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24/12/2021 | FRANCE | N°19MA01577

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 24 décembre 2021, 19MA01577


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 7 février 2018 par laquelle le directeur de la caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPCAM) des Bouches-du-Rhône a ordonné sa suspension d'exercer dans le cadre conventionnel pour une durée de douze mois à compter du 1er mars 2018, et d'enjoindre à la CPCAM de s'abstenir de mettre en œuvre cette décision sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir.

Par un jug

ement n° 1802501 du 7 février 2019, le tribunal administratif de Marseille a reje...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 7 février 2018 par laquelle le directeur de la caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPCAM) des Bouches-du-Rhône a ordonné sa suspension d'exercer dans le cadre conventionnel pour une durée de douze mois à compter du 1er mars 2018, et d'enjoindre à la CPCAM de s'abstenir de mettre en œuvre cette décision sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir.

Par un jugement n° 1802501 du 7 février 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 et 10 avril 2019, Mme B..., représentée par Me Baillon-Passe, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 février 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 7 février 2018 par laquelle le directeur de la caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPCAM) des Bouches-du-Rhône a ordonné sa suspension d'exercer dans le cadre conventionnel pour une durée de douze mois à compter du

1er mars 2018 ;

3°) de mettre à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône une somme de 7 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier faute pour le tribunal d'avoir répondu aux moyens tirés de l'irrégularité de la convocation du 2 juin 2017 à un entretien du 19 juin 2017, de l'absence de d'information préalable à l'audition du 10 juillet 2017, du non-respect du principe du contradictoire, du défaut de fondement de la pénalité de 22 286,25 euros et de la méconnaissance du principe de proportionnalité, ainsi qu'au moyen tiré de la composition irrégulière de la commission paritaire départementale des infirmiers et au moyen tiré de l'insuffisance de motivation du relevé de constatation ;

- le jugement est encore irrégulier pour insuffisance de motivation, faute d'avoir suffisamment répondu aux moyens tirés de l'incompétence des agents de la caisse pour signer les convocations, de la méconnaissance des droits de la défense et de l'inexactitude matérielle des faits ;

- le jugement est entaché d'erreurs de fait et de droit s'agissant, respectivement, des circonstances et de la tenue de l'audition du 10 juillet 2017 et des relevés de constatation, et de l'extinction de la procédure initiée par l'avertissement du 30 novembre 2015 ;

- la requérante n'a pas été informée de la nature des faits reprochés, préalablement à l'audition ;

- les différents actes de la procédure de sanction ne reposent pas tous sur les mêmes griefs ;

- les griefs fondant la sanction en litige ne sont prévus par aucun texte ;

- la commission paritaire départementale des infirmiers n'a reçu aucun dossier ni aucune pièce exploitable et à jour pour rendre son avis, dont il n'est pas possible d'établir la motivation suffisante, puisque non produit à l'instance ;

- les pièces du dossier ne permettent pas de s'assurer de la composition régulière de cette commission, au regard de l'article 7.3.3 de la convention nationale des infirmiers ;

- en recueillant l'avis du directeur de la mutuelle sociale agricole, sans rapport avec la procédure de sanction d'un infirmier, le directeur de la CPCAM a entaché sa décision d'irrégularité procédurale ;

- le relevé de constatations, qui vise des faits nouveaux, est imprécis et insuffisamment motivé ;

- la décision en litige se fonde sur des faits qui sont sans rapport avec la procédure d'avertissement, antérieurs à elle, et qui plus est amnistiés et prescrits, alors que, pour écarter ce moyen, les premiers juges se sont fondés sur un texte qui n'était pas invoqué par les parties ;

- la sanction en litige méconnaît par conséquent la règle non bis in idem ;

- cette mesure viole également le principe de personnalité des peines, en ce que la requérante ne réalise elle-même aucune prescription ;

- la décision litigieuse, qui ne pouvait se fonder sur l'absence d'élaboration préalable d'une démarche de soins infirmiers, a été prise en méconnaissance du principe de proportionnalité et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juillet 2020, la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, représentée par Me Ceccaldi, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Une ordonnance du 4 août 2020 a fixé la clôture de l'instruction au 7 septembre 2020 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 18 juillet 2007 portant approbation de la convention nationale destinée à régir les rapports entre les infirmières et les infirmiers libéraux et les organismes d'assurance maladie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,

- les observations de Me Ceccaldi, représentant la CPCAM des Bouches-du-Rhône.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., qui exerce la profession d'infirmière libérale, a été soumise par les services de la caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPCAM) des Bouches-du-Rhône à un contrôle de sa facturation sur la période du 1er janvier 2013 au 30 janvier 2014 et a été en conséquence l'objet le 30 novembre 2015 d'un avertissement pour non-respect des règles conventionnelles qui régissent les rapports entre les infirmiers libéraux et les organismes d'assurance maladie. Après un nouveau contrôle de facturation, réalisé sur la période du

2 janvier 2016 au 31 mars 2017, Mme B... s'est vue notifier le 23 novembre 2017 un relevé de constatations soulignant la réitération d'actes contraires aux règles conventionnelles. Après avis de la commission paritaire départementale des infirmiers du 25 janvier 2018, le directeur de la CPCAM des Bouches-du-Rhône a prononcé à son encontre, le 7 février 2018, la suspension de la possibilité pour elle d'exercer dans un cadre conventionnel pour une durée de douze mois, à compter du 1er mars 2018. Par jugement du 7 février 2019, dont elle relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D'une part, contrairement aux allégations de Mme B..., le tribunal a statué, aux points 6, 8, 15 et 16, 23, et 29, respectivement sur ses moyens tirés, d'abord, de l'irrégularité de la procédure de l'audition tenue le 10 juillet 2017, compte tenu de l'illégalité de la convocation, de l'absence d'information sur l'objet et la nature de l'audition, du défaut de document y afférent et du caractère non contradictoire de la procédure, ensuite de l'extinction de la procédure par expiration du délai d'un mois prévu à l'article 7 de la convention nationale des infirmiers, en outre de l'absence de preuve quant à la légalité de l'avis de la commission départementale paritaire des infirmiers et à la régularité de composition de celle-ci, encore de l'absence de fondement de la procédure de pénalité d'un montant de 22 286, 25 euros, et enfin de la méconnaissance du principe de proportionnalité. Si, par ailleurs, l'appelante se plaint de ce que ses développements consacrés aux principes des droits de la défense et du contradictoire n'auraient reçu aucune réponse dans le jugement, elle n'en avait tiré aucun autre moyen que ceux sur lesquels le tribunal s'est prononcé. Elle n'est donc pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'omissions à statuer.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

4. Compte tenu de l'imprécision de deux moyens dont ils étaient saisis et qui consistaient, pour le premier moyen, à se plaindre de l'incompétence de ses interlocuteurs pour signer les convocations et du défaut d'habilitation pour signer des courriers de mises en demeure de payer, sans indiquer avec exactitude les documents ainsi visés et, pour le second moyen, de l'erreur de fait qui entacherait la décision en litige, et dont la formulation consistait seulement en un renvoi aux observations de la requérante en réponse au relevé de constatation, c'est sans irrégularité que les premiers juges les ont écartés comme dépourvus de précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

5. En ne précisant pas en quoi ne serait pas suffisamment motivé le jugement en ce qu'il considère que l'auteur de l'avertissement du 30 novembre 2015 est le directeur de la CPCAM des Bouches-du-Rhône, M. C..., en poste depuis le 9 février 2010, l'appelante n'assortit pas non plus son moyen des précisions suffisantes pour en apprécier la pertinence.

6. Dès lors que le tribunal a considéré comme inopérants les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure d'audition du 10 juillet 2017, il n'était pas tenu, à peine d'irrégularité, de motiver sur ce point son jugement. Il en va de même des moyens liés à l'incompétence du signataire de la lettre de notification de payer du 10 octobre 2017 et des mises en demeure de payer, la mesure litigieuse n'ordonnant pas le recouvrement d'une créance.

7. Enfin, quand bien même de tels moyens n'auraient pas été soulevés devant eux, c'est sans entacher leur jugement d'irrégularité que les premiers juges, qui ont par ailleurs répondu au moyen de l'illégalité de l'avis de la commission paritaire départementale des infirmiers, ont statué sur l'absence de transmission de la décision litigieuse aux membres de cette commission et sur la méconnaissance de l'article L. 1332-5 du code du travail.

8. Mme B... n'est donc pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les dispositions législatives et réglementaires applicables

9. Aux termes de l'article L. 161-12-1 du code de la sécurité sociale : " Les infirmiers sont tenus d'effectuer leurs actes dans le respect des dispositions prises pour l'application du titre Ier du livre III de la quatrième partie du code de la santé publique et en observant la plus stricte économie compatible avec l'exécution des prescriptions. ". L'article L. 162-12-2 du même code dispose : " Les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les infirmiers sont définis, dans le respect des règles déontologiques fixées par le code de la santé publique, par une convention nationale conclue (...) entre une ou plusieurs organisations syndicales les plus représentatives des infirmiers et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie./ Cette convention détermine notamment:/ 1° Les obligations respectives des caisses primaires d'assurance maladie et des infirmiers (...)/ 3° Les conditions, à remplir par les infirmiers pour être conventionnés et notamment celles relatives (...) aux sanctions prononcées le cas échéant à leur encontre pour des faits liés à l'exercice de leur profession (...) ainsi qu'à la zone d'exercice définies par l'agence régionale de santé en application de l'article L. 1434-7 du code de la santé publique (...) ".

10. En outre, aux termes de l'article 7.4.1 de la convention nationale des infirmières et des infirmiers libéraux, relatif au " Non-respect des dispositions de la présente convention " : " Les parties signataires sont convenues de définir dans le présent paragraphe les situations pour lesquelles un professionnel qui, dans son exercice, ne respecte pas ses engagements conventionnels est susceptible de faire l'objet d'un examen de sa situation par les instances paritaires et d'une éventuelle sanction. Les partenaires conventionnels souhaitent néanmoins que les caisses, les CPD et les professionnels favorisent autant que possible le dialogue et la concertation avant d'entamer une procédure. Ils rappellent que les sanctions conventionnelles visent avant tout à atteindre un changement durable de comportement qui ne serait pas conforme à la convention. a) Non-respect des règles conventionnelles constaté par une caisse En cas de constatation, par une caisse, du non-respect des dispositions de la présente convention par une infirmière ou un infirmier libéral, notamment sur : - l'application, de façon répétée, de tarifs supérieurs aux tarifs opposables ; - l'utilisation abusive du DPE ; - la non-utilisation ou la mauvaise utilisation, de façon répétée, des documents ou de la procédure auxquels sont subordonnées la constatation des soins et leur prise en charge par l'assurance maladie ;

- la non-inscription, de façon répétée, du montant des honoraires perçus, au sens de l'article 5.2.6 de la présente convention ; - le non-respect, de façon répétée, de la liste visée à l'article

L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale (NGAP), la procédure décrite au b peut être mise en œuvre. b) Procédure Paragraphe 1 : La CPAM du lieu d'implantation du cabinet professionnel principal qui constate le non-respect par une infirmière ou un infirmier des dispositions de la présente convention lui adresse un avertissement par lettre recommandée avec accusé de réception. L'avertissement doit comporter l'ensemble des faits qui sont reprochés au professionnel. L'infirmière ou l'infirmier dispose d'un délai d'un mois à compter de cet avertissement pour modifier sa pratique : - si, à l'issue de ce délai, l'infirmière ou l'infirmier n'a pas modifié la pratique reprochée, la CPAM du lieu d'implantation du cabinet professionnel principal, qui agit pour le compte de l'ensemble des caisses, communique le relevé des constatations à l'infirmière ou à l'infirmier concerné par lettre recommandée avec avis de réception, avec copie aux membres titulaires des deux sections de la CPD ; - la CPAM procédera à ce même envoi et la procédure d'avertissement sera réputée effectuée si, dans un délai d'un an suivant le courrier d'avertissement non suivi de sanction, l'infirmière ou l'infirmier a renouvelé les mêmes faits reprochés. Paragraphe 2 : L'infirmière ou l'infirmier dispose d'un délai d'un mois à compter de la date de communication du relevé des constatations pour présenter ses observations écrites éventuelles et/ou être entendu à sa demande par le directeur de la caisse ou son représentant. L'infirmière ou l'infirmier peut se faire assister par un avocat ou une infirmière de son choix exerçant régulièrement sa profession et placée sous le régime de la présente convention. La CPD, pour donner son avis, invite l'infirmière à lui faire connaître ses observations écrites et demande à l'entendre dans un délai qu'elle lui fixe. Dans le même temps, l'infirmière peut être entendue à sa demande par la CPD, elle peut se faire assister par un avocat ou une infirmière de son choix exerçant régulièrement sa profession et placée sous le régime de la présente convention. L'avis de la CPD est rendu dans les 60 jours à compter de sa saisine. A l'issue de ce délai, l'avis est réputé rendu. A l'issue de ce délai, les caisses décident de l'éventuelle sanction. Le directeur de la CPAM, pour le compte des autres régimes, notifie au professionnel la mesure prise à son encontre par lettre recommandée avec accusé de réception. La caisse communique également la décision aux membres de la CPD en lui envoyant la copie de la lettre adressée au professionnel. Cette notification précise la date d'effet de la décision et les voies de recours ; cette décision doit être motivée. Lorsque le directeur de la CPAM prend à l'encontre d'un professionnel une mesure : - de suspension de tout ou partie de la participation des caisses au financement des cotisations sociales supérieure ou égale à 6 mois, - ou de suspension de la possibilité d'exercer dans le cadre conventionnel supérieure ou égale à 3 mois, et que cette mesure est supérieure à celle proposée par la CPD dans son avis, il en informe par courrier le secrétariat de la CPN qui inscrit ce point à l'ordre du jour de la réunion suivante. L'application de la décision du directeur est dans ce cas suspendue jusqu'à avis de la CPN ".

11. Il résulte de ces dispositions que le non-respect par un infirmier libéral des règles posées par la convention nationale des infirmières et des infirmiers libéraux permet à la caisse d'assurance maladie de prononcer la suspension de la possibilité pour ce professionnel de santé d'exercer dans le cadre conventionnel, soit à titre temporaire à raison d'une durée allant d'une semaine à un an, soit pour la durée d'application de la convention, le déconventionnement pour une durée égale ou supérieure à trois mois entraînant la suspension de la participation des caisses au financement des cotisations sociales pour une durée égale à celle de la mise hors convention.

En ce qui concerne la légalité externe

12. Premièrement, il ne ressort ni des dispositions législatives et réglementaires applicables au prononcé d'une mesure de suspension de la possibilité pour un infirmier d'exercer dans le cadre conventionnel, ni d'aucun principe, que le professionnel à l'encontre duquel est engagée une procédure de suspension devrait être entendu par les services de la CPCAM au cours d'une audition donnant lieu à établissement d'un procès-verbal. S'il ressort des pièces du dossier que le 10 juillet 2017, Mme B... a été convoquée par la CPCAM des Bouches-du-Rhône pour une audition, sur le double fondement de l'article L. 162-1-14 du code de la sécurité sociale et de l'article 441-6 du code pénal, il ne résulte ni des énonciations de la mesure en litige, qui mentionne cet entretien à titre purement informatif, ni d'aucune autre pièce du dossier, que pour prendre sa décision, le directeur de la caisse ait entendu tirer des conséquences de cette audition, notamment du silence gardé par l'intéressée aux questions qui lui ont été posées. Par suite, l'ensemble des irrégularités dénoncées par Mme B... à l'encontre de la procédure d'audition demeure sans incidence sur la légalité de la décision en litige. Doivent donc être écartés comme inopérants, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, les moyens tirés de l'irrégularité de la convocation à l'audition du 10 juillet 2017, de l'absence d'information sur l'objet et la nature de celle-ci et du défaut de document y afférent, et de la méconnaissance des principes du contradictoire et des droits de la défense.

13. Deuxièmement, le délai d'un mois, mentionné au b) de l'article 7.4.1. de la convention nationale des infirmières et des infirmiers libéraux, cité au point 10, et dont doit être assorti l'avertissement qu'il prévoit, est destiné à permettre au professionnel de santé de modifier la pratique reprochée et partant d'éviter une procédure de sanction. Il résulte de ces mêmes dispositions que si pour décider de suspendre un infirmier de la possibilité d'exercer dans le cadre conventionnel, le directeur de la caisse primaire d'assurances maladie entend tirer les conséquences de ce que, dans le délai minimal d'un an suivant l'avertissement non suivi de sanction, le professionnel a renouvelé les mêmes faits que ceux reprochés dans cet avertissement, la communication du relevé de constatations à laquelle il procède vaut nouvel avertissement au sens desdites dispositions.

14. Ainsi et d'une part c'est sans illégalité que la seconde période de contrôle de la facturation de Mme B... a débuté le 2 janvier 2016, à l'expiration du délai d'un mois suivant la réception de l'avertissement du 30 novembre 2015. Si le terme de cette période a été fixé

au-delà du délai d'un an prévu pour constater la réitération des manquements visés dans l'avertissement, il n'en résulte aucune irrégularité, un tel délai ne revêtant pas un caractère maximal. En se bornant à invoquer l'impossibilité pour elle de connaître les contrôles qui ont été effectués entre le 2 décembre 2016 et le 31 mars 2017, l'appelante n'assortit pas son moyen des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

15. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 13, la circonstance que le relevé de constatations du 23 novembre 2017, dont la transmission aux membres de la commission départementale paritaire des infirmiers n'est pas sérieusement contestée, a été communiqué à l'expiration du délai d'un mois imparti à la requérante par l'avertissement du 30 novembre 2015 pour modifier ses pratiques, n'a pas pour effet de faire obstacle à la poursuite de la procédure de suspension et au prononcé de la mesure litigieuse, fondée sur la réitération des faits ainsi reprochés. En mentionnant ce délai d'un mois dans l'avertissement du 30 novembre 2015 l'administration ne s'est pas engagée à ne pas faire usage de la procédure prévue en cas de renouvellement des manquements au cours de l'année suivant cette mise en demeure. Ainsi que le prévoient les dispositions du b) de l'article 7.4.1 de la convention et dès lors que Mme B... a renouvelé pendant un an suivant l'avertissement les mêmes manquements que ceux visés par cet acte, la communication du relevé de constatations de tels manquements, daté du

23 novembre 2017, a eu pour effet, non seulement que la procédure d'avertissement était réputée effectuée, mais encore que les faits constatés dans le relevé n'avaient pas à être strictement identiques à ceux visés dans l'avertissement initial, les griefs de facturation de frais de déplacement à tort et de facturation d'actes non cumulables, visés dans cet avertissement, ne figurant plus dans ledit relevé. Si ce relevé vise également des faits de facturation d'actes au moyen de prescriptions médicales falsifiées pour trois patients, qui ne sont pas mentionnés dans l'avertissement du 30 novembre 2015, il résulte des termes mêmes de la décision en litige que ce manquement n'est pas au nombre de ceux retenus par le directeur de la caisse pour infliger la sanction de suspension. Le non-respect des dispositions du b) de l'article 7.4.1 de la convention, en ce qui concerne ce grief, demeure donc sans incidence sur la régularité de la procédure de suspension. Le moyen, pris en ses différentes branches, de la méconnaissance de ces dispositions ne peut donc qu'être écarté.

16. Troisièmement, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'absence de preuve de la réception par la requérante des annexes au relevé de constatations du 23 novembre 2017 par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 8 de leur jugement et non sérieusement discutés par l'appelante.

17. Quatrièmement, en mentionnant dans le détail les dates, natures et importances des actes reprochés, le relevé de constatations du 23 novembre 2017 et ses annexes, dont des fiches détaillées " par assuré ciblé " décrivant, patient par patient, les anomalies de facturation récapitulées dans des tableaux de synthèse, sont suffisamment précis et compréhensibles pour permettre au professionnel de santé de présenter ses observations écrites et le cas échéant, être entendu à sa demande par le directeur de la caisse ou son représentant, sur les manquements qui lui sont ainsi reprochés.

18. Cinquièmement, faute d'articuler en cause d'appel un moyen de légalité de la décision en litige sur le fondement de cette argumentation, Mme B... ne peut utilement soutenir, en tout état de cause, que le jugement serait affecté d'une contradiction interne en relevant tout à la fois que pour établir la réalité des manquements en cause, la CPCAM pouvait s'appuyer les auditions de ses patients et qu'est inapplicable à cette procédure l'article D. 315-2 du code de la sécurité sociale, en l'absence de tout contrôle médical au sens de ces dispositions.

19. Sixièmement, en soutenant que faute d'avoir reçu communication de l'avis rendu le 25 janvier 2018 par la commission paritaire départementale des infirmiers, la CPAM ne rapporte pas la preuve de sa légalité, la requérante, qui par cette argumentation inverse la charge de l'allégation précise, ne met pas le juge d'appel à même de statuer sur son moyen en toute connaissance de cause. Contrairement à ce qui est par ailleurs affirmé, il ressort des pièces du dossier, notamment de cet avis, dûment communiqué à l'intéressée devant le tribunal, et des attestations des membres de la commission, que ceux-ci avaient reçu non seulement le relevé de constatations et ses annexes, mais également les pièces relatives aux manquements reprochés et n'ont donc pas statué au vu d'un dossier incomplet. Tant l'avis de la commission que le procès-verbal de la séance permettent de s'assurer de la composition régulière de cet organe, au titre de laquelle la requérant se borne à formuler des interrogations, sans articuler de moyens.

20. Septièmement, aucune des dispositions applicables à la procédure de suspension d'exercice dans un cadre conventionnel n'impose la motivation de l'avis de la commission paritaire départementale des infirmiers. Le moyen de Mme B... selon lequel " rien ne prouve que l'avis de la commission comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait " ne peut donc qu'être écarté.

21. Enfin, dans la mesure où une telle consultation, bien que non prévue par les textes applicables à la procédure de suspension, ne prive le professionnel de santé d'aucune garantie, la circonstance qu'avant de signer la suspension en litige, le directeur de la CPCAM a recueilli l'avis favorable du directeur de la mutuelle sociale agricole est en tant que telle sans effet sur la régularité de la procédure.

En ce qui concerne la légalité interne

22. Pour prononcer la suspension litigieuse, le directeur de la CPCAM s'est fondé, conformément à l'avis favorable de la commission paritaire départementale du 25 janvier 2018, sur la commission par Mme B... d'actes non effectués sur cinq patients, pour un montant de 8336,90 euros, d'actes non prescrits par un médecin en violation de l'article 5 de la NGAP concernant huit patients, pour un montant de 30 180,62 euros, et sur le non-respect de la durée des séances concernant huit patients, pour un montant de 8 177, 37 euros.

23. D'abord, si la décision en litige mentionne également la sanction ordinale d'interdiction de soins pour une durée de deux ans, infligée à Mme B... le

26 septembre 2003, ainsi que des pénalités financières décidées le 3 août 2011 pour les années 2008 et 2009, de telles mentions, portées à titre purement indicatif, ne constituent pas les motifs de la sanction professionnelle ainsi prononcée. Par suite Mme B... ne peut utilement se prévaloir de la loi d'amnistie du 6 août 2002 ou de la prescription de l'article L. 1332-5 du code du travail pour soutenir l'impossibilité légale de mentionner ces interdiction et pénalités. Si, par arrêt du 1er juin 2018, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a annulé les pénalités au titre des indus et pénalités des années 2008 et 2009, l'effet rétroactif de cette censure, qui emporte annulation des normes contenues dans ces mesures, demeure sans effet sur la matérialité de l'indication contenue à ce titre dans la suspension litigieuse. Pour les mêmes motifs, et alors que les faits ayant justifié la sanction litigieuse n'ont pas été l'objet d'une précédente sanction, Mme B... ne peut utilement se prévaloir de la règle non bis in idem.

24. Ensuite, contrairement à ce qu'affirme l'appelante, les dispositions de l'article 7.4.1 de la convention n'ont ni pour objet ni pour effet d'énumérer de manière limitative les manquements aux règles conventionnelles susceptibles d'être sanctionnés par la CPCAM. C'est donc sans méconnaître ces dispositions que le directeur de la CPCAM, qui ne s'est pas fondé sur le motif tiré de prescriptions falsifiées pour trois patients, ainsi qu'il a été dit au point 15, a pu retenir comme grief de sanction celui des facturations d'actes non effectués pour cinq patients, bien que ne figurant pas expressément auxdites dispositions.

25. Enfin en affirmant qu'aucune pièce du dossier ne justifie les griefs retenus contre elle et que les tableaux produits sont comptables et informatiques, non des contrôles d'actes mais des contrôles de facture, Mme B... ne conteste pas valablement la matérialité des manquements énoncés dans la mesure litigieuse et décrits précisément dans les pièces qui lui sont annexées. Faute pour elle, en outre, de contester avoir facturé les actes n'ayant pas donné lieu à prescription, et de produire les formulaires correspondant aux démarches de soins infirmiers ou en en produisant que certains d'entre eux, remplis par des médecins traitants,

Mme B... ne peut pas valablement se prévaloir de la méconnaissance du principe de personnalité des peines. L'ensemble des manquements retenus contre Mme B... aux règles conventionnelles, leur gravité et leur persistance au cours de la procédure de suspension, sont de nature à justifier légalement le prononcé d'une suspension, dont ni la nature ni la durée ne sont ainsi disproportionnées, nonobstant la circonstance, justifiée par la CPCAM par la mise en œuvre d'une compensation entre les dettes et les créances de Mme B..., que le préjudice engendré pour la caisse par ces manquements, estimé dans le relevé de constatations à 84 081, 14 euros, a été ramené dans la décision litigieuse à 46 694,89 euros.

26. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit donc être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et ses prétentions relatives aux frais d'instance.

27. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la CPCAM des Bouches-du-Rhône et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Mme B... versera une somme de 3 000 euros à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 21 décembre 2021, où siégeaient :

- M. Revert, président,

- Mme Marchessaux, première conseillère,

- Mme Renault, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition par le greffe, le 24 décembre 2021.

N° 19MA015773


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA01577
Date de la décision : 24/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

62-02-01-05 Sécurité sociale. - Relations avec les professions et les établissements sanitaires. - Relations avec les professions de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. REVERT
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : BAILLON-PASSE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-12-24;19ma01577 ?
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