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07/03/2022 | FRANCE | N°21MA02809

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 07 mars 2022, 21MA02809


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un jugement n° 2101467 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté du 15 février 2021 par lequel la préfète du Gard a rejeté la demande de titre de séjour formulée par Mme D... E..., de nationalité algérienne, et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a enjoint à la préfète du Gard de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la Cour :

Par u

ne requête, enregistrée le 19 juillet 2021, la préfète du Gard demande à la Cour d'annuler ce ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un jugement n° 2101467 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté du 15 février 2021 par lequel la préfète du Gard a rejeté la demande de titre de séjour formulée par Mme D... E..., de nationalité algérienne, et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et a enjoint à la préfète du Gard de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2021, la préfète du Gard demande à la Cour d'annuler ce jugement.

Elle soutient que :

- le tribunal a commis une erreur manifeste d'appréciation de la situation de Mme E... ;

- l'arrêté pris à l'encontre de Mme E... n'étant pas de nature à la séparer de son enfant qui peut retourner vivre avec elle en Algérie, il ne contrevient pas aux stipulations de l'article 3-1 de la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le 11 août 2017, le collège des médecins de l'OFII a indiqué que l'état de santé du jeune F... G... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et de surcroît, les pièces produites par Mme E... n'apportent nullement la preuve de l'absence d'une prise en charge appropriée au handicap de son fils dans son pays d'origine dans lequel il a vécu treize ans et où il a été pris en charge médicalement et sur un plan éducatif ; le professeur Verloes n'exclut pas l'existence de l'offre de soins en Algérie et précise seulement que cela semble " difficile à imaginer " ; si les juges du fond prennent en compte les progrès réalisés en France par le jeune F... G..., il est cependant constant qu'un traitement approprié n'est pas nécessairement un traitement identique à celui dont l'étranger bénéficie en France ;

- ni l'absence de traitement adéquat, ni l'absence de prise en charge scolaire de l'enfant ne sont avérées ;

- l'intéressée, qui n'est pas fondée à se prévaloir d'une quelconque méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'est pas en mesure de justifier de l'ancienneté et de la régularité de son séjour en France ; elle n'était en tout état de cause présente en France, dans le meilleur des cas, que depuis quatre ans à la date de la décision contestée ; si elle se prévaut de violences conjugales, elle n'en apporte cependant pas la preuve d'autant qu'elle n'était pas favorable au divorce, et en tout état de cause, même avérée, cette circonstance n'a aucune influence sur la légalité de la décision attaquée dans la mesure où Mme E... est divorcée ; enfin, elle est hébergée par une association et ne justifie d'aucune ressource personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2022, Mme D... E..., divorcée G..., représentée par Me Chabbert Masson, conclut au rejet de la requête d'appel et à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au profit de Me Chabbert Masson, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme allouée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, en application des dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le 19 août 2021, un mois après avoir fait appel, le préfet du Gard, faisant suite à sa demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'a informée qu'il avait décidé de lui délivrer une carte de séjour temporaire d'une durée d'un an, portant la mention " vie privée et familiale " et lui a en conséquence été remis, le jeudi 23 septembre 2021, un certificat de résidence algérien valable du 23 septembre 2021 au 22 septembre 2022, ce qui lui a permis de trouver immédiatement un emploi d'agent de service ;

- compte tenu de cette situation, l'arrêté querellé de la préfète du Gard méconnaît les stipulations de l'article 3.1 de la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le système scolaire algérien ne prend pas en compte les enfants souffrant de handicap ; en France, F... G..., qui est reconnu handicapé à plus de 80 %, a pu intégrer un institut médico-pédagogique ; il a dû être opéré le 27 juillet 2021 de polymaticromes et présente un retard staturo-pondéral et pubertaire révélant des problèmes endocriniens et pubertaires pour lesquels il doit recevoir un suivi médical ;

- l'arrêté querellé méconnaît les stipulations de l'article 6.5° de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; la préfète du Gard a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect à sa vie privée et familiale.

Le 26 janvier 2022, la préfète du Gard a présenté un mémoire en réplique qui n'a pas été communiqué.

Par ordonnance du 6 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 janvier 2022 à 12h00.

Mme E... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 janvier 2022 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;

- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. C... Taormina, rapporteur.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante algérienne née le 28 février 1973, est entrée en France munie d'un visa court séjour valable du 28 mai au 23 novembre 2016, accompagnée de son fils F... G... né le 27 août 2003. Elle a déposé une demande de titre de séjour le 18 avril 2017 qui a donné lieu à un arrêté du 23 octobre 2017 de la préfète du Gard portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français. Par un jugement n° 1703857 du 27 février 2018, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté le recours formé par Mme E... contre cet arrêté. La cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel interjeté par Mme E... contre ce jugement, par arrêt n° 18MA01468 - 18MA01467 du 9 juillet 2018. Mme E... a présenté, par un courrier du 28 mai 2020, une nouvelle demande d'admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale, rejetée par un arrêté préfectoral du 15 février 2021 annulé par le tribunal administratif de Nîmes par jugement n° 2101467 du 8 juillet 2021 dont la préfète du Gard relève appel par le présent recours.

2. Le 19 août 2021, en exécution du jugement dont il est interjeté appel, la préfète du Gard a délivré à Mme E... une carte de séjour temporaire d'une durée d'un an, portant la mention "vie privée et familiale" valable du 23 septembre 2021 au 22 septembre 2022.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé pour le préfet du Gard par M. Frédéric Loiseau, secrétaire général de la préfecture qui disposait, en vertu d'un arrêté du 21 décembre 2020 publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, d'une délégation à l'effet de signer, en toutes matières, tous arrêtés et décisions relevant des attributions de l'État dans le département du Gard, à l'exception de certaines matières au nombre desquelles ne figure pas la décision attaquée. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté manque en fait et doit, par suite, être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : ... 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus... ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

5. Si le jeune F... G..., fils de B... E..., est atteint d'une affection génétique rare, à l'origine d'une déficience intellectuelle dont résultent des troubles graves entraînant une entrave majeure dans la vie quotidienne et une absence d'autonomie, associée à des problèmes orthopédiques et visuels, qui fait l'objet d'une prise en charge multidisciplinaire au sein de l'institut médico-éducatif Edouard Kruger de Nîmes, comme cela résulte d'une attestation établie le 3 mars 2021 par le professeur Verloes et un rapport médical de synthèse dressé le 13 avril 2021, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé, par un avis du 11 août 2017, que le jeune F... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité. En outre, il n'est pas établi qu'il n'existerait pas en Algérie, pays d'origine de Mme E... et de son fils, une offre adéquate de prise en charge médicale et scolaire.

6. Il n'existe par ailleurs aucun obstacle à ce que Mme E..., même titulaire aujourd'hui d'un titre de séjour, et son fils retournent vivre en Algérie, pays dont ils ont tous deux la nationalité. Dès lors, l'arrêté querellé ne peut être regardé comme ayant, lors de son émission, porté atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant F... G... au regard des stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990.

7. Enfin, Mme E..., qui n'est en France avec son fils que depuis 2016, a vécu jusqu'à l'âge de quarante-trois ans dans son pays d'origine dans lequel résident notamment sa mère, sa fille, Mlle H... G..., née le 1er octobre 1999 à Oran, et le père de ses enfants. A... elle s'est prévalue devant les premiers juges de violences conjugales, elle n'en apporte cependant pas la preuve d'autant qu'elle n'était pas favorable au divorce prononcé en 2019, et en tout état de cause, même avérée, cette circonstance serait sans incidence sur la légalité de la décision attaquée dans la mesure où Mme E... est divorcée. Enfin, à la date de l'arrêté querellé à laquelle il y a lieu de se placer pour en apprécier la légalité, Mme E... était hébergée par une association et ne justifiait d'aucune ressource personnelle, les promesses d'embauche dont elle s'est prévalue devant les premiers juges n'étant pas de nature à établir une intégration ancienne et durable dans la société française.

8. Compte tenu de tout ce qui précède, la préfète du Gard n'a porté, lors de l'émission de l'arrêté querellé, au droit de Mme E... au respect de sa vie privée et familiale, ni à l'intérêt de son fils mineur, aucune atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels l'arrêté querellé a été pris, ni n'a entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation de Mme E... ou celle de son fils mineur à l'époque, ni méconnu les stipulations précitées de l'article 6, 5° de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990. Dès lors, elle est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé son arrêté en date du 15 février 2021. Par suite, il y a lieu de prononcer l'annulation du jugement n° 2101467 rendu le 8 juillet 2021 par le tribunal administratif de Nîmes.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique :

9. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, une quelconque somme au titre des frais non compris dans les dépens exposés par Mme E....

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2101467 rendu le 8 juillet 2021 par le tribunal administratif de Nîmes est annulé.

Article 2 : La requête de Mme E... présentée devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de Mme E... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la préfète du Gard, à Mme D... E... et à Me Chabbert Masson.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 21 février 2022, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. C... Taormina, président assesseur,

- M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mars 2022.

N° 21MA02809 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA02809
Date de la décision : 07/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-02 Étrangers. - Expulsion.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. Gilles TAORMINA
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : CHABBERT MASSON

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-03-07;21ma02809 ?
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