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05/07/2021 | FRANCE | N°17MA03781

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 05 juillet 2021, 17MA03781


Vu la procédure suivante :

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt avant dire droit du 16 décembre 2019, la Cour de céans a sursis à statuer sur les conclusions présentées par les parties et prescrit avant dire droit une expertise afin de déterminer l'importance des nuisances sonores subies par M. et Mme B..., M. et Mme N... et les consorts M... ainsi, le cas échéant, que les mesures ou travaux propres à les réduire.

L'expert désigné par la présidente de la Cour a rendu son rapport le 11 janvier 2021.

Par un mémoire, enregistré le 25 mars 2021, la

commune du Revest-les-Eaux, représentée par Me F..., conclut aux mêmes fins que ses précé...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt avant dire droit du 16 décembre 2019, la Cour de céans a sursis à statuer sur les conclusions présentées par les parties et prescrit avant dire droit une expertise afin de déterminer l'importance des nuisances sonores subies par M. et Mme B..., M. et Mme N... et les consorts M... ainsi, le cas échéant, que les mesures ou travaux propres à les réduire.

L'expert désigné par la présidente de la Cour a rendu son rapport le 11 janvier 2021.

Par un mémoire, enregistré le 25 mars 2021, la commune du Revest-les-Eaux, représentée par Me F..., conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures.

Elle soutient que la commune a pris les mesures requises par la situation et n'a commis aucune faute, seule la responsabilité de la société privée ABC Elagages et Jardins, à l'origine des nuisances, étant engagée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2021, M. et Mme B..., M. et Mme N... et les consorts M..., représentés par Me D..., concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures.

Ils soutiennent que :

- les émergences sonores subies du fait des activités artisanales conduites dans leur voisinage ne respectent pas les seuils fixés par les dispositions des articles R. 1336-7 et 1336-8 du code de la santé publique ;

- ils subissent des nuisances olfactives et visuelles ;

- une atteinte à la sécurité publique, au regard du risque d'incendie est également constatée ;

- les activités polluantes des deux entreprises en cause ne sont pas compatibles avec la protection due aux parcelles sur lesquelles elles se sont installées ;

- en ne prenant pas de mesures en temps utile sur le fondement des dispositions du code de la santé publique et du code général des collectivités territoriales, le maire a engagé la responsabilité pour faute de la commune ;

- ces activités auraient dû faire l'objet d'une déclaration pour l'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement, respecter les prescriptions résultant d'un tel classement et faire l'objet de contrôles des services de l'Etat à ces égards ;

- ils subissent des troubles de jouissance, des troubles dans leurs conditions d'existence, un préjudice moral et une dépréciation de la valeur vénale de leurs propriétés ; ces préjudices se sont aggravés depuis le jugement de première instance ;

- l'arrêté pris par le maire en exécution du jugement de première instance est insuffisant.

Vu :

- l'ordonnance en date du 24 février 2021, par laquelle la présidente de la Cour a taxé les frais de l'expertise réalisée par M. A... ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de Mme O...,

- et les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B..., M. et Mme N... et les consorts M... se plaignent de diverses nuisances qu'ils estiment subir du fait de l'activité exercée à proximité de leur domicile par les sociétés ABC Elagages et Jardins et Composite Plus Piscines et reprochent au maire de la commune du Revest-les-Eaux d'avoir à cet égard manqué à ses pouvoirs de police.

2. Par un arrêt avant dire droit du 16 décembre 2019, la Cour de céans a, après avoir écarté les moyens tirés de ce que le maire de la commune du Revest-les-Eaux aurait manqué à ses pouvoirs de police au regard de risques d'incendie, de nuisances olfactives, de nuisances visuelles et d'un risque de pollution incompatible avec la protection due à la zone, a ordonné une expertise afin de déterminer l'importance des nuisances sonores subies ainsi, le cas échéant, que les mesures ou travaux propres à les réduire.

Sur les conclusions indemnitaires :

3. En premier lieu, si, dans leurs écritures enregistrées postérieurement au dépôt du rapport d'expertise, M. et Mme B..., M. et Mme N... et les consorts M... reviennent sur les nuisances autres que sonores qu'ils subiraient ainsi que sur les risques d'incendie ou de pollution auxquels leur environnement protégé serait exposé, ces moyens ont déjà été écartés par la décision avant dire droit du 16 décembre 2019 et la Cour a, à cet égard épuisé sa compétence, seuls les moyens sur lesquels il n'a pas été statué par cette décision ayant été réservés.

4. En deuxième lieu, si les intéressés soutiennent que les activités des deux sociétés en cause auraient dû faire l'objet de déclarations au titre des installations classées pour la protection de l'environnement et de contrôles de la part des services de l'Etat à ce titre, la commune du Revest-les-Eaux ne saurait en tout état de cause être tenue pour responsable d'éventuelles défaillances à cet égard.

5. En troisième lieu, si en application de l'article R. 1336-4 du code de la santé publique, les dispositions des articles R. 1336-5 à R. 1336-11 du même code ne s'appliquent pas aux installations classées pour la protection de l'environnement, il ne résulte pas de l'instruction que l'infrastructure de la société ABC Elagages et Jardins relèverait de ces installations.

6. Aux termes de l'article R. 1336-5 du code de la santé publique : " Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, (...) ". Aux termes de l'article R. 1336-6 du même code : " Lorsque le bruit mentionné à l'article R. 1336-5 a pour origine une activité professionnelle (...), l'atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme est caractérisée si l'émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l'article R. 1336-7, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article. / Lorsque le bruit mentionné à l'alinéa précédent, perçu à l'intérieur des pièces principales de tout logement d'habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, est engendré par des équipements d'activités professionnelles, l'atteinte est également caractérisée si l'émergence spectrale de ce bruit, définie à l'article R. 1336-8, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article. ". L'article R. 1336-7 auquel il est ainsi fait référence précise : " L'émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l'absence du bruit particulier en cause. / Les valeurs limites de l'émergence sont de 5 décibels pondérés A en période diurne (de 7 heures à 22 heures) (...), valeurs auxquelles s'ajoute un terme correctif en décibels pondérés A, fonction de la durée cumulée d'apparition du bruit particulier : / (...) / 5° Deux pour une durée supérieure à 2 heures et inférieure ou égale à 4 heures ; / (...) ". Aux termes de l'article R. 1336-8 de ce code : " L'émergence spectrale est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant dans une bande d'octave normalisée, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau de bruit résiduel dans la même bande d'octave, constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux mentionnés au deuxième alinéa de l'article R. 1336-6, en l'absence du bruit particulier en cause. / Les valeurs limites de l'émergence spectrale sont de 7 décibels dans les bandes d'octave normalisées centrées sur 125 Hz et 250 Hz et de 5 décibels dans les bandes d'octave normalisées centrées sur 500 Hz, 1 000 Hz, 2 000 Hz et 4 000 Hz. ". Ces dispositions en vigueur depuis le 10 août 2017, figuraient antérieurement, de façon similaire, aux articles R. 1334-30 à R. 1334-37 du même code.

7. Si l'activité de la société ABC Elagages et Jardins n'est pas constante, une partie de son activité s'exerçant nécessairement en dehors de son site d'installation, et si notamment la pelle sur pneu présente sur la parcelle exploitée par cette société n'a pas été utilisée durant les mesures que l'expert a réalisées, ni d'ailleurs aucune tronçonneuse, le fonctionnement de ces outils n'est selon lui ni régulier, ni quotidien. Il ne résulte ainsi pas de ces circonstances que les constats qu'il a effectués ne seraient pas représentatifs des bruits perçus habituellement par le voisinage depuis 2011. Or, il ressort de ces constats que les bruits issus de l'activité de cette société, seuls en cause, ne dépassent pas, depuis la propriété des époux B... et a fortiori depuis celle des consorts M... située en retrait de la précédente, les valeurs limites définies citées ci-dessus. Par suite, alors qu'il a été jugé précédemment que les témoignages et procès-verbaux d'huissier versés préalablement au dossier ne sont pas de nature à établir l'existence de nuisances anormales, aucun manquement du maire à ses pouvoirs de police ne peut être retenu à cet égard. Ainsi, la commune du Revest-les-Eaux est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon l'a condamnée à indemniser les époux B... et les consorts M... des préjudices subis du fait des nuisances sonores qu'ils alléguaient subir.

8. Il résulte en revanche de l'instruction, et particulièrement du rapport de l'expertise, que les époux N..., dont la propriété est plus proche du site d'installation de la société, subissent des nuisances dépassant les seuils évoqués ci-dessus. Ainsi, si durant la période d'activité des cigales l'émergence globale du bruit litigieux depuis leur terrasse n'est pas excessive, tel est le cas lorsque ces insectes ne sont pas actifs, cette émergence s'élevant alors à 8,1 dB, lorsque l'article R. 1336-7 fixe le seuil acceptable, eu égard à la durée cumulée d'apparition du bruit durant la journée, soit 2h52, à 7 dB. L'émergence spectrale s'élève, à l'intérieur de l'habitation fenêtres ouvertes, dans la bande d'octave normalisée centrée sur 125 Hz, à 11,2 dB, et dans la bande d'octave normalisée centrée sur 500 Hz, à 8,9 dB, l'article R. 1336-8 fixant les seuils acceptables respectivement à 7 et 5 dB.

9. Le maire de la commune du Revest-les-Eaux a pris, le 23 octobre 2008, un arrêté n'autorisant dans le secteur en cause les travaux susceptibles de causer une gêne pour le voisinage en raison de leur intensité sonore que du lundi au vendredi, de 8h00 à 12h00 et de 14h00 à 17h30. Malgré les plaintes, émanant notamment des époux N..., formulées par les riverains les 30 juin et 22 septembre 2011, 19 janvier et 30 mars 2012, 27 mars 2013 et 24 février 2014, le maire s'est borné à solliciter du président du tribunal administratif, le 28 mai 2013, la prescription d'une expertise afin de mesurer les bruits litigieux, cette demande ayant été rejetée par ordonnance du 12 juin 2013. En ne prenant pas une quelconque autre mesure, ce dernier a manqué aux pouvoirs de police qu'il tient de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales. Cette faute est de nature à engager la responsabilité de la commune.

10. Les époux N... subissent, du fait de ces nuisances sonores, non pas une perte de valeur vénale de leur propriété, mais des troubles de toutes natures dans leurs conditions d'existence, incluant un trouble de jouissance de leur propriété et un préjudice moral. La carence du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police peut être regardée comme en étant à l'origine depuis le début de l'année 2012. Toutefois, au vu des mesures effectuées par l'expert désigné, les nuisances demeurent très modérées outre qu'elles ne sont subies que lorsque les fenêtres de l'habitation sont ouvertes et essentiellement ressenties hors les périodes estivales durant lesquelles les cigales sont en activité. Dans ces conditions, les préjudices subis peuvent être justement évalués à ce jour à la somme de 3 000 euros allouée à chacun des époux N... par le tribunal administratif. Ainsi, la commune du Revest-les-Eaux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon l'a condamnée à les indemniser à cette hauteur et ceux-ci ne sont pas fondés à solliciter l'allocation d'une somme supérieure.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire tendant à la réparation d'un préjudice imputable à un comportement fautif d'une personne publique et qu'il constate que ce comportement et ce préjudice perdurent à la date à laquelle il se prononce, il peut, en vertu de ses pouvoirs de pleine juridiction et lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens, enjoindre à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets.

12. En l'espèce, à la suite du dépôt de son rapport par l'expert, le maire de la commune a mis la société ABC Elagages et Jardins en demeure de s'attacher, avant le 15 avril 2021, les services d'un bureau d'étude acoustique afin de définir les moyens à mettre en oeuvre par celle-ci pour respecter la législation acoustique. Si la commune du Revest-les-Eaux ne saurait soutenir que c'est à tort que le tribunal a prononcé une injonction, il ne résulte pas de l'instruction que la mise en demeure du 15 avril 2021 n'aurait pas été suivie d'effet et qu'il y aurait lieu, à ce jour et afin de mettre un terme aux préjudices subis par les époux N..., d'enjoindre à l'autorité municipale de prendre une autre mesure. Les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au maire de dresser un procès-verbal d'infraction ou de prendre d'autres mesures afin de supprimer ou réduire les nuisances doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge définitive de la commune du Revest-les-Eaux les dépens de l'instance, constitués des frais et honoraires de l'expertise prescrite par jugement avant dire droit, liquidés et taxés à la somme de 4 057,20 euros par ordonnance du 24 février 2021.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme B..., de M. et Mme N... et des consorts M..., qui ne sont pas la partie tenue aux dépens, une quelconque somme sur leur fondement. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune du Revest-les-Eaux une somme globale de 2 000 euros à verser à M. et Mme N.... Il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions au bénéfice de M. et Mme B... et des consorts M....

D É C I D E :

Article 1er : Les articles 1er à 3 du jugement du tribunal administratif de Toulon n°1401455,1401463 du 6 juillet 2017 sont annulés.

Article 2 : Les articles 1er et 3 du jugement du tribunal administratif de Toulon n°1401452, 1401459 du 6 juillet 2017 sont annulés en tant qu'ils condamnent la commune du Revest-les-Eaux à verser une indemnisation à M. B... et aux ayants droit de M. M... et mettent à la charge de la collectivité, au bénéfice de ces derniers, une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les frais de l'expertise prescrite par arrêt avant dire droit du 16 décembre 2019, d'un montant total de 4 057,20 euros, sont mis à la charge définitive de la commune du Revest-les-Eaux.

Article 4 : La commune du Revest-les-Eaux versera la somme globale de 2 000 euros à M. et Mme N... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties devant la Cour et le tribunal est rejeté.

Article 6 : le présent arrêt sera notifié à la commune du Revest-les-Eaux, à Mme R... L... épouse B..., à Mme H... E... veuve M..., à M. C... B..., à M. Q... N..., à Mme T... G... épouse N..., à Mme S... I... née M..., à Mme P... J... née M... et à M. K... M....

Copie en sera adressée à M. U... A..., expert.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2021, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président assesseur,

- Mme O..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2021.

N°17MA03781,17MA03789 2


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Police - Police générale.

Procédure - Instruction - Moyens d'investigation - Expertise.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: Mme Karine DURAN-GOTTSCHALK
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : SCP PIWNICA et MOLINIE;SCP PIWNICA et MOLINIE;SCP PIWNICA et MOLINIE

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Date de la décision : 05/07/2021
Date de l'import : 09/07/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17MA03781
Numéro NOR : CETATEXT000043767178 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-07-05;17ma03781 ?
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