La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/12/2021 | FRANCE | N°19MA04613

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 3ème chambre, 30 décembre 2021, 19MA04613


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Laëtitia a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 juin 2010, 2011 et 2012, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er juillet 2009 au 30 avril 2013.

Par un jugement n° 1709467 du 2 octobre 2019, le tribunal

administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requêt...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Laëtitia a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 juin 2010, 2011 et 2012, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er juillet 2009 au 30 avril 2013.

Par un jugement n° 1709467 du 2 octobre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 octobre 2019 et 20 août 2020, la SARL Laëtitia, représentée par Me Dutel, puis, Me Darbier, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 2 octobre 2019 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions en litige;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Elle soutient que :

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

- elle n'a pas pu bénéficier d'un débat oral et contradictoire suffisant avec le vérificateur, s'agissant en particulier des cahiers manuscrits saisis par l'autorité judiciaire, en méconnaissance des dispositions des articles L. 13 et L. 47 du livre des procédures fiscales ;

- l'administration fiscale ne l'a pas informée, en violation de la documentation administrative de base référencée BOI-CF-PGR-20-30 du 12 septembre 2012, paragraphe 140, de la prorogation de la durée de la vérification de comptabilité en application des dispositions de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales ; cette irrégularité entraîne la nullité de la procédure d'imposition et la décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge, ainsi que cela résulte du paragraphe 210 de la documentation administrative de base précitée.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne la reconstitution de recettes :

- la méthode utilisée par l'administration pour reconstituer ses recettes est radicalement viciée et/ou excessivement sommaire ;

En ce qui concerne le passif injustifié :

- elle justifie du bien-fondé de l'inscription au 1er juillet 2009 d'un " à nouveau " d'un montant de 227 385,6 euros au crédit du compte courant d'associés n° 455 ;

- l'administration ne peut en outre considérer ce passif comme injustifié en se fondant sur sa comptabilité, alors qu'elle l'a écartée comme irrégulière et dépourvue de toute valeur probante ;

Sur les pénalités de 80 % :

- elle ne sont pas fondées dès lors que la procédure pénale diligentée à l'encontre de son gérant a été classée sans suite et qu'aucune manœuvre frauduleuse ne saurait lui être reprochée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 décembre 2019 et 10 septembre 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour de rejeter la requête de la SARL Laëtitia.

Il fait valoir que :

- le quantum du litige s'élève à 703 409 euros au lieu de 752 474 euros les intérêts de retard ayant fait l'objet d'une remise automatique, en application de l'article 1756 du code général des impôts ;

- pour le surplus, les moyens invoqués par l'appelante ne sont pas fondés.

Un nouveau mémoire, présenté par la SARL Laëtitia, enregistré le 14 septembre 2020, n'a pas été communiqué en application des dispositions de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bernabeu,

- les conclusions de Mme Courbon, rapporteure publique,

- et les observations de Me Darbier, représentant la SARL Laëtitia.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Laëtitia, qui exploitait sous l'enseigne " Novelty ", un fonds de commerce de brasserie-débit de boissons et de restaurant situé sur la commune de Salon-de-Provence, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité du 5 juillet au 13 décembre 2013 portant sur la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2012, étendue au 30 avril 2013 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. L'administration fiscale a opéré, après avoir rejeté la comptabilité pour chacun des exercices vérifiés, une reconstitution du chiffre d'affaires pour les exercices clos les 30 juin 2010, 2011 et 2012 et a notifié à la société, par une proposition de rectification du 16 décembre 2013, des rehaussements en matière d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er juillet 2009 au 30 avril 2013 procédant de cette reconstitution. La SARL Laëtitia relève appel du jugement du 2 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période précitée, ainsi que des pénalités correspondantes.

I. Sur le quantum du litige :

2. En raison de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SARL Laëtitia par un jugement du 23 janvier 2020 du tribunal de commerce de Salon-de-Provence, l'administration, sur le fondement du I de l'article 1756 du code général des impôts, a prononcé, en cours d'instance, la remise des intérêts de retard dont les impositions en litige ont été assorties pour un montant total de 49 065 euros. Ainsi, les conclusions aux fins de décharge à hauteur des sommes de 32 019 euros et 17 046 euros correspondant à la remise des intérêts de retard en matière respectivement d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée sont devenues, dans cette mesure, sans objet et il n'y a, par suite, plus lieu d'y statuer.

II. Sur les conclusions aux fins de décharge des impositions supplémentaires :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

3. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. (...) ". Aux termes de l'article L. 47 du même livre, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu ou une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. (...) ".

4. Dans le cas où la vérification de comptabilité d'une entreprise a été effectuée, soit, comme il est de règle, dans ses propres locaux, soit, si son dirigeant ou représentant l'a expressément demandé, dans les locaux du comptable auprès duquel sont déposés les documents comptables, il appartient au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat, soit avec les mandataires sociaux, soit avec leurs conseils, préposés ou mandataires de droit ou de fait.

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la présente procédure : " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu. ".

6. Eu égard aux garanties dont le livre des procédures fiscales entoure la mise en œuvre d'une vérification de comptabilité, l'administration est tenue, lorsque, faisant usage de son droit de communication, elle consulte au cours d'une vérification des pièces comptables saisies et détenues par l'autorité judiciaire, de soumettre l'examen de ces pièces à un débat oral et contradictoire avec le contribuable avant l'envoi de la proposition de rectification.

7. Il résulte de l'instruction, notamment de la proposition de rectification du 16 décembre 2013, que la société Laëtitia a été informée, par un avis du 10 juin 2013, réceptionné le 18 juin suivant, qu'elle ferait l'objet d'une vérification de comptabilité. Ces opérations de vérification se sont déroulées, à la demande de la société effectuée le 17 juin 2013, au cabinet de son expert-comptable à Salon-de-Provence, lequel a reçu un mandat de représentation le 5 juillet 2013. Une première intervention à ce cabinet a eu lieu à cette date. Le même jour, d'un commun accord avec la société requérante, l'agent vérificateur s'est également rendu sur les lieux de l'exploitation de son activité. Le 25 juillet 2013, il s'est de nouveau rendu sur ces lieux en présence du gérant de l'établissement. Par ailleurs, le vérificateur a mis en œuvre son droit de communication sur le fondement de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales et par une lettre du 22 novembre 2013, le procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence l'a autorisé à consulter et prendre copie de documents concernant la SARL Laëtitia, constitués de cahiers retraçant les recettes toutes charges comprises inscrites jour par jour et totalisées en fin de mois, du mois de juillet 2009 au mois de novembre 2012, avec au terme de chaque mois, une moyenne des recettes journalières calculée et inscrite sous le chiffre d'affaires total du mois, ainsi que des graphiques portant sur l'évolution du chiffre d'affaires et diverses annotations liées à des évènements organisés par l'établissement au cours de la période vérifiée. Ces documents ont pu être consultés dans les locaux de l'administration par le gérant de la SARL Laëtitia, M. A..., le 6 décembre 2013, qui a reconnu en avoir été le rédacteur. Enfin, une réunion de synthèse a été réalisée le 13 décembre 2013 au cabinet de l'expert-comptable, en présence du gérant et de l'expert-comptable.

8. La société appelante soutient d'abord que la consultation des pièces obtenues par l'administration fiscale dans le cadre du droit de communication s'est réalisée hors la présence de son mandataire, à savoir son expert-comptable, et dans les locaux de l'administration. Cependant, le gérant de la SARL Laëtitia, dont il est constant qu'il a été invité par un courrier du 28 novembre 2013, notifié le 30 novembre suivant, à consulter les pièces, l'a effectivement fait le 6 décembre 2013, pendant la durée de la vérification, sans que la société puisse utilement soutenir que ce courrier n'a pas été adressé à son expert-comptable, la désignation d'un mandataire ne retirant pas au représentant légal de la société la qualité d'interlocuteur auprès de l'administration fiscale. En outre, cette dernière fait valoir à juste titre que rien n'empêchait le gérant de la société de se rendre dans les locaux de l'administration accompagné de son mandataire pour effectuer cette consultation, ce qu'il n'a pas jugé utile de faire. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que les conditions posées à la consultation et à la copie de ces documents excédaient celles normalement nécessaires pour assurer leur conservation.

9. Ensuite, la société appelante soutient que le débat oral et contradictoire n'a pas été respecté s'agissant des cahiers précités, puisqu'une seule réunion a été organisée par le service vérificateur pour leur consultation. Cependant, ainsi qu'il ressort des mentions de la proposition de rectification, le gérant a eu la possibilité de s'expliquer sur le contenu de ces cahiers, ce qui suppose que ces derniers, ou à tout le moins leurs copies, ont pu être consultés pendant l'entretien. La double circonstance qu'une autre réunion portant sur l'examen de ces documents n'a pas eu lieu, et que ces documents n'ont pas été présentés lors de la réunion de synthèse n'est pas de nature à établir une insuffisance de débat oral et contradictoire sur ces pièces, qui ont été établies par le gérant. En outre, la circonstance que l'examen ait eu lieu dans les locaux du service et non pas dans ceux de l'expert-comptable n'est pas davantage une cause d'irrégularité de la procédure dès lors qu'il est constant que les opérations de vérification n'ont pas eu lieu intégralement dans les locaux de l'administration.

10. Enfin, la société appelante se plaint de ce que, lors de l'entretien du 6 décembre 2013, le gérant de la société ait pu être interrogé concomitamment, par un autre vérificateur, sur des documents manuscrits rédigés pour le compte d'une autre société, la SARL Michel, dont il était également le gérant. Cependant, la société reconnaît elle-même que le gérant a fait l'objet de deux convocations distinctes à deux horaires différents et, en tout état de cause, aucun élément ne figure au dossier de nature à établir que l'entretien aurait concerné en même temps les deux sociétés. A supposer même que tel fût le cas, la société appelante n'apporte aucun élément tendant à établir qu'elle aurait été privée, à raison de cette circonstance, de tout débat oral et contradictoire, sur les pièces concernées.

11. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 7 à 10 que la SARL Laëtitia n'est pas fondée à soutenir que la procédure serait irrégulière au regard tant des dispositions de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales que de celles de l'article L. 47 du même livre et qu'elle aurait été privée d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur sur le contenu des pièces que l'administration fiscale a obtenues dans le cadre de l'exercice de son droit de communication.

12. En second lieu, aux termes de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales : " I. - Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois en ce qui concerne : / 1° Les entreprises industrielles et commerciales ou les contribuables se livrant à une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou le montant annuel des recettes brutes n'excède pas les limites prévues au I de l'article 302 septies A du code général des impôts ; (...) II. - Par dérogation au I, l'expiration du délai de trois mois n'est pas opposable à l'administration : (...) / 4° En cas de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité. Dans ce cas, la vérification sur place ne peut s'étendre sur une durée supérieure à six mois. (...) ".

13. Il n'est pas contesté que la comptabilité de l'activité de la SARL Laëtitia comportait de graves irrégularités de nature à la priver de valeur probante et qu'ainsi, la vérification de comptabilité, qui a lieu du 5 juillet au 13 décembre 2013, a pu légalement être prorogée au-delà du délai de trois mois et dans la limite de six, par application des dispositions du 4° du II de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, sans que l'administration ne fut tenue, par un texte législatif ou réglementaire, d'en avertir la société contribuable par écrit. La circonstance que le procès-verbal établissant le caractère non probant de la comptabilité, dont l'établissement n'est imposé par aucun texte législatif ou réglementaire, ne mentionnait pas cette information est sans incidence à cet égard. En outre, la société appelante ne saurait utilement se prévaloir à cet égard de la violation de la documentation administrative de base référencée BOI-CF-PGR-20-30 du 12 septembre 2012, paragraphe 140, dès lors que cette instruction est relative à la procédure d'imposition. Par suite, le moyen tiré de ce que l'administration fiscale n'a informé la société Laëtitia que tardivement de ce que la durée de la vérification de comptabilité dont elle faisait l'objet était prorogée ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions en litige :

S'agissant de la reconstitution de recettes :

14. En vertu des dispositions de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, lorsque le juge est saisi du litige entre l'administration et le contribuable, il appartient à l'administration d'établir que la comptabilité qui lui était présentée était irrégulière et au contribuable le caractère exagéré de l'imposition qui a été établie conformément à l'avis rendu par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.

15. A la suite de la vérification de comptabilité de l'activité d'exploitation d'un fonds de commerce de brasserie-débit de boissons et de restaurant exercée par la société Laëtitia, le vérificateur a reconstitué son chiffre d'affaires après avoir estimé que les irrégularités de la comptabilité la privaient de toute valeur probante. Pour écarter sa comptabilité comme non probante, ce dernier s'est ainsi fondé sur l'absence de pièces justificatives afférentes aux ventes réalisées sur l'ensemble de la période vérifiée, la société ne disposant pas de caisse enregistreuse et se bornant à inscrire globalement chaque jour sur des cahiers manuscrits des recettes TTC, les tickets de caisse n'étant jamais remis aux clients et les tickets RAZ journaliers n'étant pas établis, aucune main courante ni aucun bon de commande n'étant conservé, ainsi que sur l'absence de chemin de révision entre le document d'origine et l'écriture comptable des ventes et inversement, en violation de l'article 410-3 du plan comptable général, l'ensemble des motifs d'irrégularité n'étant au demeurant pas contestés par la société Laëtitia.

16. Il est constant que la société contribuable, qui a contesté les rehaussements qui lui ont été notifiés par proposition de rectification du 16 décembre 2013, s'est désistée le 13 novembre 2014 de sa demande de saisine de la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires. Par suite, l'administration fiscale supporte la charge de la preuve du bien-fondé des suppléments d'impôt procédant de la reconstitution du chiffre d'affaires.

17. Il résulte de l'instruction que, pour reconstituer les recettes de la SARL Laëtitia au titre des exercices clos les 30 juin 2010, 2011 et 2012 ainsi que pour la période du 1er juillet 2009 au 30 avril 2013, l'administration s'est fondée sur les documents qu'elle a obtenus de l'autorité judiciaire dans le cadre de l'exercice de son droit de communication et notamment de cahiers manuscrits faisant état de recettes toutes charges comprises inscrites quotidiennement et totalisées en fin de mois, du mois de juillet 2009 au mois de novembre 2012. Ces cahiers, dont le gérant de la société, M. A... a reconnu avoir été le rédacteur, ainsi qu'il a été précédemment exposé au point 7 du présent arrêt, comportaient également des graphiques portant sur l'évolution du chiffre d'affaires de l'entreprise à l'année et diverses annotations concernant des évènements organisés au cours de la période vérifiée par l'établissement exploité par la SARL. L'administration a retenu, pour reconstituer les recettes de la société requérante sur les exercices et période litigieux, les montants qui y étaient mentionnés en considérant que ces cahiers devaient être regardés comme une comptabilité occulte. Des discordances entre les chiffres d'affaires reconstitués et les chiffres d'affaires déclarés ont ainsi été constatées au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012, à hauteur respectivement de 234 123,87 euros, de 218 816 euros et de 140 420 euros. Pour déterminer les montants de taxe sur la valeur ajoutée que la société requérante aurait dû acquitter sur la période litigieuse, l'administration fiscale a appliqué à ces montants le taux de 19,6 %. Dans un souci de réalisme économique, elle a accepté de n'appliquer ce taux que pour 50 % des recettes que la SARL Laëtitia a déclarées sur chaque exercice et d'appliquer le taux réduit de 5,5 % à la part de recettes restante. Il en est résulté, pour la société requérante, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée à hauteur de 45 888,8 euros pour la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2010, de 50 548,60 euros pour la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011, de 39 591,56 euros pour la période du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012 et de 15 004,01 euros pour la période du 1er juillet 2012 au 30 avril 2013.

18. La SARL Laëtitia conteste la méthode de reconstitution de ses recettes, en soutenant d'abord que cette méthode ne pouvait reposer sur les mentions figurant sur les cahiers saisis par l'autorité judiciaire, au motif que le procureur de la république près le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a, par ordonnance du 24 septembre 2019, classé sans suite une plainte portant sur des " faits d'abus de biens sociaux, abus de crédit et abus de pouvoir ". Cependant, il résulte de l'avis de classement sans suite, produit à l'instance, que les faits classés ne concernent pas des faits imputables à la société mais à son gérant, sans que ces derniers ne soient d'ailleurs explicités. Ainsi, ce classement sans suite est sans incidence sur la prise en compte par l'administration des cahiers manuscrits établis par M. A... et regardés comme une comptabilité occulte de la société Laëtitia. La société appelante soutient ensuite, comme en première instance, que les cahiers ainsi exploités par l'administration comportent des mentions erronées dès lors que, d'une part, les montants de recettes qui y sont mentionnés étaient " doublés " voire " triplés " et, d'autre part, ces derniers n'étaient rédigés que pour constituer un alibi auprès de son ex-compagne avec laquelle il entretenait des relations conflictuelles. Toutefois, la SARL produit en appel les mêmes pièces que celles versées en première instance, dont une attestation d'un salarié de la société, une attestation d'un salarié d'un établissement voisin de la brasserie, trois attestations de clients de la brasserie, les attestations de l'ex-compagne du gérant, d'une personne se présentant comme " sa maîtresse " et du père de cette dernière, des quittances de loyer datées des 13 février 2010 et 28 février 2009 et un contrat de bail du 19 février 2011 ainsi que des reçus de location de matériel de sport datés du mois de février 2009, ces pièces n'étant pas suffisamment probantes ni circonstanciées, les attestations de tiers étant, d'ailleurs, postérieures aux opérations de vérification de comptabilité.

En revanche, ainsi qu'il ressort de la proposition de rectification, le gérant de la société, lors de la première intervention du service dans les locaux de la brasserie, a indiqué que l'établissement était ouvert toute l'année et tous les jours du lundi au dimanche inclus, que les horaires d'ouverture étaient de 7 heures à 20 heures du lundi au samedi et de 9 heures à 20 heures le dimanche, et que l'établissement fermait à minuit le samedi soir en période estivale ou à l'occasion d'évènements particuliers. Il n'est pas contesté que le compte rendu de cet entretien a été dressé par courrier du 11 juillet 2013, et restitué le 22 juillet 2013 au vérificateur daté et signé par le gérant, qui n'a formulé aucune observation.

19. Par ailleurs, si la société appelante estime que le chiffre d'affaires est exagéré, compte tenu du nombre de serveurs employés sur la période, de la configuration de la brasserie pendant la période vérifiée, du taux de remplissage de l'établissement, des tarifs pratiqués, elle n'apporte aucun justificatif permettant d'étayer ses conditions réelles d'exploitation. Or, s'agissant en particulier des prix pratiqués, les tarifs mentionnés dans la proposition de rectification sont ceux indiqués par le gérant, comme en témoigne le relevé de prix restitué au vérificateur le 22 juillet 2013, signé et non assorti d'une quelconque remarque. Si la société requérante entend en outre se prévaloir de données statistiques issues du site Infogreffe retraçant les chiffres d'affaires réalisés, sur la période considérée, par des établissements qui seraient similaires au sien, il n'est pas établi, ainsi que le fait valoir l'administration, que les données ainsi fournies seraient issues d'établissements en tous points comparables à l'établissement vérifié, au regard de leur taille et de la nature de leur activité. De même, le document intitulé " statistiques professionnelles régionales 2012 ", dont l'origine n'est pas mentionnée, n'est pas davantage probant alors surtout que ces données ne portent que sur des débits de boissons.

20. Enfin, si la SARL Laëtitia soutient, comme en première instance, que l'administration fiscale a nécessairement sous-évalué ses charges au regard des montants des chiffres d'affaires reconstitués, elle n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'elle a supporté des charges d'exploitation supplémentaires à celles qui ont été comptabilisées et ont été effectivement déclarées. En particulier, elle ne fournit aucune information claire et précise sur la nature des achats dissimulés qui auraient pu être effectués ni sur leur montant. A cet égard, si elle se fonde sur les données de l'exercice 2013, en soutenant que les achats de marchandises ont constitué plus de 30 % du montant du chiffre d'affaires, un tel constat, qui concerne un exercice n'ayant pas donné lieu à la reconstitution du chiffre d'affaires à l'origine des rehaussements contestés, n'est pas probant. Par suite, à défaut pour la société appelante d'apporter une quelconque justification de la réalité et du montant d'achats non comptabilisés, l'administration a pu fixer le bénéfice de la société en se fondant sur les seules recettes non déclarées figurant sur les cahiers manuscrits établis par son gérant.

21. Il résulte de ce qui précède aux points 17 à 20 que l'administration fiscale doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, que sa méthode n'est ni radicalement viciée dans son principe, ni que les bases d'imposition ainsi reconstituées seraient exagérées.

S'agissant du passif injustifié :

22. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code et aux exercices en litige : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. ". Il appartient au contribuable, pour l'application de ces dispositions, de justifier, par la production de tous éléments suffisamment précis, l'inscription d'une dette au passif du bilan de son entreprise.

23. Il résulte de l'instruction que le service vérificateur a constaté, à l'ouverture de l'exercice clos le 30 juin 2010, l'inscription au compte courant d'associé n° 455 d'un " à nouveau " créditeur d'un montant de 227 385,60 euros, qu'il a réintégré dans les bénéfices de la société appelante au titre de cet exercice, au motif qu'aucune pièce ne permettait de justifier de l'origine de cet " à nouveau ". En se bornant à produire comme en première instance sa comptabilité au titre des exercices clos les 30 juin 2006, 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011, sans fournir à l'appui de cette comptabilité les pièces justificatives nécessaires, la société requérante ne justifie toujours pas en appel de la nature des sommes portées au crédit de ce compte courant d'associé. Par ailleurs, la société appelante ne saurait utilement se prévaloir du caractère non probant de sa comptabilité qui a fait l'objet d'un rejet par l'administration, pour contester le bien-fondé du rehaussement en litige dès lors que l'existence du compte et des écritures comptables y figurant n'est pas contestée et n'a pas été remise en cause par le vérificateur. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a réintégré, dans ses résultats imposables de l'exercice clos le 30 juin 2010, la somme de 227 385,60 euros au titre d'un passif injustifié.

III. Sur les pénalités :

24. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt (...) entraînent l'application d'une majoration de : / (...) c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...) ". Il ressort de ces dispositions que les pénalités pour manœuvres frauduleuses ont pour objectif de sanctionner des agissements destinés à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration.

25. Il résulte de l'instruction que la SARL Laëtitia a, en tenant une comptabilité occulte au cours des exercices en litige, ainsi qu'il a été exposé au point 17 du présent arrêt, délibérément dissimulé une partie très significative de son chiffre d'affaires, afin de minorer systématiquement le montant des recettes déclarées sur les exercices et la période vérifiée de rendre plus difficiles les opérations de contrôle de l'administration, et d'égarer celle-ci dans l'exercice de son pouvoir de contrôle. La seule circonstance que le procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a, par ordonnance du 24 septembre 2019, classé sans suite une plainte contre M. A..., son gérant, portant sur des " faits d'abus de biens sociaux, abus de crédit et abus de pouvoir " n'est pas de nature à remettre en cause ce constat. Dès lors, l'administration apporte la preuve qui lui incombe de l'existence de manœuvres frauduleuses et a pu, à bon droit, mettre à la charge de la société la majoration de 80 % prévue au c. de l'article 1729 du code général des impôts.

26. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Laëtitia n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté le surplus de sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, en tout état de cause, celles relatives aux entiers dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la SARL Laëtitia à concurrence du dégrèvement prononcé par l'administration en matière d'intérêts de retard et rappelé au point 2 du présent arrêt.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Laëtitia est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Laëtitia et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2021, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- Mme Bernabeu, présidente assesseure,

- Mme Carotenuto, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 décembre 2021.

2

N° 19MA04613

nc


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award