2022, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- Mme Bernabeu, présidente assesseure,

- Mme Carotenuto, première conseillère

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mars 2022.

2

N° 20MA02882


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA02882
Date de la décision : 17/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. - Séjour des étrangers. - Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Mylène BERNABEU
Rapporteur public ?: Mme COURBON
Avocat(s) : SUMMERFIELD TARI

Origine de la décision
Date de l'import : 29/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-03-17;20ma02882 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award