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28/05/2021 | FRANCE | N°19MA02953

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 28 mai 2021, 19MA02953


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ekol Logistiques a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler, d'une part, la décision du 21 septembre 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration lui a appliqué la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant global de 105 600 euros, ainsi que la décision du 15 décembre 2017 rejetant son recours gracieux contre cette décision, d'autre part, le titre de perception afférent émis

son encontre le 13 octobre 2017.

Par un jugement n° 1800799 du 23 avril 2019,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ekol Logistiques a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler, d'une part, la décision du 21 septembre 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration lui a appliqué la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant global de 105 600 euros, ainsi que la décision du 15 décembre 2017 rejetant son recours gracieux contre cette décision, d'autre part, le titre de perception afférent émis à son encontre le 13 octobre 2017.

Par un jugement n° 1800799 du 23 avril 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 28 juin 2019 et le 7 novembre 2019, la société Ekol Logistiques, représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 avril 2019 ;

2°) d'annuler, d'une part, la décision du 21 septembre 2017 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que la décision du 15 décembre 2017 rejetant son recours gracieux contre cette décision, d'autre part, le titre de perception afférent émis le 13 octobre 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les deux travailleurs en question intervenaient dans le cadre de prestations de service intragroupe et avaient la qualité de travailleurs détachés, ce qui les dispensait de justifier d'une autorisation de travail en France ;

- elle a respecté l'obligation de déclaration préalable aux détachements ;

- le non-respect des dispositions des articles L. 1262-4-1 du code du travail ne pouvaient être passible que de l'amende de 4ème classe fixée à l'article L. 1264-3, dont le montant ne pouvait être supérieur à 4 000 euros ;

- le groupe n'a jamais entendu détacher Monsieur A... C... dont le périmètre d'intervention intègre la France sans s'y limiter ;

- les deux salariés en cause effectuaient, pour l'un, une mission d'expertise informatique et, pour l'autre, une mission d'audit de gestion logistique d'une durée inférieure ou égale à trois mois, ce qui les dispensait, en vertu les dispositions de l'article D. 5221-2-1 du code du travail, de justifier d'une autorisation de travail en France.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2019, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société Ekol Logistiques la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Ekol Logistiques est une société de droit français filiale à 100 % de la société Ekol Lojistik Gmbh, société de droit allemand, elle-même détenue à 100 % par la société Ekol Lojistik AS, société de droit turc. Elle exerce une activité de transports international de marchandises et est basée sur la zone portuaire de Sète. A l'issue d'un contrôle effectué le 10 novembre 2016, les services de l'inspection du travail de l'Hérault ont constaté la présence en action de travail de deux salariés étrangers dépourvus de titre les autorisant à exercer une activité salariée en France. Par décision du 21 septembre 2017, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a appliqué à la société requérante la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 105 600 euros. Puis par décision du 15 décembre 2017, cette même autorité a rejeté le recours gracieux formé par cette société. Le titre de perception afférent a été émis le 13 octobre 2017. La société Ekol Logistiques relève appel du jugement du 23 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation, d'une part, des décisions du 21 septembre 2017 et du 15 décembre 2017 du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, d'autre part, du titre de perception émis le 13 octobre 2017.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être intentées à son encontre, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur sans titre de travail, une contribution spéciale au bénéfice de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant (...) peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. (...) ". Aux termes de l'article R. 8253-1 du même code : " La contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 est due pour chaque étranger employé en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1. / Cette contribution est à la charge de l'employeur qui a embauché ou employé un travailleur étranger non muni d'une autorisation de travail. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1262-1 du code du travail : " Un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement. / Le détachement est réalisé : / 1° Soit pour le compte de l'employeur et sous sa direction, dans le cadre d'un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France ; / 2° Soit entre établissements d'une même entreprise ou entre entreprises d'un même groupe ; / 3° Soit pour le compte de l'employeur sans qu'il existe un contrat entre celui-ci et un destinataire. ". L'article L. 1261-3 dans sa rédaction applicable au litige dispose que " Est un salarié détaché au sens du présent titre tout salarié d'un employeur régulièrement établi et exerçant son activité hors de France et qui, travaillant habituellement pour le compte de celui-ci, exécute son travail à la demande de cet employeur pendant une durée limitée sur le territoire national dans les conditions définies aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2. ". L'article L. 1262-2-1 dispose que " I.- L'employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation. (...) / III.- L'accomplissement des obligations mentionnées aux I et II du présent article ne présume pas du caractère régulier du détachement. ".

4. Enfin, aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ".

5. Aux termes de l'article L. 5221-5 du même code : " Un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de travail mentionnée au 2° de l'article L. 5221-2. (...) ". Aux termes de l'article R. 5221-2 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " Sont dispensés de l'autorisation de travail prévue à l'article R. 5221-1 : / 1° Le salarié, détaché dans les conditions prévues aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2 et travaillant de façon régulière et habituelle pour le compte d'un employeur établi sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ; (...) /; 3° L'étranger, entré en France pour exercer une activité professionnelle salariée pour une durée inférieure ou égale à trois mois, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2-1. ". L'article L. 5221-2-1 prévoit que " Par dérogation à l'article L. 5221-2, l'étranger qui entre en France afin d'y exercer une activité salariée pour une durée inférieure ou égale à trois mois dans un domaine figurant sur une liste fixée par décret n'est pas soumis à la condition prévue au 2° du même article. ". Et au 6° de l'article D. 5221-2-1, issu du décret du 28 octobre 2016 pris pour l'application de cet article L. 5221-2-1l et qui est entré en vigueur le 31 octobre 2016, figure, au nombre des domaines listés, les missions d'audit et d'expertise en informatique, gestion, finance, assurance, architecture et ingénierie.

6. Il résulte de l'instruction, particulièrement des énonciations du procès-verbal établi à la suite du contrôle opéré le 10 novembre 2016 par les services de l'inspection du travail et qui font foi jusqu'à preuve contraire, que M. B... E... et M. A... C... se trouvaient dans les locaux de la société Ekol Logistiques. Le procès-verbal indique qu'ils étaient " occupés sur des postes informatiques " et que " les écrans font apparaître ce qui semble être une application de pointage de chargement ". Les inspecteurs ont déduit de ces constatations que les deux hommes, salariés de la société mère de droit turc Ekol Lojistik AS, réalisaient une " prestation de services auprès de la société Ekol Logistiques consistant en la mise en place d'un logiciel de gestion logistique ".

En ce qui concerne la situation de M. B... E... :

7. Il est constant que la société Ekol Lojistik AS a adressé à la DIRECCTE d'Occitanie en date du 27 septembre 2016 une déclaration préalable au détachement M. B... E... pour une période de 3 mois. Et il résulte de l'instruction que l'intéressé est entré en France le 9 novembre 2016, soit la veille du contrôle. Si la société appelante soutient que M. B... E..., qui a été embauché en 2003 par la société Ekol Lojistik AS en qualité " d'Uzman ", qui se traduirait en français par " expert " ou " spécialiste ", s'était vu confier auprès de la société Ekol Logistiques une mission d'expertise informatique et qu'il entrait ainsi dans le cas de dispense d'autorisation de travail en France prévu par la combinaison de l'article L. 5221-2-1 et du 6° de de l'article D. 5221-2-1 du code du travail cités au point 4 ci-dessus, elle ne l'établit pas en se bornant à produire un contrat de travail portant le nom de l'intéressé, non traduit en français et au demeurant non co-signé par celui-ci et en affirmant qu'il avait pour mission de vérifier la bonne intégration et la bonne utilisation du progiciel Quadro. En conséquence, alors même qu'il justifiait de la qualité de travailleur détaché au sens de l'article L. 1261-3, M. B... E... était soumis aux dispositions de l'article L. 5221-2, lesquelles exigent pour l'exercice d'une activité salarié en France la détention d'une autorisation délivrée par l'administration.

En ce qui concerne la situation de M. A... C... :

8. Si selon les affirmations de la société Ekol Logistiques, la société Ekol Lojistik AS n'aurait jamais eu l'intention de détacher auprès d'elle M. A... C..., qui est présenté comme étant cadre dirigeant opérationnel responsable pour la partie Europe du Sud, il résulte toutefois de l'instruction qu'une déclaration préalable au détachement a été enregistrée à la DIRECCTE le 21 novembre 2016, postérieurement au contrôle. Par ailleurs, s'il ressort des énonciations du procès-verbal établi par l'inspection du travail que l'intéressé a déclaré, lors du contrôle, qu'il ne travaillait pas, il a néanmoins été vu, tout comme M. B... E..., occupé sur un poste informatique. Au demeurant, la société Ekol Logistiques soutient finalement que les deux hommes assuraient une mission d'expertise informatique pour son compte. Dans ces conditions, et dans la mesure où M. A... C... ne justifiait pas d'une déclaration préalable au détachement à la date du contrôle, la société requérante ne peut en tout état de cause se prévaloir, à l'égard de ce dernier, des dispositions précitées relatives aux travailleurs détachés, et en particulier de la dispense d'autorisation de travail en France prévue par la combinaison de l'article L. 5221-2-1 et du 6° de l'article D. 5221-2-1. Le visa C " tourisme et affaires " qui lui a été délivré par les autorités allemandes ne lui donnait aucun droit à travailler en Allemagne et partant, en France.

9. Le fait que le défaut de déclaration préalable au détachement, qui constitue une méconnaissance des dispositions de l'article L. 1262-2-1 du code du travail, soit passible de l'amende administrative prévue à l'article L. 1264-1 du même code ne fait aucunement obstacle à l'application à la société Ekol Logistiques de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 cité au point 2 ci-dessus, laquelle a vocation à sanctionner un manquement distinct.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ekol Logistiques n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Ekol Logistiques demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Ekol Logistiques une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'Office français de l'immigration et de l'intégration et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Ekol Logistiques est rejetée.

Article 2 : La société Ekol Logistiques versera à l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ekol Logistiques et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 17 mai 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Coutier, premier conseiller,

- Mme G..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2021.

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N° 19MA02953

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA02953
Date de la décision : 28/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-06-02-02 Étrangers. Emploi des étrangers. Mesures individuelles. Contribution spéciale due à raison de l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger.


Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : TINAS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-05-28;19ma02953 ?
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