Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler la décision du 28 février 2018 par laquelle le président du syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud, la société EDF et la société Enedis ont implicitement refusé de déplacer le poteau supportant des lignes électriques et irrégulièrement implanté sur sa parcelle cadastrée section D n°1849, et de faire droit à sa demande d'indemnisation, d'autre part, d'enjoindre solidairement au syndicat départemental, à la société EDF et à la société Enedis de déplacer à leurs frais le poteau et les lignes électriques et, enfin, de les condamner solidairement à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation de ses préjudices.
Par un jugement n°1800363 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Bastia a mis hors de cause les sociétés EDF et Enedis, a condamné le syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud à verser à M. B... la somme de 1000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de l'emprise irrégulière sur sa propriété du fait du poteau supportant des lignes électriques et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 décembre 2019 et les 12 et 24 mars 2021 et le 10 avril 2021, M. B..., représenté par Me Bleines-Ferrari, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 novembre 2019 en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à sa demande ;
2°) à titre principal, d'annuler la décision implicite de rejet du 21 février 2018, de condamner solidairement le syndicat départemental d'énergie de Corse-du-Sud et la société EDF à déplacer à leurs frais le poteau et les lignes électriques irrégulièrement implantés sur son terrain et à lui verser la somme de 30 000 euros au titre des dommages et intérêts ;
3°) subsidiairement, d'annuler cette décision et de condamner solidairement le syndicat départemental d'énergie de Corse-du-Sud et la société EDF à lui verser la somme de 500 000 euros en réparation du préjudice lié à la perte de valorisation de sa propriété et la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
4°) en tout état de cause, de mettre à la charge solidaire du syndicat départemental d'énergie de Corse-du-Sud et de la société EDF la somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a omis de statuer sur son argumentation relative au principe de précaution et à la dangerosité des ouvrages publics en cause ;
- c'est irrégulièrement que le tribunal a mis hors de cause la société EDF, dans la mesure où il n'a pas reçu communication de la concession de service public ni de l'annexe 1 au cahier des charges de cette concession, portant transfert de maîtrise d'ouvrage au syndicat intercommunal, où une telle convention est irrégulière et où en tout état de cause les travaux d'implantation irrégulière ont été réalisés antérieurement à ce transfert ;
- ni sa demande préalable, ni sa demande contentieuse tendant au déplacement des ouvrages publics, et non à leur démolition, ne sont tardives ;
- l'irrégularité de l'emprise est établie par le jugement querellé ;
- l'implantation desdits ouvrages ne peut être régularisée, les autorités compétentes n'en ayant pas l'intention sérieuse et une éventuelle régularisation portant une atteinte disproportionnée à son droit de propriété tel que protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, l'article 544 du code civil, l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et il n'est justifié d'aucune atteinte suffisante à l'intérêt général en cas de déplacement, notamment du fait de son coût, ou du nombre de personnes desservies par le réseau, non établi dans son importance, ni d'une impossibilité matérielle de celui-ci ;
- le défenseur des droits a pris position formelle en sa faveur ;
- la seule présence des ouvrages publics litigieux, face à sa maison, constitue une mise en danger de la santé de ses occupants, contraire au principe de précaution posé par l'article 5 de la charte de l'environnement et l'article L. 110-1 du code de l'environnement ;
- le jugement attaqué méconnaît les stipulations des articles 6, 13, 14, 17, 18 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et l'article 1er de son premier protocole additionnel, du fait du refus de déplacer les ouvrages et d'assurer une juste et équitable indemnisation des préjudices subis ;
- le poteau et les lignes engendrent une gêne et une perte de valorisation de son terrain qui n'est pas constructible dans son intégralité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2020, la société anonyme (SA) EDF conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'appelant la somme de 2000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le requérant, qui a fait l'acquisition de son terrain supportant le poteau et les lignes électriques en toute connaissance de cause, ne peut efficacement se prévaloir du droit de propriété ;
- en vertu de l'annexe à la concession de service public conclue entre la SA et le syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud, c'est à bon droit que les premiers juges l'ont mise hors de cause ;
- le déplacement du poteau et des lignes, dont la gêne procurée au terrain du requérant n'est pas prouvée, porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ;
- compte tenu de l'antériorité de l'implantation des ouvrages publics par rapport à l'achat du terrain d'implantation, il n'est justifié d'aucune dépréciation, alors que les troubles de jouissance et la gêne occasionnée par la surveillance et l'entretien sont minimes.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 février 2021 et le 26 mars 2021, le syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud conclut à ce que le jugement attaqué soit infirmé, à ce que la demande de première instance soit rejetée et à ce qu'une somme de 3000 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la demande tendant au déplacement des ouvrages publics est tardive, la demande préalable étant purement confirmative de demandes précédentes et une telle irrecevabilité pouvant valablement être soulevée pour la première fois en appel ; cette demande n'est en tout état de cause pas fondée ;
- sont irrecevables les conclusions indemnitaires présentées pour la première fois en appel ;
- l'emprise irrégulière est susceptible d'être régularisée selon la procédure de déclaration d'utilité publique prévue aux articles L. 323-3 et suivants du code de l'énergie, dont la conformité à la Constitution ne peut être utilement contestée et dont la compatibilité avec le droit de propriété tel que protégé par les stipulations internationales n'est pas contestable, cette procédure d'institution d'une servitude n'emportant pas dépossession ;
- le principe de précaution, qui ne peut être utilement invoqué en l'absence de risque de dommage à l'environnement, n'a pas été méconnu, le requérant ayant sciemment sollicité le transfert du permis de construire délivré à son père sur le terrain en cause et les dangers pour la santé n'étant pas établis ;
- la lettre du défenseur des droits du 6 juillet 2017 est un simple avis qui ne s'impose pas à la juridiction ;
- une procédure de déclaration d'utilité publique a été sollicitée ;
- à supposer l'emprise non régularisable, le déplacement des ouvrages porterait une atteinte excessive à l'intérêt général, la ligne alimentant sept postes de transformation desservant 91 abonnés, les travaux correspondant étant onéreux et techniquement compliqués et le requérant pouvant réaliser son projet sur d'autres parties de sa parcelle ;
- le principe d'antériorité de l'ouvrage public s'oppose à toute indemnisation de préjudice.
Par ordonnance du 8 juillet 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 29 juillet 2021 à 12 heures.
Une note en délibéré, enregistrée le 8 décembre 2021, a été présentée pour M. B....
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution du 4 octobre 1958, et notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'énergie ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-518 QPC du 2 février 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Micalef, substituant Me Bleines-Ferrari, représentant M. B..., et de Me de Casalta-Bravo, représentant le syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a fait l'acquisition le 12 février 2016 d'un terrain non bâti, cadastré section D n°1849, d'une contenance de 9100 m², situé sur la commune d'Ocana, sur lequel son père, précédent propriétaire de la parcelle, s'était fait délivrer le permis de construire une maison individuelle de 249 m² de surface de plancher, dont il a obtenu le transfert par arrêté du 8 mars 2016. Ce terrain supportant en sa partie sud un poteau et ses lignes électriques, M. B... en a demandé le déplacement à la société EDF, à la société Enedis et au syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud, ainsi que la réparation des conséquences dommageables, par lettre du 26 décembre 2017. Par jugement du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Bastia, après avoir mis hors de cause les sociétés EDF et Enedis, a considéré que l'implantation du poteau supportant les lignes électriques constituait une emprise irrégulière, a alloué à M. B... la somme de 1000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de cette emprise irrégulière et a rejeté le surplus de sa demande. M. B... relève appel de ce jugement en ce qu'il n'a pas fait intégralement droit à sa demande dirigée contre la société EDF et le syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Lorsque le juge administratif est saisi d'une demande d'exécution d'une décision juridictionnelle qui juge qu'un ouvrage public a été implanté de façon irrégulière, il lui appartient, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'exécution de cette décision implique qu'il ordonne le déplacement de cet ouvrage, de rechercher, d'abord, si, eu égard notamment aux motifs de la décision, une régularisation appropriée est possible ; dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d'une part, les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de l'enlèvement pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si cet enlèvement n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
3. Pour rejeter les conclusions de M. B... tendant à ce qu'il soit enjoint au syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud de procéder au déplacement du poteau supportant des lignes électriques, constitutifs d'ouvrages publics, le tribunal a considéré qu'une régularisation appropriée était possible, sur le fondement des dispositions de l'article L. 323-3 du code de l'énergie. Il suit de là que, conformément à ce qui a été dit au point 2, il ne lui revenait pas de s'interroger sur les inconvénients de tous ordres qu'entraîne pour l'intéressé la présence de ces ouvrages sur son terrain, notamment du point de vue du principe de précaution tel que consacré par l'article 5 de la Charte de l'environnement. C'est ainsi sans entacher leur jugement d'omission à statuer que les premiers juges, après avoir considéré comme possible une régularisation appropriée des ouvrages publics mal plantés, n'ont pas répondu au moyen, dûment visé dans leur décision, selon lequel la mise en œuvre de ce principe exigeait le déplacement du poteau et des lignes électriques.
4. Par ailleurs, et en tout état de cause, les premiers juges, en faisant partiellement droit à la demande indemnitaire de M. B..., n'ont entendu ni avantager les défendeurs, ni discriminer l'intéressé, et n'ont pas méconnu son droit à un recours effectif ou l'exigence d'un procès équitable. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations des articles 6, 13, 14, 17 et 18 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention, ne peut qu'être écarté.
Sur la mise hors de cause de la société EDF :
5. En vertu de l'avenant signé le 22 novembre 2013 par la société EDF et le syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud, aux concessions de service public des 3 mars et 25 août 1994, unissant cette société et respectivement, le syndicat intercommunal d'électrification du secteur sud de la Corse et le syndicat intercommunal d'électrification rurale de l'extrême Sud de la Corse, auxquels a succédé le syndicat départemental créé par arrêté du préfet de la Corse-du-Sud du 5 juillet 2010, les demandes de déplacement d'ouvrages, dont le syndicat a la propriété et la maîtrise, doivent lui être adressées par la société EDF qui en serait éventuellement saisie par les propriétaires concernés.
6. Contrairement à ce que soutient l'appelant, cet avenant, dûment transmis au préfet et publié, et de la sorte opposable aux tiers, lui a été communiqué par le tribunal et suffit à confirmer la propriété et la maîtrise d'ouvrage, par le syndicat départemental, des ouvrages nécessaires au réseau électrique en zone rurale ainsi que des travaux qui leur sont nécessaires, telles qu'elles ont été consacrées par les concessions de service public des 3 mars et 25 août 1994, nonobstant l'absence de ces contrats au dossier d'instance et celle de l'annexe 1 à leur cahier des charges. Il résulte de cet avenant que seul le syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud, qui est propriétaire et maître de l'ouvrage constitué par le poteau supportant les lignes électriques, et implanté sur le terrain du requérant depuis 1972, en lieu et place des syndicats intercommunaux cités au point 4, créés en 1928 et 1929, et dissous le 5 juillet 2010, a compétence pour statuer sur sa demande de déplacement de cet ouvrage et pour répondre des conséquences dommageables de sa présence irrégulière sur la propriété de l'intéressé. C'est dès lors régulièrement et à bon droit que les premiers juges ont décidé de mettre hors de cause la société EDF.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'injonction de déplacement :
7. Ni M. B..., ni la société EDF ou le syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud n'ont relevé appel de l'article 2 du jugement par lequel le tribunal a déclaré que le poteau électrique supportant des lignes aériennes qui se trouve implanté sur la propriété de M. B... constitue une emprise irrégulière. Le jugement est dès lors devenu définitif dans cette mesure et s'impose à la Cour comme aux parties.
8. Pour considérer que l'ouvrage public irrégulièrement implanté sur une propriété privée peut faire l'objet d'une régularisation appropriée conformément aux indications énoncées au point 2, il revient au juge de rechercher si une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, ou à tout le moins, une procédure d'établissement d'une servitude d'utilité publique, est envisagée par le propriétaire de l'ouvrage, et si cette procédure est susceptible d'aboutir.
9. Ainsi qu'il a été dit au point 3, les premiers juges ont rejeté la demande de déplacement du poteau électrique et des lignes qu'il supporte, en considérant que leur implantation était susceptible d'être régularisée de manière appropriée par le recours à la procédure de déclaration d'utilité publique prévue à l'article L. 323-3 du code de l'énergie, compte tenu de l'intérêt général attaché au maintien de la ligne électrique.
10. Il résulte de l'instruction que le 11 juillet 2019, le syndicat départemental d'énergie a sollicité du préfet de la Corse-du-Sud l'engagement d'une procédure de déclaration d'utilité publique pour l'institution d'une servitude administrative permettant l'implantation du poteau électrique desservant un réseau HTA, sur le fondement des dispositions de l'article L. 323-3 du code de l'énergie et qu'en accusant réception de cette demande, le 5 août 2019, le préfet a annoncé procéder aux consultations des services civils et militaires intéressés, ainsi que du maire de la commune d'Ocana, conformément aux prévisions de l'article R. 323-3 du même code, avant d'organiser une consultation du public. Si, à la date du présent arrêt, il n'est justifié, depuis lors, d'aucun acte ou avis pris ou recueilli dans le cadre de cette procédure, les pièces du dossier, dont le mémoire technique élaboré par la société EDF pour l'institution de cette servitude, dont l'authenticité et la valeur probante ne sont pas remises en cause du simple fait qu'il ne comporte pas de signature manuscrite de son auteur ni d'autre mention d'identité que " EDF Corse ", démontrent la réalité et le sérieux du projet de régularisation élaboré par le propriétaire de l'ouvrage mal planté. La circonstance que ni la société EDF ni le syndicat départemental ne se sont rapprochés du requérant pour établir par voie de convention la servitude nécessaire, comme le permettent les dispositions des articles L. 323-3 et suivants du code de l'énergie, alors d'ailleurs qu'il est loisible à l'intéressé également de le faire, n'est pas de nature à remettre en cause la réalité du projet de régularisation de l'emprise.
11. Il résulte en outre de l'instruction, et il n'est pas sérieusement contesté, que le poteau électrique en litige, qui constitue le point de raccordement au poste dit de Tavara, se situe au départ du réseau dit de la Pierre, qui dessert sept postes sur près de 4 km, soit 91 personnes. Eu égard à l'intérêt général qui s'attache à la fourniture en électricité de cette population, aux inconvénients qui découlent de l'hypothèse d'un déplacement de l'ouvrage, malgré ceux que représentent son maintien sur le terrain de M. B..., de faible importance, la procédure de régularisation par établissement d'une servitude d'utilité publique ne paraît pas insusceptible d'aboutir, en l'état de l'instruction.
12. Enfin, et en tout état de cause, la régularisation de l'ouvrage irrégulièrement implanté sur la propriété de M. B..., par l'institution d'une servitude d'utilité publique sur le fondement de l'article L. 323-3 du code de l'énergie, dont la conformité à la Constitution a été jugée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-518 QPC du 2 février 2016, ne serait pas de nature à porter une atteinte excessive à son droit de propriété tel que protégé par les dispositions des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Si le 17 février 2020, le Défenseur des droits a émis une recommandation favorable à la reconnaissance d'une emprise irrégulière sur le terrain de M. B... et au déplacement de l'ouvrage public litigieux, un tel acte, dépourvu de valeur contraignante à l'égard de la juridiction administrative, n'est pas de nature à faire obstacle à cette régularisation.
13. Par conséquent, c'est à bon droit que le tribunal, qui a jugé l'implantation de cet ouvrage public susceptible d'être régularisée de manière appropriée, a rejeté les conclusions de M. B... tendant à ce qu'il soit enjoint au syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud de procéder à son déplacement, à ses frais, sans qu'il y ait lieu pour la Cour de se prononcer sur l'argumentation développée au soutien de cette demande, y compris en appel, dont celle tirée de la méconnaissance du principe de précaution et de la prétendue dangerosité de l'ouvrage, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le syndicat.
En ce qui concerne les préjudices indemnisables :
14. En premier lieu, dans la mesure où le poteau en béton et les lignes électriques aériennes sont présents depuis 1972 sur la parcelle acquise par M. B... de son père le 12 février 2016 et où cette implantation ne se traduit pas par une dépossession, il ne peut résulter de l'emprise irrégulière une perte de valeur vénale de ce terrain, en dépit des éléments d'appréciation contraires contenus dans l'avis d'expert immobilier dont se prévaut l'intéressé. Il en va de même de la perte de valeur locative alléguée, faute pour l'appelant de justifier d'un quelconque projet locatif.
15. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que la présence dans la partie sud du terrain de l'intéressé du poteau en béton, d'une emprise d'1 m², des lignes électriques et d'un poteau en bois, dont l'appelant dénonce l'existence pour la première fois en appel, sans aucune précision, et dont il n'établit ni même n'allègue l'irrégularité, feraient sensiblement obstacle à l'utilisation normale de son bien d'une contenance de 9100 m², sur lequel il a pu mettre en œuvre son permis de construire. Il ne résulte pas non plus de l'instruction que la partie de son terrain, rangée en zone constructible au plan local d'urbanisme applicable, ne pourrait pas recevoir une piscine, dont il ne justifie du reste pas d'un projet actuel.
16. Si, en troisième lieu, M. B... demande l'indemnisation des frais d'entretien et d'élagage, tous les quatre ans, des chênes situés à proximité immédiate des lignes électriques, il n'en justifie pas.
17. En quatrième lieu, il ne résulte d'aucune des pièces du dossier, ni d'ailleurs de la mise en œuvre du principe de précaution, tel que consacré par la Charte de l'environnement et les dispositions de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, que la présence de ces ouvrages publics, compte tenu notamment de la distance les séparant de la maison de M. B... et de l'état actuel des connaissances scientifiques, ferait courir à ses occupants, permanents ou occasionnels, un risque de nature à engendrer légitimement un état d'anxiété ou à caractériser un préjudice moral, dont l'indemnisation justifierait l'allocation d'une somme supérieure à celle de 1000 euros fixée par les premiers juges.
18. En revanche, d'une part, la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Ainsi, contrairement à ce que soutient le syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud, M. B... est recevable à demander, pour la première fois en appel, la réparation de la gêne et des troubles dans les conditions de jouissance de son bien engendrés par l'emprise irrégulière du poteau et des lignes électriques.
19. D'autre part, l'implantation du poteau électrique et des lignes, non loin de l'entrée de la parcelle, à supposer même qu'elle soit distante de la maison d'habitation d'une trentaine de mètres, est la cause directe d'une gêne visuelle et de troubles dans les conditions de jouissance du bien de M. B..., qu'il y a lieu d'indemniser en lui allouant la somme de 1000 euros, laquelle demeure dans les limites du montant réclamé en première instance.
20. Enfin, la victime de l'emprise irrégulière d'un ouvrage public sur sa propriété ne pouvant être assimilée au tiers voisin qui subit un dommage du fait de l'existence ou du fonctionnement d'un tel ouvrage, le syndicat et la société EDF ne peuvent utilement se prévaloir d'un principe d'antériorité de l'ouvrage public mal planté pour dénier à M. B... tout droit à indemnisation. La circonstance que ce dernier a acquis son bien immobilier et obtenu le transfert du permis de construire en toute connaissance de l'implantation des ouvrages en litige n'est pas de nature à régulariser l'implantation de l'ouvrage litigieux, ni à caractériser une faute de sa part permettant d'exonérer le syndicat de sa responsabilité dans l'implantation irrégulière de ces ouvrages.
Sur les frais du litige :
21. D'une part, eu égard aux conclusions satisfaites par le jugement attaqué et aux motifs qui en sont, dans cette mesure, le soutien nécessaire, c'est sans méconnaître les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative que les premiers juges ont pu rejeter les conclusions de M. B..., ainsi que celles d'ailleurs des défendeurs, présentées au titre de ces dispositions.
22. D'autre part, et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chaque partie la charge de ses frais d'instance.
D É C I D E :
Article 1er : Le syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud versera à M. B... une somme de 1 000 euros en réparation du préjudice lié à la gêne visuelle et aux troubles dans les conditions de jouissance de sa propriété, du fait de l'implantation irrégulière d'un poteau et des lignes électriques qu'il supporte.
Article 2 : Le jugement n°1800363 du tribunal administratif de Bastia en date du
7 novembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B... et les conclusions présentées par le syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud et la société EDF sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B..., au syndicat départemental d'énergie de la Corse-du-Sud, à la société anonyme EDF et à la société Enedis.
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- Mme Renault, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2021.
N° 19MA057174