Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association One Voice a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du préfet des Bouches-du-Rhône refusant de faire droit à sa demande datée du 3 mai 2017, tendant, d'une part, à l'abrogation de l'arrêté du 15 juillet 2015 en tant qu'il permet la détention et la présentation par le " Cirque d'Europe " d'un spécimen femelle d'éléphant d'Afrique et, d'autre part, au transfert de cet animal.
Par un jugement n°1706434 du 12 juillet 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 septembre 2019 et 29 mai 2020, l'association One Voice, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 12 juillet 2019 ;
2°) d'annuler la décision du préfet des Bouches-du-Rhône refusant de faire droit à sa demande ;
3°) d'enjoindre au préfet d'abroger l'arrêté et de lui confier l'animal en cause ;
4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une mesure d'expertise tendant à l'évaluation de l'état de santé de cet animal et de ses conditions de détention ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a intérêt et qualité à agir ;
- l'arrêté du 15 juillet 2015 est illégal au regard des dispositions de l'arrêté ministériel du 18 mars 2011 et de l'article R. 413-19 du code de l'environnement dès lors qu'il ne fixe aucune prescription de protection de la biodiversité et de la nature, d'une part, et du bien-être de l'animal individuellement en cause notamment privé de tout contact social, d'autre part ;
- le tribunal a omis de se prononcer sur ce moyen ;
- l'arrêté du 15 juillet 2015 est également illégal au regard du principe de conciliation ;
- l'exploitant ne respecte pas les prescriptions imposées par l'arrêté du 15 juillet 2015 et la réglementation générale applicable en matière de bien-être ; il ne respecte pas davantage les prescriptions en termes de sécurité ;
- le préfet, en ne procédant ni au retrait de l'animal, ni même à une expertise pour établir l'état de l'animal et le bilan de ses conditions de vie, manque à son pouvoir de police ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2020, la ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Elle s'en rapporte aux observations présentées par le préfet des Bouches-du-Rhône au cours de la première instance.
Par un courrier du 11 août 2020, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation indique s'en remettre aux observations présentées par la ministre de la transition écologique et solidaire.
La procédure a été communiquée à la société Cirque Europe, exploitant l'établissement " Cirque d'Europe ", qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 18 mars 2011 fixant les conditions de détention et d'utilisation des animaux vivants d'espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., substituant Me A..., représentant l'association One Voice.
Considérant ce qui suit :
1. L'association One Voice relève appel du jugement du 12 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande visant à l'annulation de la décision du préfet des Bouches-du-Rhône refusant, d'une part, d'abroger l'arrêté du 15 juillet 2015 en tant qu'il permet la détention et la présentation par le " Cirque d'Europe " d'un spécimen femelle d'éléphant d'Afrique et, d'autre part, de transférer cet animal.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. ". Aux termes de l'article L. 242-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 242-1, l'administration peut, sans condition de délai : 1° Abroger une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition qui n'est plus remplie ; / (...) ".
3. Ainsi que l'a relevé le tribunal dans le jugement attaqué, l'arrêté du 15 juillet 2015, autorisant l'exploitation du " Cirque d'Europe " sur le fondement de l'article L. 413-3 du code de l'environnement, a créé des droits au profit de son bénéficiaire. Dès lors que la requérante a présenté sa demande tendant à l'abrogation de cet arrêté plus de quatre mois après son adoption, le préfet ne pouvait y faire droit en raison de son illégalité initiale, mais seulement au motif que, par suite de circonstances postérieures à son adoption, une condition mise à son maintien n'était plus remplie. Ainsi, le moyen tiré de ce que cet arrêté serait illégal au regard des dispositions de l'arrêté du 18 mars 2011 et de l'article R. 413-19 du code de l'environnement pour n'avoir pas fixé de prescriptions tendant à la protection de la biodiversité et de la nature, d'une part, et du bien-être de l'animal individuellement en cause, d'autre part, est inopérant. Par suite, en admettant même que les premiers juges ne se soient pas prononcés expressément sur ce moyen, qu'ils ont dûment visé, le jugement n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur la légalité de la décision contestée :
En ce qui concerne la légalité de l'autorisation elle-même :
4. En premier lieu, ainsi qu'il vient d'être exposé, l'ensemble des moyens tirés de l'illégalité initiale de l'arrêté du 15 juillet 2015 du fait de l'insuffisance de ses prescriptions ou du non-respect d'un principe de conciliation doit être écarté comme inopérant.
5. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est pas d'ailleurs allégué, que les évolutions intervenues depuis l'adoption de l'arrêté du 15 juillet 2015 dans la connaissance des besoins biologiques et comportementaux des animaux, et particulièrement des éléphants, seraient à ce jour telles qu'elles constitueraient des circonstances nouvelles justifiant, le cas échéant, l'abrogation de cet arrêté, notamment en tant qu'il autorise la détention et la présentation, dans un cirque, d'une seule éléphante, se trouvant de ce fait isolée.
En ce qui concerne le respect des conditions mises au maintien de l'autorisation :
6. D'une part, en application de l'article R. 413-19 du code de l'environnement, l'arrêté d'autorisation d'ouverture fixe les prescriptions nécessaires en ce qui concerne notamment la sécurité et la santé publiques, mais également " 1° La détention des animaux dans des conditions visant à satisfaire les besoins biologiques et de conservation des différentes espèces, en prévoyant, notamment, un aménagement adapté des enclos en fonction de chaque espèce et le maintien de conditions d'élevage de qualité, assorti d'un programme étendu de nutrition et de soins vétérinaires prophylactiques et curatifs ; / 2° La promotion de l'éducation et de la sensibilisation du public en ce qui concerne la conservation biologique, notamment par la fourniture de renseignements sur les espèces exposées et leurs habitats naturels ; / 3° La participation aux activités favorisant la conservation des espèces animales. / (...) ". Outre des prescriptions particulières, l'arrêté du 15 juillet 2015 précise notamment, en son article 11, que " la détention, l'entretien et la présentation des animaux dans la ménagerie ou au cours des spectacles doivent être conformes aux dispositions réglementaires en vigueur et notamment à celles relatives à la santé et à la protection animale " et, en son article 14, que " les animaux doivent être entretenus et entrainés dans des conditions qui visent à satisfaire leurs besoins biologiques et comportementaux, à garantir leur sécurité, leur bien-être et leur santé ".
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 413-5 du code de l'environnement : " Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées en application du présent titre, des mesures administratives pouvant aller jusqu'à la fermeture de l'établissement peuvent être prescrites par l'autorité administrative. / Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article. ". En application de l'article R. 413-44 du même code les établissements tels celui de l'espèce sont soumis, au moins une fois par an, à des contrôles du respect des conditions posées par l'arrêté autorisant leur exploitation et de l'application des règles relatives à la détention des animaux. L'article R. 413-48 de ce code précise que lorsqu'est constaté le non-respect de ces conditions ou règles, le préfet met l'exploitant de l'établissement en demeure d'y satisfaire ou de s'y conformer. Aux termes de l'article R. 413-49 : " Si, à l'expiration du délai imparti par le préfet en application de l'article R. 413-48, l'exploitant n'a pas obtempéré à cette injonction, le préfet peut : / 1° Soit faire procéder d'office, aux frais de l'exploitant, à l'exécution des mesures prescrites ; / 2° Soit obliger l'exploitant à consigner entre les mains d'un comptable public une somme répondant du montant des travaux à réaliser, (...) / 3° Soit, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, réunie en sa formation de la faune sauvage captive sauf cas d'urgence, suspendre par arrêté le fonctionnement de l'établissement jusqu'à exécution des conditions imposées ou ordonner, après avis de la même commission, la fermeture de l'établissement. ". L'article L. 206-2 du code rural et de la pêche maritime prévoit pareillement, en cas de mauvais traitements envers les animaux, une mise en demeure de l'intéressé et une suspension d'activité. Parallèlement, si en cas d'infraction aux dispositions garantissant le bien-être animal, l'autorité compétente peut, sur le fondement des dispositions des articles L. 214-23 du code rural et de la pêche maritime et de l'article L. 172-12 du code de l'environnement, prendre une mesure de saisie ou retrait de l'animal, qui a la nature d'une mesure de police judiciaire dont il n'appartient qu'aux juridictions judiciaires de connaitre, le préfet peut également, au titre de ses pouvoirs de police administrative et sur le fondement de l'article R. 214-17 du code rural et de la pêche maritime prendre les mesures nécessaires pour réduire au minimum la souffrance de l'animal gravement malade ou blessé ou en état de misère physiologique du fait de mauvais traitements ou d'absence de soins.
8. En premier lieu, si la requérante formule des critiques d'ordre général relatives à l'isolement de l'éléphante de tout congénère, celui-ci est précisément autorisé par l'arrêté du 15 juillet 2015 et ne saurait dès lors, compte-tenu des principes et circonstances rappelés précédemment aux points 2 à 5, justifier son abrogation ou le transfert de l'animal.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 27 de l'arrêté du 18 mars 2011 : " (...) La nature du sol des installations extérieures doit être adaptée aux exigences de l'espèce, le cas échéant en fournissant des matériaux supplémentaires, tel du sable, de la sciure de bois ou de la paille./ (...) ". L'annexe III à cet arrêté, fixant les exigences minimales relatives à l'hébergement des espèces dans les installations utilisées pour la réalisation de spectacles itinérants, prévoit que les éléphants doivent, dans leur paddock extérieur, " pouvoir s'occuper par la mise à disposition de divers matériaux (branches, bains de sable ou de terre par exemple) ", tout en précisant que " si exceptionnellement un lieu de stationnement ne permet pas d'installer le paddock, les animaux doivent pouvoir prendre de l'exercice sur la piste de spectacle ".
10. L'association One Voice a demandé à un agent de recherches privées d'effectuer des investigations entre le 10 et le 24 avril 2019. Il ressort du rapport établi par ce dernier le 9 mai 2019, que celui-ci a vu l'animal, le 13 avril 2019, un moment allongé " à même le sol caillouteux ". Cependant, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que ce sol type " tout-venant " n'aurait pas été adapté aux exigences de l'espèce. Si l'agent a également relevé qu'aucun objet susceptible de distraire l'éléphante, " ni pneumatique, ni morceau de bois ", n'était visible lors de son passage ce jour, cette circonstance, qui pouvait revêtir un caractère ponctuel, n'est pas à elle seule de nature à justifier l'abrogation ou le transfert sollicités.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 34 de l'arrêté du 18 mars 2011 : " Au cours du dressage, ne doivent être exigés des animaux que les actions, les performances et les mouvements que leur anatomie et leurs aptitudes naturelles leur permet de réaliser et entrant dans le cadre des possibilités propres à leur espèce. A cet égard, il doit être tenu compte de l'âge, de l'état général, du sexe, de la volonté à agir et du niveau de connaissance de chacun des animaux. (...) ".
12. Au vu du rapport d'enquête établi, le numéro effectué par l'éléphante au cours des spectacles la conduirait notamment à se tenir debout sur ses pattes arrières, à s'asseoir sur son derrière ou à adopter d'autres postures particulières. Néanmoins, il ne ressort d'aucune pièce du dossier, et notamment pas de l'attestation particulièrement partisane établie par un vétérinaire, à supposer même qu'elle concerne bien cette éléphante, que ces performances et mouvements ne seraient pas permis par l'anatomie et les aptitudes naturelles de l'animal.
13. En quatrième lieu, l'agent a constaté que, durant les représentations, l'animal n'était pas attaché, se trouvait à quelques centimètres des premiers spectateurs dans les loges, et s'approchait des gradins sur ordre de son dresseur. Toutefois, si dans un rapport du 7 mai 2014, relatif à une visite du 22 avril 2014, le directeur départemental de la protection des populations du Val d'Oise a indiqué que l'éléphante était mise " à l'attache durant le spectacle suite à l'incident de septembre dernier ", il n'en résulte pas que l'établissement aurait l'obligation d'attacher l'animal durant les représentations. Ni l'arrêté du 15 juillet 2015, ni aucune autre disposition à laquelle la requérante se réfère ne comporte de mention en ce sens. En outre, ces constatations ne sont pas incompatibles avec la mise en place d'un dispositif de sécurité efficace et adapté ainsi que d'un espace de sécurité séparant le public de la piste où évoluent les animaux, conformément aux exigences de l'article 4 de l'arrêté du 15 juillet 2015.
14. En cinquième lieu, le rapport d'enquête auquel se réfère la requérante est insuffisant à établir que le " Cirque d'Europe " ne conduirait pas des actions de promotion de l'éducation et de la sensibilisation du public en ce qui concerne la conservation biologique, ni ne participerait à des activités favorisant la conservation des espèces animales. Au demeurant, ainsi que le relève l'association, l'arrêté du 15 juillet 2015 n'a imparti aucune prescription à l'établissement à cet égard.
15. Au total, sans qu'il soit besoin de prescrire une expertise, et bien que l'administration ne justifie pas avoir effectué les contrôles annuels auquel l'établissement devait en principe être soumis, il ne résulte d'aucune des circonstances mises en avant par l'association requérante que le " Cirque d'Europe " n'aurait pas respecté les conditions posées par l'arrêté du 15 juillet 2015 et les règles relatives à la détention des animaux. Le préfet n'a donc pas entaché sa décision d'illégalité en refusant de faire droit à la demande de l'association.
16. Il résulte de tout ce qui précède que l'association One Voice n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par l'association One Voice et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de l'association One Voice est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'association One Voice, à la ministre de la transition écologique, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et à la société Cirque Europe.
Copie en sera adressée à la fédération des cirques de tradition et propriétaires d'animaux de spectacle.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Merenne, premier conseiller,
- Mme B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2021.
N°19MA04275 2