Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... A... B... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille, par une requête n° RG 18/64, d'annuler la décision du ministre de l'économie et des finances du 27 décembre 2016 suspendant à compter du 1er janvier 2011 le paiement de l'allocation spéciale n° 9 dont est assortie sa pension militaire d'invalidité n° 16-002.247 B pour un montant de 6006, 62 euros et en totalité à compter du 18 mars 2011 et, par une requête
n° RG 17/88, d'annuler la décision du même jour suspendant à compter du 2 avril 2013 le versement de l'allocation spéciale n° 9 dont est assortie sa pension militaire d'invalidité
n° 16-002.959 D.
Par un jugement n° 17/00088 du 8 août 2019, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille, après avoir joint les deux recours, a annulé les décisions du ministre de l'économie et des finances du 27 décembre 2016 suspendant l'allocation spéciale n° 9 respectivement à compter du 1er janvier 2011 et à compter du 2 avril 2013, et a mis à la charge de l'Etat les dépens ainsi qu'une somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance.
Procédure devant la Cour :
La cour régionale des pensions militaires d'Aix en Provence a transmis à la cour administrative d'appel de Marseille, en application du décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 relatif au contentieux des pensions militaires d'invalidité, le recours du ministre de l'action et des comptes publics, enregistré à son greffe le 7 octobre 2019.
Par ce recours, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 8 août 2019 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille ;
2°) de rejeter les demandes de M. A... B....
Le ministre soutient que :
- le jugement est irrégulier faute pour le tribunal de l'avoir appelé dans la cause, en méconnaissance de l'article R. 731-3 du code des pensions militaire d'invalidité et des victimes de guerre ;
- si le montant de la pension militaire d'invalidité ne doit pas être pris en compte pour l'ouverture du droit à l'allocation n° 9, il doit être inclus dans le montant global des ressources du pensionné pour la détermination du montant de cette allocation ;
- dès lors que le montant global des ressources de l'intimé, qui a atteint l'âge de 65 ans au 18 mars 2011, est supérieur à l'indice de pension 1 200, le versement de l'allocation spéciale n° 9 a été régulièrement suspendu ;
- faute pour l'intéressé d'avoir déclaré ses revenus pour établir le calcul de son allocation, c'est à juste titre que le service a évalué d'office l'ensemble de ses revenus.
Une décision du 26 juin 2020 accorde l'aide juridictionnelle totale à M. A... B....
Par un mémoire enregistré le 4 novembre 2021, M. A... B... représenté par
Me Van Robays, conclut au rejet du recours et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat les entiers dépens et la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 75 du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que
- le recours est irrecevable, faute pour le ministre de justifier que son signataire dispose d'une délégation régulière ;
- le jugement n'est pas irrégulier, dès lors qu'il a lui-même respecté les dispositions de l'article R. 731-3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, et que le ministre a été bel et bien partie à la première instance, son choix de ne pas y produire lui-même d'écritures se justifiant par sa volonté de se faire représenter par la ministre des armées ;
- le ministre ne fait pas la démonstration qu'il recevait, au titre de ses ressources réelles, un revenu supérieur au salaire qu'il percevrait s'il travaillait ;
- c'est à tort que le ministre a fondé sa décision sur des revenus potentiels et non vérifiés de sommes placées en établissement bancaire, sans plus de précisions ;
- en instaurant un indice de pension différent selon que le pensionné a 65 ans, ou plus de 65 ans, l'article L. 35 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre méconnaît l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'union européenne qui prohibent les discriminations liées à l'âge ;
- le ministre ne démontre pas qu'il perçoit un revenu supérieur au salaire qu'il percevrait s'il travaillait par application des articles L. 371-4 et L. 371-7 du code de la sécurité sociale.
La clôture de l'instruction a été fixée au 15 novembre 2021 à 12 heures, par ordonnance du 15 octobre 2021.
Le ministre de l'économie, des finances et de la relance a produit un mémoire le
3 décembre 2021, après la clôture de l'instruction, qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le décret n° 61-443 du 2 mai 1961 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- les observations de Me Van Robays, représentant M. A... B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., né le 18 mars 1946, titulaire de pensions militaires d'invalidité, et bénéficiaire de l'allocation spéciale n° 9, a vu le versement de cette allocation suspendu, en totalité, à compter du 18 mars 2011 par décision du 27 décembre 2016, et par décision du même jour, à compter du 2 avril 2013, dont il a demandé l'annulation au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille, par deux requêtes distinctes. Par jugement du 8 août 2019, dont le ministre de l'action et des comptes publics relève appel, le tribunal, après avoir joint les deux requêtes, a annulé ces décisions.
Sur la fin de non-recevoir opposé au recours du ministre :
2. Par un arrêté du 10 septembre 2019, publié au Journal officiel de la République française du 12 septembre 2019, M. C... D..., administrateur civil, chef du bureau de affaires juridiques, a reçu du directeur général des finances publiques, délégation à l'effet de signer, au nom du ministre chargé du budget, tous actes, à l'exclusion des décrets, dans la limite de ses attributions. Cette délégation lui donnait compétence pour signer au nom du ministre de l'action et des comptes publics le recours en appel. M. A... B... n'est ainsi pas fondé à soutenir que le recours du ministre est irrecevable du fait de l'incompétence de son signataire.
Sur le bien-fondé du jugement
3. Aux termes de l'article L. 35 bis du code des pensions militaire d'invalidité et des victimes de guerre, devenu article L. 131-2 de ce code : " Il est alloué une allocation spéciale aux pensionnés qui se trouvent dans l'impossibilité médicalement constatée d'exercer une activité professionnelle quand cette impossibilité a sa cause déterminante dans une ou plusieurs infirmités incurables indemnisées au titre du présent code, si le reclassement social du pensionné est impossible et si celui-ci ne dispose pas par ailleurs, sous la forme d'une hospitalisation ou tout autrement, de ressources suffisantes. Le reclassement social est réputé possible quand l'invalidité de l'intéressé ne met pas obstacle à sa rééducation professionnelle, éventuellement précédée de sa réadaptation fonctionnelle. Cette allocation a pour effet de porter le montant global des ressources de ces pensionnés à des taux dont le plus élevé ne pourra excéder celui de la pension à l'indice 1500.Un décret, pris dans la forme du décret en Conseil d'Etat, fixera les conditions d'application du présent article ". En vertu de l'article 1er du décret du 2 mai 1961, pris pour l'application de ces dispositions, l'allocation spéciale qu'elles prévoient porte le numéro 9. Aux termes de l'article 5 de ce décret : " Les ressources sont considérées comme suffisantes : / a) soit lorsque le montant annuel des ressources personnelles de l'invalide, non compris la pension d'invalidité servie au titre du code, excède le montant correspondant à l'indice de pension 900 ; / b) soit lorsque l'invalide bénéficie d'un avantage de vieillesse faisant appel à une contribution des travailleurs et pouvant être considéré comme étant le prolongement d'un traitement ou d'un salaire. ". L'article 9 du même décret dispose que : " L'allocation spéciale a pour effet de porter le montant global des ressources de l'invalide pensionné : a) Au taux correspondant à l'indice de pension 1500 pour les invalides âgés de moins de 65 ans ; /
b) Au taux correspondant à l'indice de pension 1200 pour les invalides âgés de 65 ans et plus. ". L'article 10 du décret précise, quant à lui, que : " Pour l'application des articles 5 et 9 du présent décret, entrent en compte les ressources personnelles, tous les avantages de vieillesse, les revenus professionnels et autres estimés selon les règles fixées à l'article L. 689 du code de la sécurité sociale. / (...) ".
4. Si, en vertu des termes mêmes de l'article 5 du décret du 2 mai 1961, il ne peut être tenu compte de la pension militaire d'invalidité pour la détermination des droits de l'invalide pensionné à l'allocation spéciale instituée par l'article L. 35 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, il résulte de la combinaison des articles 9 et 10 du décret du 2 mai 1961 que le taux du montant total des ressources de l'invalide pensionné que le versement de l'allocation ne doit pas avoir pour effet de dépasser, correspond à l'ensemble des ressources qui ne sont pas expressément écartées par l'alinéa 2 de l'article 10, et qui recouvrent notamment la pension militaire d'invalidité.
5. Pour annuler les décisions portant suspension du versement de l'allocation spéciale
n° 9 au bénéfice de M. A... B..., le tribunal s'est fondé sur le caractère aléatoire et non justifié de l'évaluation faite par les services du ministère chargé du budget des revenus tirés par M. A... B... de placements immobiliers, et sur l'impossibilité légale pour ces services de tenir compte de la pension militaire d'invalidité de l'intéressé pour le calcul de cette allocation.
6. Toutefois et d'une part, il résulte des termes mêmes des certificats de suspension en litige qu'au titre de chaque année éligible à l'allocation spéciale n° 9, a été retenue avec suffisamment de précision la somme de 603, 92 euros, dont ni l'origine tirée de placements immobiliers, ni le montant, ne sont discutés par M. A... B... qui, en se bornant à relever que l'administration ne lui a pas adressé de demande d'informations complémentaires, ne conteste pas davantage ne pas avoir fourni aux services compétents l'ensemble des informations nécessaires à l'établissement de ses ressources personnelles pour ces années. Ainsi lesdites sommes, qui entrent en compte dans les ressources personnelles de M. A... B... au titre des dispositions des articles 9 et 10 du décret du 2 mai 1961, ont été prises en considération à bon droit par le ministre pour suspendre le versement de l'allocation spéciale n° 9 de l'intéressé.
7. D'autre part et en tout état de cause, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges et à ce que persiste à affirmer M. A... B... en cause d'appel, que pour décider de suspendre le versement de son allocation spéciale n° 9, le ministre aurait tenu compte, au titre de l'établissement de ses droits à allocation, de sa pension militaire d'invalidité, il est constant que le montant de l'ensemble des ressources personnelles de l'intéressé au titre des années en cause, susceptibles d'être prises en compte pour l'application de l'article 9 du décret du 2 mai 1961 et au nombre desquelles le ministre pouvait légalement tenir compte de ladite pension, excède le taux correspondant à l'indice de pension 1 200 prévu à l'article 9 de ce décret.
8. Il suit de là que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que pour annuler ses décisions, le tribunal s'est fondé sur ces deux motifs.
9. Il appartient ainsi à la Cour, par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de première instance et d'appel de M. A... B....
10. D'une part, M. A... B... prétend que les dispositions de l'article 9 du décret du
2 mai 1961 méconnaissent le principe de non-discrimination en fonction de l'âge, tel que rappelé par l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et tel que posé par les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Mais l'article 51 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne prévoit que : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union. (...) ". Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 21 de cette Charte ne peut ainsi être accueilli, dès lors que ni le décret du 2 mai 1961, ni les décisions litigieuses ne mettent pas en œuvre le droit de l'Union.
En outre, dans la mesure où le principe de non-discrimination posé par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme ne concerne que la jouissance des droits et libertés reconnus par la convention et ses protocoles additionnels et où, pour se prévaloir de ce principe, M. A... B... n'invoque aucun droit ni aucune liberté dont la jouissance se trouverait affectée par la discrimination alléguée, son moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations est lui aussi inopérant.
11. D'autre part, dès lors que pour prendre les mesures en litige, le ministre s'est fondé sur les dispositions de l'article 9 du décret du 2 mai 1961, dont l'application ne dépend pas des revenus perçus par l'invalide pensionné en période d'activité professionnelle, M. A... B..., dont la pension militaire d'invalidité n'est d'ailleurs pas versée par la sécurité sociale au titre de l'assurance invalidité, ne peut utilement affirmer que le ministre ne démontrerait pas que ses revenus seraient supérieurs au salaire qu'il percevrait s'il travaillait.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, et sans qu'il soit besoin de statuer sur sa régularité, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille a annulé ses décisions. Il y a donc lieu d'annuler ce jugement et de rejeter les demandes de M. A... B....
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse une quelconque somme au titre des frais exposés par M. A... B... et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre doivent donc être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement 17/00088 du 8 août 2019 du tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. A... B... devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille et ses conclusions d'appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 21 décembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Revert, président-assesseur,
Mme Marchessaux, première conseillère,
Mme Renault, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 24 décembre 2021.
N° 19MA057253