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17/09/2021 | FRANCE | N°20MA04368

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 17 septembre 2021, 20MA04368


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2020 par lequel le préfet du Gard a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays à destination duquel elle serait reconduite.

Par un jugement n° 2002211 du 10 novembre 2020, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté du 16 juillet 2020 du préfet du Gard et lui a enjoint de délivrer à Mme E

... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2020 par lequel le préfet du Gard a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays à destination duquel elle serait reconduite.

Par un jugement n° 2002211 du 10 novembre 2020, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté du 16 juillet 2020 du préfet du Gard et lui a enjoint de délivrer à Mme E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 novembre 2020 et le 29 juin 2021, le préfet du Gard demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 10 novembre 2020 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif.

Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que l'arrêté en litige méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2021, Mme E..., représentée par Me Chabbert-Masson, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son avocat, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- le moyen soulevé par le préfet du Gard n'est pas fondé ;

- l'arrêté en litige méconnaît en outre les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 paragraphe 1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité du refus de séjour et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 juin 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. G... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante marocaine née le 17 novembre 1981, a sollicité son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale. Sa demande a été rejetée par un arrêté du 16 juillet 2020 du préfet du Gard, le refus de séjour étant assorti d'une décision lui faisant obligation de quitter le territoire français. Par un jugement du 10 novembre 2020, le tribunal administratif de Nîmes a annulé l'arrêté du 16 juillet 2020 et a enjoint au préfet du Gard de délivrer à Mme E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois. Le préfet du Gard relève appel de ce jugement.

Sur l'admission à l'aide juridictionnelle à titre provisoire :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée soit par le président du bureau ou de la section compétente du bureau d'aide juridictionnelle, soit par la juridiction compétente ou son président ". Mme E..., qui a reçu notification du jugement attaqué le 2 décembre 2020, justifie avoir déposé une demande d'aide juridictionnelle enregistrée le 19 juillet 2021 au bureau d'aide juridictionnelle. Il y a lieu, en application de ces dispositions, d'accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire à Mme E....

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, (...). Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". En application de ces stipulations, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser à un ressortissant étranger en situation irrégulière la délivrance d'un titre de séjour et de procéder à son éloignement d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en F..., ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette décision serait prise.

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... est entrée irrégulièrement en F... à une date indéterminée. Si selon ses dires, elle y séjourne depuis 2012, elle n'apporte aucun justificatif de sa résidence habituelle sur le territoire français au cours des années 2012 à 2015. Si elle a donné naissance à deux enfants en F..., en 2016 et 2019, il ressort des pièces du dossier que le père de la jeune B..., née le 19 août 2016, est de nationalité irakienne et n'avait plus de lien avec la requérante et son enfant à la date de l'arrêté contesté, comme d'ailleurs depuis la naissance de l'enfant. Si le jeune C..., né le 16 octobre 2019, a été reconnu à sa naissance par un ressortissant français, il résulte des déclarations concordantes de Mme E... et du père de l'enfant que celui-ci ne l'a reconnu que dans le seul but de rendre service à cette dernière et à ses parents, qu'il n'a plus aucun lien avec l'intéressée et ne participe ni à l'entretien ni à l'éducation de cet enfant. Si Mme E... est hébergée par sa mère, titulaire d'un titre de séjour et son beau-père, de nationalité française et fait valoir qu'elle prend une part importante dans le soin et l'attention nécessités par l'état de santé des enfants de son beau-père, nés d'une précédente union en 2000 et 2002, qui sont atteints depuis leur naissance de troubles autistiques, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que les mesures d'assistance que leur situation nécessite ne pourraient être assurées que par la requérante. Ces circonstances, en l'absence de tout autre lien familial en F..., ne sauraient ouvrir droit à la délivrance d'un titre de séjour à l'intéressée, âgée de 38 ans à la date de l'arrêté contesté, alors même qu'elle n'aurait pas conservé de liens avec son frère resté au Maroc et que son père y est décédé. Rien ne s'oppose au surplus à ce que B... et C... accompagnent leur mère dans son pays d'origine et que la jeune B... y poursuive sa scolarité. Ainsi, au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce, l'arrêté en litige n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Gard est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé son arrêté du 16 juillet 2020 au motif qu'il méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'ensemble des moyens soulevés par Mme E... devant le tribunal administratif de Nîmes.

Sur les autres moyens soulevés à l'encontre de l'arrêté du 16 juillet 2020 du préfet du Gard :

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté contesté a été signé au nom du préfet du Gard par M. K..., sous-préfet d'Alès titulaire d'une délégation de signature du 27 août 2018 régulièrement publiée le jour même au recueil des actes administratifs spécial n° 30-2018-113. Dès lors, cet arrêté n'est pas entaché d'incompétence.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en F..., appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313 2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. (...) ". Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que l'arrêté en litige, dans ses différentes composantes, n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de Mme E... au respect de sa vie privée et familiale et n'a, par suite, pas méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 paragraphe 1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'exécution de l'arrêté litigieux aurait pour effet de priver les enfants de I... A... la présence de leur mère. Si cette dernière soutient qu'elle souhaite engager une action judiciaire afin de faire annuler la reconnaissance de paternité de M. J... envers l'enfant C... et voir reconnaître celle de M. H..., cette circonstance purement hypothétique à la date de l'arrêté contesté est, en tout état de cause, sans influence sur sa légalité. Si elle fait valoir que sa présence en F... est indispensable à la réalisation à cette fin d'une expertise génétique, l'arrêté en litige n'y fait nullement obstacle. Par ailleurs, comme il a été dit au point 4, l'intéressée ne fait état d'aucune circonstance qui ferait obstacle à ce que la jeune B... poursuive sa scolarité au Maroc. Dans ces circonstances, le préfet du Gard n'a pas méconnu l'intérêt supérieur des enfants protégé par les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

10. En quatrième lieu, compte tenu de ce qui précède, doit être écarté le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français serait illégale par la voie d'exception de l'illégalité de la décision de refus de séjour.

11. En cinquième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 4, que la décision faisant obligation à Mme E... de quitter le territoire français n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.

12. En sixième lieu, si Mme E... fait valoir qu'elle est poursuivie devant le tribunal correctionnel de Nîmes pour reconnaissance frauduleuse d'un enfant, la mesure d'éloignement prise à son encontre n'est pas de nature à la priver de la possibilité de faire valoir ses droits dans le cadre de cette procédure pénale, dès lors qu'elle peut, soit se faire représenter par un conseil, soit même obtenir un visa de court séjour pour être présente à l'audience où son affaire sera appelée. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté en litige la priverait du droit d'assister à son procès garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Gard est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a annulé son arrêté du 16 juillet 2020 refusant la délivrance d'un titre de séjour à Mme E... et lui faisant obligation de quitter le territoire français et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à l'intéressée.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme à ce titre.

D É C I D E :

Article 1er : Le bénéfice de l'aide juridictionnelle est accordé à titre provisoire à Mme E....

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes n° 2002211 du 10 novembre 2020 est annulé.

Article 3 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Nîmes par Mme E... est rejetée.

Article 4 : Les conclusions présentées par Mme E... au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., Me Chabbert-Masson et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet du Gard et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nîmes.

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2021, où siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. G..., président assesseur,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2021.

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N° 20MA04368

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA04368
Date de la décision : 17/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Refus de séjour.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Georges GUIDAL
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : CHABBERT MASSON

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-09-17;20ma04368 ?
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