Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 7 décembre 2020 du préfet des Bouches-du-Rhône lui refusant un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et fixant le pays de destination.
Par un jugement n° 2102271 du 23 juin 2021, tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête de Mme A... B....
Procédure devant la Cour :
I - Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2021 sous le n° 21MA02943,
Mme A... B..., représentée par Me Perollier, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 23 juin 2021 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 7 décembre 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour d'un an " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à venir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le jugement attaqué est irrégulier car le tribunal n'a pas soulevé d'office un moyen d'ordre public tiré de la méconnaissance du 2° de l'article L.511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le tribunal n'a pas visé le moyen tiré de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire en raison de l'erreur manifeste d'appréciation sur sa situation personnelle et n'y a pas répondu ;
- le refus d'admission est illégal car pris en méconnaissance des articles L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il est entaché d'une erreur d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité du refus de séjour et car prise en méconnaissance de l'article L. 511-4 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête. Il estime que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
II - Par une requête, enregistrée le 23 juillet 2021 sous le n° 21MA02944, et un mémoire en réplique enregistré le 2 septembre 2021, Mme A... B..., représentée par
Me Perollier, demande à la Cour de suspendre l'exécution du jugement du 23 juin 2021 du tribunal administratif de Marseille.
Elle soutient que :
- le jugement du tribunal administratif de Marseille est entaché d'irrégularité d'une part, en ce qu'il n'a pas soulevé d'office la contrariété de l'arrêté attaqué à l'article L. 511-4 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, d'autre part, en ce qu'il ne répond pas au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet dans l'examen des conséquences de la décision attaquée sur sa situation ;
- le refus d'admission au séjour est illégal, les articles L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ayant été méconnus ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale, l'article L. 511-4 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ayant été méconnu ;
- il y a lieu de suspendre l'exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille en raison du caractère difficilement réparable des conséquences qu'il entraine sur sa situation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 août 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête. Il estime que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Badie,
- et les observations de Me Perollier représentant Mme A... B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., de nationalité capverdienne, née le 30 décembre 1998, déclare être entrée en France le 11 août 2011 munie d'un visa D au titre du rapprochement familial accordé à son père, lequel vit régulièrement sur le territoire français. Elle a bénéficié, du 20 décembre 2011 au 19 décembre 2016, d'un document de circulation pour les étrangers mineurs et se trouve, depuis cette dernière date, en situation irrégulière, faute d'avoir effectué, à sa majorité, une demande de titre de séjour. Elle a, en 2020, sollicité auprès du préfet des Bouches-du-Rhône son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale. Par un arrêté du 7 décembre 2020, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande et prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours en fixant le pays de destination.
Mme A... B... relève appel du jugement du 23 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation de cet arrêté. Les requêtes visées ci-dessus présentent des questions connexes. Il a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la jonction :
2. Par les deux requêtes susvisées, Mme A... B... sollicite l'annulation et le sursis à exécution du jugement du 23 juin 2021 du tribunal administratif de Marseille. Ces deux requêtes étant dirigées contre le même jugement et les mêmes décisions administratives, il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement du 23 juin 2021 :
3. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête de
Mme A... B... tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Mme A... B... soutient que le tribunal administratif de Marseille n'a, d'une part, pas soulevé d'office le moyen tiré de la contrariété de la décision attaquée à l'article L. 511-4 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, d'autre part, a entaché son jugement d'irrégularité en n'examinant pas celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet dans l'examen des conséquences de l'obligation de quitter le territoire français sur sa situation personnelle.
5. En premier lieu, la méconnaissance alléguée de l'article L. 511-4 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne constitue pas un moyen d'ordre public, de sorte que les premiers juges, en ne la relevant pas d'office, n'ont, en tout état de cause, pas entaché leur jugement d'irrégularité.
6. En deuxième lieu, il résulte des termes de la décision attaquée que, contrairement à ce que soutient la requérante, les premiers juges n'ont pas omis d'examiner le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet dans l'examen des conséquences de l'obligation de quitter le territoire français sur sa situation personnelle.
7. Il résulte de ce qui vient d'être exposé que les moyens tirés de l'irrégularité du jugement doivent être écartés.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Sur le refus de séjour :
8. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit: / (...)
7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. ...".
9. Le refus de séjour attaqué a été pris au motif, d'une part, que Mme A... B... ne justifie pas de liens personnels et familiaux et d'une insertion socioprofessionnelle suffisants en France et, d'autre part, qu'elle ne fait état d'aucun motif impérieux, notamment humanitaire, rendant indispensable son maintien sur le territoire. Il ressort des pièces du dossier que
Mme A... B..., entrée en France en 11 août 2011, a obtenu un document de circulation pour mineur valable du 20 décembre 2011 au 19 décembre 2016. Elle explique être présente en France depuis la date d'entrée alléguée dans le cadre du regroupement familial qui avait été accordé à son père, et dont elle-même et sa sœur ont pu bénéficier. La requérante justifie, au vu des pièces versées à la présente instance, sa présence habituelle depuis la date d'entrée alléguée dès lors qu'elle était scolarisée au titre des années scolaires 2011/2012, 2012/2013 et 2013/2014 ainsi que durant son cursus au lycée jusqu'en juin 2017, où elle a obtenu le baccalauréat. Par la suite, elle s'est inscrite à l'université au titre de l'année universitaire 2017/2018 mais déclare ne pas avoir été en mesure de poursuivre ses études en raison de contraintes financières. Elle a travaillé en tant que garde d'enfant à domicile périodiquement en 2017 et 2018, puis en février, avril, mai, juin, juillet, août et octobre 2019. Certes, la requérante, toujours hébergée par son père en séjour régulier, n'est pas dépourvue d'attaches familiales au Cap-Vert dès lors que sa mère y réside ainsi que des demi-frères. Cependant, compte tenu de la durée de son séjour en France de près de neuf ans à la date de l'acte attaqué, auprès de son père en séjour régulier, elle doit être regardée comme démontrant qu'en prenant l'acte attaqué, le préfet des Bouches-du-Rhône a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excessive en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur l'obligation de quitter le territoire :
10. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français [...] 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ".
11. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... B... démontre sa présence sur le sol français à partir du 26 août 2011, date à laquelle, alors âgée de 12 ans et 8 mois, elle a entamé sa scolarité au collège Romain Rolland de Marseille 10ème où l'inspection académique des Bouches-du-Rhône l'a affectée en classe de 5ème DAI. Elle démontre, par suite, avoir été scolarisée en France de manière continue jusqu'en 2018, date à laquelle elle a interrompu, pour des raisons financières, sa scolarité à Aix-Marseille Université. Mme A... B... fournit, en outre, diverses pièces justificatives attestant de sa présence en France depuis cette date et couvrant les années 2019 et 2020, date de l'introduction de sa demande auprès du préfet des Bouches-du-Rhône, et, notamment, des témoignages officiels, des attestations de travail de garde d'enfants, des bulletins de salaire, des certificats médicaux émanant de professionnels de santé et, enfin, des extraits de l'application mobile Snapchat où elle apparait sur des photographies datées et géolocalisées dans la commune de Marseille.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... B... réside habituellement en France depuis l'été 2011, soit depuis l'âge de 12 ans et que, partant, cette dernière est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 511-4, 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
13. Il y a lieu, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par la requérante, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille et l'arrêté du
7 décembre 2020, d'enjoindre le préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " à Mme A... B... en tenant compte du bénéfice qu'elle tire des dispositions précitées et de mettre à la charge de l'Etat au paiement de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 juin 2021 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 7 décembre 2020 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme A... B... un titre de séjour " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... B..., au préfet des Bouches-du-Rhône et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 14 décembre 2021.
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N° 21MA02943 - 21MA02944