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17/12/2021 | FRANCE | N°20MA00410

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 17 décembre 2021, 20MA00410


Vu les procédures suivantes :

Procédures contentieuses antérieures :

Sous les numéros 1704687 et 1704689, l'association Générations futures a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler les décisions du 27 septembre 2017 par lesquelles le directeur de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a autorisé la mise sur le marché français des produits phytopharmaceutiques " Closer " et " Transform ", produits par la société Dow Agrosciences S.A.S.

Sous les numéros 1705145 et 1705146, l'Union nati

onale de l'apiculture française (UNAF) et l'association Agir pour l'environnement...

Vu les procédures suivantes :

Procédures contentieuses antérieures :

Sous les numéros 1704687 et 1704689, l'association Générations futures a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler les décisions du 27 septembre 2017 par lesquelles le directeur de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) a autorisé la mise sur le marché français des produits phytopharmaceutiques " Closer " et " Transform ", produits par la société Dow Agrosciences S.A.S.

Sous les numéros 1705145 et 1705146, l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF) et l'association Agir pour l'environnement ont présenté devant le tribunal des demandes tendant aux mêmes fins.

Par un jugement n° 1704687, 1704689, 1705145 et 1705146 du 29 novembre 2019, le tribunal administratif de Nice, après avoir joint ces quatre demandes, a annulé ces décisions du 27 septembre 2017 du directeur de l'ANSES.

Procédures devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 31 janvier 2020 et le 3 septembre 2021, la société Dow Agroscience S.A.S., devenue Corteva Agriscience France S.A.S., représentée par Me Nigri, demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1, 3 et 4 de ce jugement du tribunal administratif de Nice du 29 novembre 2019 ;

2°) de rejeter les demandes des associations Générations futures et Agir pour l'environnement et de l'UNAF devant le tribunal ;

3°) de mettre à la charge de l'association Générations futures et de l'UNAF, ou à défaut de l'association Agir pour l'environnement, le versement de sommes de 5 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les demandes de l'association Agir pour l'environnement étaient irrecevables en l'absence d'autorisation du conseil d'administration donnée à son président pour agir en justice ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les restrictions d'usage dont sont assortis les produits " Closer " et " Transform ", qui ont été établies afin de garantir une utilisation des produits sans risque pour les insectes pollinisateurs, s'imposent à l'utilisateur en vertu de l'article 55 du règlement (UE) 1107/2009, jugé conforme au principe de précaution par la cour de justice de l'Union européenne (CJUE), et du 3° de l'article L. 253-17 du code rural et de la pêche maritime, étant précisé que leur respect fait l'objet d'un contrôle étroit dont les modalités sont fixées par l'arrêté du 16 juin 2009 ;

- aucun avis scientifique fiable et récent, antérieur à la date des décisions litigieuses, ne permet de contredire les conclusions du rapport de l'ANSES aux termes desquelles les niveaux d'exposition des espèces non-cibles au sulfloxaflor, principe actif entrant dans la composition des produits " Closer " et " Transform ", qui n'appartient pas à la catégorie des néonicotinoïdes mais des sulfoximines, sont inférieurs aux valeurs de toxicité de référence pour un emploi de ces produits dans le respect des restrictions d'utilisation, de sorte que les premiers juges ne pouvaient caractériser un risque suffisamment plausible pour faire application du principe de précaution ;

- les autres moyens soulevés en première instance, que la cour examinera dans le cadre de l'effet dévolutif, ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 juillet 2021, l'UNAF et l'association Agir pour l'environnement, représentées par Me Fau, concluent au rejet de la requête et à ce que soient mises à la charge de la société Corteva Agriscience France S.A.S des sommes de 5 000 euros, pour chacune d'entre elles, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 juillet 2021, l'association Générations futures, représentée par Me Lafforgue, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Corteva Agriscience France S.A.S la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à l'ANSES, au ministre des solidarités et de la santé, au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au ministre de la transition écologique qui n'ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment la Charte de l'environnement ;

- le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques ;

- le règlement (UE) n° 546/2011 de la Commission du 10 juin 2011 portant application du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les principes uniformes d'évaluation et d'autorisation des produits phytopharmaceutiques ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Sanson,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Nigri, représentant la société Corteva Agriscience France, de Me Lafforgue, représentant l'association Générations futures, et de Me Dos Santos, représentant l'UNAF et l'association Agir pour l'environnement.

Une note en délibéré présentée pour la société Corteva Agriscience France a été enregistrée le 10 novembre 2021 et n'a pas été communiquée.

Considérant ce qui suit :

1. La société Corteva Agriscience France, anciennement Dow Agrosciences SAS, relève appel du jugement du 29 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé, à la demande de l'association Générations futures, de l'association Agir pour l'environnement et de l'UNAF, les décisions du directeur général de l'ANSES du 27 septembre 2017 l'autorisant à mettre sur le marché les produit phytopharmaceutiques " Closer " et " Transform ".

Sur la recevabilité des demandes de première instance n° 1705145 et 1705146 :

2. Une association est régulièrement engagée par l'organe tenant de ses statuts le pouvoir de la représenter en justice, sauf stipulation de ses statuts réservant expressément à un autre organe la capacité de décider de former une action devant le juge administratif.

3. L'association Agir pour l'environnement a produit devant le tribunal le procès-verbal du 24 novembre 2017 de la réunion au cours de laquelle son conseil d'administration, et non son bureau ainsi que l'ont mentionné par erreur les premiers juges, a habilité le président à ester en justice au nom de l'association. Par suite, la société Corteva Agriscience France S.A.S. n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que les demandes présentées en première instance par cette association n'étaient pas recevables.

Sur la légalité des décisions du 27 septembre 2017 :

4. Aux termes de l'article 5 de la Charte de l'environnement : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ".

5. Le 4. de l'article 1er du règlement (CE) susvisé n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 dispose : " Les dispositions du présent règlement se fondent sur le principe de précaution afin d'éviter que des substances actives ou des produits mis sur le marché ne portent atteinte à la santé humaine ou animale ou à l'environnement. En particulier, les Etats membres ne sont pas empêchés d'appliquer le principe de précaution lorsqu'il existe une incertitude scientifique quant aux risques concernant la santé humaine ou animale ou l'environnement que représentent les produits phytopharmaceutiques devant être autorisés sur leur territoire ". En outre, aux termes du point 2.5.2.3. du règlement (UE) n° 546/2011 de la Commission du 10 juin 2011 : " il n'est pas accordé d'autorisation, lorsque des abeilles communes peuvent être exposées, si les quotients de danger d'exposition des abeilles par contact ou par voie orale sont supérieurs à 50, à moins qu'une évaluation appropriée du risque n'établisse clairement que, dans des conditions naturelles, l'utilisation du produit phytopharmaceutique dans les conditions d'utilisation proposées n'entraîne pas d'effets inacceptables sur les larves d'abeilles, le comportement des abeilles ou la survie et le développement de la colonie. "

6. Aux termes du 2. de l'article 31 du règlement (UE) 1107/2009 : " L'autorisation énonce les exigences relatives à la mise sur le marché et l'utilisation du produit phytopharmaceutique. Ces exigences comprennent au minimum les conditions d'emploi nécessaires pour satisfaire aux conditions et prescriptions prévues par le règlement approuvant les substances actives, phytoprotecteurs et synergistes. " L'article 55 de ce même règlement dispose : " Une utilisation appropriée [de produits phytopharmaceutiques] inclut l'application des principes de bonnes pratiques phytosanitaires et le respect des conditions fixées conformément à l'article 31 et mentionnées sur l'étiquetage. "

7. Il appartient à l'autorité compétente, saisie d'une demande d'autorisation de mise sur le marché d'un produit phytopharmaceutique, de rechercher s'il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l'hypothèse d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l'état des connaissances scientifiques, l'application du principe de précaution. Si cette condition est remplie, il lui incombe de veiller à ce que des procédures d'évaluation du risque identifié soient mises en œuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle et de vérifier que, eu égard, d'une part, à la plausibilité et à la gravité du risque, d'autre part, à l'intérêt du produit, les mesures de précaution dont l'autorisation est assortie afin d'éviter la réalisation du dommage ne sont ni insuffisantes, ni excessives. Il appartient au juge, saisi de conclusions dirigées contre l'autorisation de mise sur le marché et au vu de l'argumentation dont il est saisi, de vérifier que l'application du principe de précaution est justifiée, puis de s'assurer de la réalité des procédures d'évaluation du risque mises en œuvre et de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation dans le choix des mesures de précaution.

8. Il ressort des pièces du dossier que les produits phytopharmaceutiques " Closer " et " Transform ", dont les décisions litigieuses autorisent la mise sur le marché, intègrent du sulfoxaflor dans leur formule. La circonstance que cette substance a été approuvée par les autorités communautaires ne fait pas obstacle à ce qu'elle soit prise en compte, comme l'ensemble des substances qui entrent dans la composition de ces produits, pour apprécier l'existence d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, justifiant l'application du principe de précaution. En revanche, ce risque devant être apprécié en l'état des connaissances scientifiques au jour de l'autorisation en litige, les parties ne sauraient utilement se prévaloir des différents avis et études intervenus postérieurement.

9. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport de conclusions de l'ANSES, établi sur la base des résultats de l'étude menée par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) au cours des années 2013 et 2014, que les niveaux d'exposition au sulfoxaflor estimés pour les espèces non-cibles, en particulier les insectes pollinisateurs, sont inférieurs aux valeurs de toxicité de référence, dans les conditions d'emploi précisées sur l'étiquette des produits " Transform " et " Closer ", et qu'aucun effet néfaste particulier sur le couvain n'a pu être mis en évidence. Toutefois, ces conditions d'emploi, notamment en ce qu'elles prescrivent de ne pas faire application du produit " durant la floraison et les périodes de production d'exsudats " ou " à partir de cinq jours avant le début de la floraison pour les applications en préfloraison ", ou encore " Pour les usages sous abris (...) Eviter toute exposition inutile " et " éviter la contamination via les systèmes d'évacuation des eaux à partir des cours de ferme ou des routes ", s'avèrent insuffisamment précises et contraignantes pour garantir, en dépit de leur caractère obligatoire, une utilisation des produits en cause sans risque pour les insectes pollinisateurs.

10. Dans ces conditions, à la date des décisions litigieuses, le risque de dommage grave et irréversible sur les insectes pollinisateurs résultant de l'utilisation des produits " Transform " et " Closer " justifiait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l'état des connaissances scientifiques, l'application du principe de précaution.

11. Il résulte de ce qui précède que la société Corteva Agriscience France S.A.S n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé les décisions du directeur général de l'ANSES du 6 mars 2017 autorisant la mise sur le marché de ses produits.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des associations défenderesses, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la société Corteva Agriscience France S.A.S. En revanche, en application de ces mêmes dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre des sommes de 2 000 euros à la charge de cette société à verser, d'une part, à l'association Générations futures et, d'autre part, à l'Union nationale de l'apiculture française et à l'association Agir pour l'environnement.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Corteva Agriscience France S.A.S. est rejetée.

Article 2 : La société Corteva Agriscience France S.A.S versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 2 000 euros à l'association Générations futures et une somme de 2 000 euros à l'association Agir pour l'environnement et à l'Union nationale de l'apiculture française.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Corteva Agriscience France S.A.S., à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, à l'association Agir pour l'environnement, à l'association Générations futures et à l'Union nationale de l'apiculture française.

Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé, au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au ministre de la transition écologique.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Alfonsi, président,

- Mme Massé-Degois, présidente-assesseure,

- M. Sanson, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2021.

2

N° 20MA00410


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA00410
Date de la décision : 17/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

03-11 Agriculture et forêts.


Composition du Tribunal
Président : M. ALFONSI
Rapporteur ?: M. Pierre SANSON
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : NIGRI

Origine de la décision
Date de l'import : 18/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-12-17;20ma00410 ?
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