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28/05/2021 | FRANCE | N°19MA02234

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 28 mai 2021, 19MA02234


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... L... et Mme C... L... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Toulon :

- à leur verser la somme totale de 204 289,39 euros en réparation de leurs préjudices résultant d'infiltrations d'eau dans certains lots leur appartenant dans l'ensemble immobilier situé au 4, rue Francis de Pressensé à Toulon, assortie des intérêts à taux légal à compter de la date du jugement ;

- à prendre en charge l'ensemble des travaux futurs de reprise et de réparati

on des lots nos 6 et 7 de l'ensemble immobilier, pour un montant total de 49 555 euros ; ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... L... et Mme C... L... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Toulon :

- à leur verser la somme totale de 204 289,39 euros en réparation de leurs préjudices résultant d'infiltrations d'eau dans certains lots leur appartenant dans l'ensemble immobilier situé au 4, rue Francis de Pressensé à Toulon, assortie des intérêts à taux légal à compter de la date du jugement ;

- à prendre en charge l'ensemble des travaux futurs de reprise et de réparation des lots nos 6 et 7 de l'ensemble immobilier, pour un montant total de 49 555 euros ;

- à leur verser la somme de 16 423,65 euros au titre des frais de l'expertise judiciaire ordonnée par le président du tribunal de grande instance de Toulon le 4 janvier 2008.

Par un jugement n° 1603283 du 21 mars 2019, le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune de Toulon à verser à M. et Mme L... une somme de 18 423,65 euros en réparation de leurs préjudices, mis à la charge de la commune une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 mai 2019 et le 22 septembre 2020, M. et Mme L..., représentés par Me B..., demandent à la Cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Toulon du 21 mars 2019 en tant qu'il a limité à 18 423,65 euros, la condamnation de la commune de Toulon à indemniser leurs préjudices ;

2°) de condamner la commune de Toulon à leur verser la somme de

203 079,74 euros au titre des préjudices subis avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, la somme de 46 585 euros au titre des travaux de réparation à entreprendre avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, et la somme de 16 423,65 euros au titre des frais d'expertise mis à leur charge dans le cadre de l'instance engagée devant le tribunal de grande instance de Toulon ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Toulon une somme de 7 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les lots nos 6 et 7 de la propriété qu'ils ont acquise 4, rue Francis de Pressensé, à Toulon, sont affectés de désordres trouvant leur cause directe dans un accident de chantier survenu le 18 avril 2001, au cours des travaux de réalisation de l'école élémentaire publique Saint-Louis attenante à la copropriété ;

- ils ont la qualité de tiers par rapport aux travaux réalisés pour la construction de l'école élémentaire Saint-Louis qui est mitoyenne à leur immeuble, et ont subi un préjudice anormal et spécial ;

- la responsabilité de la commune de Toulon est engagée de ce fait ;

- leurs préjudices s'élèvent aux sommes de 67 865,74 euros au titre de la perte de valeur vénale des lots nos 6 et 7, de 47 500 euros au titre du préjudice de jouissance, de 62 400 euros au titre de la perte de chance de louer les locaux concernés, de 10 000 au titre des troubles dans les conditions d'existence, de 8 164 euros au titre des charges annuelles de copropriété et de

7 150 euros au titre de la taxe foncière, acquittées pour les lots nos 6 et 7, de 46 585 euros au titre des travaux futurs de reprise et de réparation des lots précités et de 16 423,65 euros au titre des frais de l'expertise judiciaire.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 juin 2020 et 30 novembre 2020, la commune de Toulon, représentée par Me F..., conclut :

- au rejet de la requête de M. et Mme L... ;

- par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement la condamnant à indemniser les époux L... de leurs préjudices, subsidiairement, à la réduction du montant de sa condamnation ;

- à ce que soit mise à la charge des époux L... une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les travaux de construction du groupe scolaire Saint-Louis ne sont pas à l'origine des dommages constatés dans la propriété de M. et Mme L..., qui sont dus à la vétusté de l'immeuble et au défaut d'entretien de celui-ci par la copropriété ;

- les dommages dont les époux L... demandent l'indemnisation ne présentent pas un caractère anormal et spécial ;

- les préjudices allégués par les époux L... ne sont pas établis ;

- ils avaient connaissance du mauvais état des bâtiments dont ils ont fait l'acquisition lors de leur achat en juillet 2006 ;

- les préjudices qu'ils allèguent ont été aggravés par le manque de diligence dont ils ont fait preuve.

La clôture de l'instruction a été fixée au 4 janvier 2021 par ordonnance du

4 décembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me H..., substituant Me F..., représentant la commune de Toulon.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme L... ont acquis, le 20 juillet 2006, une surface de 315,80m² en plusieurs lots, représentant une quote-part de 359/1 000ème des parties communes d'un ensemble immobilier situé 4, rue Francis de Pressensé à Toulon, sur une parcelle cadastrée section CM n° 90. Déplorant des dommages affectant les lots 6 et 7, lesquels consistent en des entrepôts, ils ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulon d'une demande tendant à ce que soit ordonnée une expertise afin de déterminer la cause de ces désordres. Par ordonnance du 4 janvier 2008, le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulon a désigné M. E... J... en tant qu'expert judiciaire, qui a déposé son rapport final le 5 mars 2013. A la suite de la remise de ce rapport, les époux L... ont assigné la commune de Toulon devant le tribunal de grande instance de Toulon, afin de voir reconnaître la responsabilité de cette dernière dans la réalisation de leurs préjudices et de la condamner à les en indemniser. Par une ordonnance du 15 septembre 2015, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Toulon a déclaré le tribunal incompétent pour statuer sur la demande d'indemnisation de M. et Mme L.... Ces derniers ont alors saisi le tribunal administratif de Toulon aux fins de condamnation de la commune de Toulon à leur verser la somme totale de 253 844,39 euros en réparation de leurs préjudices, dont ils estiment que celle-ci est responsable. Par un jugement du 21 mars 2019, dont les époux L... demandent en appel l'infirmation, le tribunal administratif de Toulon n'a condamné la commune de Toulon qu'à leur verser une somme de 18 423,65 euros en réparation de leurs préjudices. Par la voie de l'appel incident, la commune de Toulon demande l'annulation de ce jugement, subsidiairement la réduction de la condamnation prononcée à son encontre.

Sur la responsabilité :

2. Même en l'absence de faute, le maître de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, le maître d'oeuvre et les constructeurs en charge des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution desdits travaux publics à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. En outre, dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.

3. Il résulte de l'instruction, et n'est pas contesté, que les désordres déplorés par les époux L... consistent, d'une part, en la fragilisation, allant jusqu'à la menace d'un effondrement, de la voûte coiffant le lot n° 7 de la copropriété, dont la cohésion et la structure ont été altérées par un lessivage du mortier liant les pierres qui la forment du fait d'infiltrations d'eau sur un tiers de sa longueur du côté Est, mitoyen de la cour de récréation de l'école maternelle Saint-Louis et, d'autre part, en l'apparition de très importantes fissures sur le mur mitoyen avec le lot n° 6, sur lequel s'appuie la voûte du lot n°7 sur sa partie Nord. Les opérations d'expertise menées par M. J... ont permis de démontrer que la fragilisation de la voûte coiffant le lot n° 7 était due à l'infiltration, dans le corps de la voûte, des eaux pluviales recueillies sur la terrasse à usage privatif située au deuxième étage du bâtiment C de la copropriété, juste au-dessus du lot n° 7, qui recueillait, les eaux pluviales tombées sur cette terrasse, d'une surface de 36 m2 ainsi que, avant la réalisation de travaux par la commune de Toulon entre le 6 mai 2008 et le 28 mai 2009, sur une autre terrasse proche, d'une surface de

40 m2, située au-dessus d'un bâtiment de la copropriété appartenant à la commune de Toulon, et surélevée de 50 cm par rapport à la terrasse à usage privatif sur laquelle se déversaient les eaux pluviales par elle-même recueillies. Par ailleurs, il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que, alors qu'étaient engagés depuis le 11 avril 2001 des travaux de démolition dans la partie de la copropriété appartenant à la commune de Toulon, à la suite d'une procédure d'expropriation, dans le cadre de l'opération de construction du groupe scolaire Saint-Louis, un partie de l'angle sud-est du bâtiment de la copropriété, dans lequel s'articulent trois voûtes, s'est effondré le

18 avril 2001, provoquant notamment l'effondrement d'un parapet de 2 mètres de haut bordant la terrasse située au 2ème étage de l'immeuble, au-dessus du lot n° 7, sur une longueur de

2,5 mètres.

4. S'appuyant sur les conclusions du rapport de l'expert M. J..., les époux L... soutiennent que l'accident de chantier ayant provoqué les dégâts décrits au point précédent est à l'origine, d'une part, des infiltrations ayant fragilisé la voûte du lot n° 7 et, d'autre part, des désordres constatés dans le lot n° 6. Pour parvenir à cette conclusion, l'expert a, d'abord, éliminé l'hypothèse d'un défaut d'étanchéité de la terrasse sus-jacente au lot n° 7, en relevant que la mise en eau de la terrasse, réalisée après que les époux L... se sont plaints à la copropriété de l'eau tombant " en cascades " à travers la voûte de l'entrepôt lors de forts épisodes pluvieux, permettait de conclure à une étanchéité convenable de cette terrasse. Il a ensuite retenu que la reprise du raccordement de la bonde d'évacuation des eaux pluviales situées sur la terrasse privative située au-dessus du lot n° 7 à la canalisation encastrée dans l'épaisseur de la voûte, effectué par l'entreprise missionnée à cette fin par la copropriété, le

15 janvier 2007, a permis de mettre fin aux désordres. Après avoir déploré que la commune de Toulon, malgré ses demandes en ce sens, n'a fourni aucun document, tels des documents de chantier des travaux de réparations entrepris après l'accident du 18 avril 2001 et marchés de travaux de démolitions et de construction de l'école et de confortement et de réparation des bâtiments touchés par le sinistre, l'expert a considéré que " l'analyse des différents rapports et constats [lui permettaient] d'affirmer que le raccordement de cet avaloir sur la canalisation encastrée dans l'épaisseur de la voûte a été déboité lors de l'accident de chantier du

18 avril 2001 " (p. 38 du rapport) et que depuis cette date et durant près de six années " les eaux pluviales récoltées par la terrasse couvrant le bâtiment de la ville de Toulon mitoyen et la terrasse à usage privatif au 2ème étage de la copropriété [se sont répandues] à l'intérieur de la voûte du lot n° 7 " (p. 50 du rapport), provoquant les désordres constatés dans ce lot. S'agissant des désordres affectant le mur mitoyen avec le lot n° 6 (larges fissures), l'expert a considéré que l'accident de chantier du 18 avril 2001 en était également la cause, du fait du basculement de la voûte lors de l'effondrement de sa partie sud-est. Au terme de cette analyse, l'expert a considéré que les désordres affectant les lots nos 6 et 7 appartenant aux époux L... étaient entièrement imputables aux services techniques de la ville de Toulon, maîtres d'oeuvre des travaux et agissant pour le compte de la commune de Toulon, maître d'ouvrage des travaux, responsables d'une erreur de conception et de direction du chantier, du fait de la mauvaise prise en compte des effets de la démolition de la voûte sur deux niveaux à l'intérieur du bâtiment appartenant à la ville de Toulon, sur les voûtes mitoyennes (p. 43-44 du rapport), à l'origine de l'accident de chantier.

5. Pour contester la mise en cause de sa responsabilité en qualité de maître d'ouvrage des travaux publics litigieux, la commune de Toulon soutient, d'abord, que le lien de causalité entre l'accident de chantier du 18 avril 2001 et les désordres déplorés par les époux L... n'est pas établi, le rapport d'expertise de M. J... ne pouvant faire foi dès lors qu'il est contredit par d'autres rapports d'expertise réalisés antérieurement. Elle soutient en outre que les désordres ont pour cause l'inertie de la copropriété, qui n'est pas intervenue sur l'étanchéité de la terrasse ou de la bonde-avaloir avant janvier 2007, ou que cette inertie en constitue a minima la cause déterminante. Elle fait valoir enfin que les époux L... ne pouvaient ignorer l'état délabré de la copropriété au moment de l'acquisition des lots dont ils sont les propriétaires et que les préjudices qu'ils allèguent ont été aggravés par le manque de diligence dont ils ont fait preuve pour y mettre un terme.

6. D'une part, le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge,

soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information, dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier. D'autre part, lorsque sa responsabilité est engagée sur le terrain du risque en raison de dommages qui trouvent leur cause directe dans le mauvais fonctionnement d'un ouvrage public, une commune ne saurait l'atténuer en alléguant la faute d'une personne qui a la qualité de tiers par rapport à la victime. Enfin, lorsqu'il est soutenu qu'une partie s'est exposée en connaissance de cause au risque dont la réalisation a causé les dommages dont elle demande réparation au titre de la présence, du fonctionnement d'un ouvrage public ou de ses travaux de construction, il appartient au juge d'apprécier s'il résulte de l'instruction, d'une part, que des éléments révélant l'existence d'un tel risque existaient à la date à laquelle cette partie est réputée s'y être exposée et, d'autre part, que la partie en cause avait connaissance de ces éléments et était, à cette date, en mesure d'en déduire qu'elle s'exposait à un tel risque, qu'il ait été d'ores et déjà constitué ou raisonnablement prévisible.

7. En premier lieu, la commune de Toulon fait valoir que M. I..., expert désigné, par ordonnance du 18 février 2003 du tribunal de grande instance de Toulon du 18 février 2003, pour déterminer si l'immeuble présentait un péril grave et imminent, a relevé dans son rapport que la voûte du local n° 7 était dans un état de vétusté important et présentait des fissures nombreuses mais sans trace de mouvements d'affaissement de la voûte pouvant la déstabiliser, et a constaté que " des vides ont été rebouchés avec du mortier depuis plusieurs années et il ne semble pas y avoir eu de mouvement depuis ". La commune fait valoir en outre que l'état des lots 6 et 7 antérieurement aux travaux n'est pas connu dès lors que les locaux en question n'ont pas été visités par l'expert, M. K..., désigné par le tribunal de grande instance de Toulon par ordonnance du 24 mars 2000 et que le rapport de M. D..., expert désigné par le même tribunal, à la demande de l'expert M. J..., par ordonnance du 7 octobre 2010, afin de déterminer les travaux devant être entrepris de toute urgence pour mettre fin à un état de péril imminent, retient que la terrasse à usage privatif situé au-dessus du lot n° 7 " ne comporte pas d'éléments d'étanchéité particuliers et est par conséquent peu étanche aux infiltrations, notamment au droit des pieds de murs en périphérie malgré l'évacuation existante ". Il résulte, toutefois, de l'instruction, d'une part, que si le bâtiment de la copropriété, antérieurement à l'accident de chantier, a été frappé de nombreux arrêtés de péril, notamment le

16 novembre 2000 pour le dernier d'entre eux, aucun désordre de structure n'était relevé, mais des " chutes de plaques d'enduit ", d'autre part, que si le rapport de M. K... réalisé en 2000 avait bien noté la faiblesse d'une des voûtes du bâtiment, étayée de l'intérieur, il s'agissait de celle qui se trouvait, avant démolition, à l'intérieur du bâtiment appartenant à la ville de Toulon, qu'en outre, la possible faiblesse de l'étanchéité de la terrasse à usage privatif relevée par

M. D... ne concerne que les pieds de murs en périphérie et ne permet pas de rendre compte du lessivage du mortier liant les pierres de la voûte et, enfin, que le processus de fragilisation de la voûte du fait des infiltrations, en raison de sa progressivité, pouvait n'être pas perceptible en 2003, à la date à laquelle M. I... a réalisé son expertise. Dans ces conditions, compte tenu de la précision du rapport d'expertise de M. J..., de la production de l'ensemble des documents sur lesquels il s'est appuyé pour parvenir à ces conclusions, qui en corroborent le contenu, et de l'absence d'éléments permettant de remettre en cause la pertinence de ces conclusions, il n'y a pas lieu de ne pas tenir compte de ce rapport lequel a pu être discuté à l'occasion du présent litige.

8. En deuxième lieu, à supposer même que la copropriété, tiers à l'égard de la victime, ait manqué de diligence pour remédier aux problèmes d'infiltrations affectant le lot n° 7, la commune n'est pas fondée à se prévaloir de cette éventuelle faute pour s'exonérer de sa responsabilité, ainsi qu'il a été dit au point 6.

9. En troisième lieu, alors qu'il n'est pas contesté que l'acte de vente des lots acquis par les époux L... au sein de la copropriété faisait état des nombreux arrêtés de péril dont le bâtiment avait été frappé, lesquels, au demeurant, n'en concernaient que la façade, et qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'ils auraient eu connaissance d'infiltrations dans la structure des locaux, la commune de Toulon ne peut se prévaloir d'un risque accepté des intéressés pour s'exonérer de son éventuelle responsabilité, la seule circonstance que ces derniers ont acquis leur propriété à un bas prix ne pouvant suffire à établir l'acceptation d'un tel risque.

10. Enfin, la commune de Toulon n'est pas fondée à invoquer la faute qu'aurait commise les époux L... en tardant à introduire une action en justice pour remédier aux désordres constatés dans deux des lots acquis, ce qui aurait conduit à aggraver leur préjudice, dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'ils ont, très peu de temps après cette acquisition, recherché l'action de la copropriété, dont, au demeurant, la commune de Toulon fait partie, et saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulon, dès 2007, aux fins de déterminer l'origine de ces désordres.

11. Il ressort des points 3 à 10 que les désordres dont sont affectés les lots nos 6 et 7 de la copropriété dont les époux L... sont propriétaires sont en lien direct et certain avec les travaux de démolition - construction du groupe scolaire Saint-Louis. Ces derniers, qui n'ont pas à prouver le caractère anormal et spécial de leur préjudice dès lors que son origine est accidentelle, sont donc fondés à soutenir qu'ils ont subi, en leur qualité de tiers, un préjudice engageant, même en l'absence de faute, la responsabilité de la commune de Toulon, en qualité de maître d'ouvrage.

12. Il résulte des points 2 à 11 que la commune de Toulon n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Toulon l'a reconnue responsable des dommages affectant la propriété de M. et Mme L....

Sur les préjudices :

13. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'éventuelle perte de valeur vénale susceptible de résulter des dommages affectant les lots 6 et 7 appartenant aux époux L..., perte dont ils n'établissent pas, au demeurant, le caractère certain, compte tenu du faible coût d'acquisition des locaux concernés, ne pourrait être annulée par la réalisation de travaux de réfection desdits locaux. La demande formulée à ce titre doit, dans ces conditions, être rejetée.

14. En deuxième lieu, les époux L... établissent, par la production d'un devis établi par la société PRTB, estimant à la somme de 46 585 euros TTC les travaux de reprise de voûte d'un local qui correspond manifestement au lot n° 7 affecté par les désordres, et ne concerne que des travaux de reprise de structure, en dehors de tous travaux d'embellissement, la réalité du préjudice né de la nécessité de faire réaliser de tels travaux afin de remédier aux désordres dont est responsable la commune de Toulon. Cette dernière doit donc être condamnée à verser aux époux L... une telle somme au titre de ce préjudice spécifique.

15. En troisième lieu, les époux L... soutiennent que les dommages dont est responsable la commune de Toulon leur ont causé un préjudice résultant de la perte de loyers qu'ils espéraient retirer de la location des entrepôts endommagés, pour un montant de

60 000 euros. Toutefois, ils n'établissent pas le lien direct et certain entre l'impossibilité de louer ces locaux et les dommages dont ils sont affectés du fait des travaux réalisés sous la maîtrise d'ouvrage de la commune, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que lesdits entrepôts auraient été mis en location avant l'acquisition qu'ils en ont faite, ni que les intéressés aient fait les démarches nécessaires pour les mettre en location, ni même que ces locaux, en l'absence de ces dommages, auraient pu être mis en location sans que soient nécessaires des travaux de remise en état, alors qu'ils se trouvaient dans un ensemble immobilier vétuste ayant fait l'objet de nombreux arrêtés de péril.

16. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que les désordres de structure affectant les lots nos 6 et 7 du fait des travaux publics exécutés sous maîtrise d'ouvrage de la commune de Toulon ont empêché toute possibilité d'utilisation, de transformation, ou de revente des locaux. Dans ces conditions, les époux L... sont fondés à demander l'indemnisation de leur préjudice de jouissance, dont il sera fait une juste évaluation en le fixant à la somme de

5 000 euros.

17. En sixième lieu, il résulte de l'instruction que les multiples démarches et procédures engagées par les époux L... pour faire établir la cause des désordres affectant les lots acquis et pouvoir être indemnisés des préjudices qui en ont résulté, leur ont causé un trouble dans leurs conditions d'existence dont il sera fait une juste appréciation en en fixant l'indemnisation à la somme de 3 000 euros.

18. En septième lieu, ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, les charges annuelles de copropriété et la taxe foncière dont les époux L... se sont acquittés depuis l'acquisition des lots litigieux ne sont que la contrepartie de leur qualité de propriétaire et ne peuvent être regardés comme des préjudices résultant des dommages causés par les travaux litigieux.

19. En dernier lieu, dès lors que, ainsi qu'il résulte des points 3 à 7 du présent arrêt, l'expertise menée par M. J... suite à sa désignation par le tribunal de grande instance de Toulon a permis de déterminer tant l'étendue que l'origine des préjudices dont sont victimes les époux L..., cette expertise présentait un caractère utile à la résolution du présent litige et la somme de 16 423,65 euros mise à leur charge définitive par le tribunal de grande instance de Toulon constitue un préjudice dont ils sont fondés à demander l'indemnisation à la commune de Toulon.

20. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de porter la somme que le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune de Toulon à verser aux époux L... à 71 008,65 euros TTC dont 16 423,65 euros au titre des frais d'expertise. Cette première somme - dont sera déduit s'il a déjà été versé le montant de 18 423,65 euros - portera intérêt au taux légal, conformément à la demande de ces derniers, à compter de la date du jugement de 1ère instance, soit le 21 mars 2019, et ces intérêts seront eux-mêmes capitalisés au 21 mars 2020 et au 21 mars 2021 et, le cas échéant, à chaque échéance annuelle.

Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme L..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme quelconque au titre des frais exposés par la commune de Toulon. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de cette dernière la somme de 2 000 euros, à verser aux appelants, sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 18 423,65 euros que la commune de Toulon a été condamnée à verser à M. et Mme L... par le jugement du tribunal administratif de Toulon du 21 mars 2019 est portée à 71 008,65 euros TTC dont 16 423,65 euros au titre des frais d'expertise. Cette première somme - dont sera déduit s'il a déjà été versé le montant de 18 423,65 euros - portera intérêt au taux légal, conformément à la demande de ces derniers, à compter de la date du jugement de 1ère instance, soit le 21 mars 2019, et ces intérêts seront eux-mêmes capitalisés au 21 mars 2020 et au 21 mars 2021 et, le cas échéant, à chaque échéance annuelle.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 21 mars 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Toulon versera à M. et Mme L... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. et Mme L... et les conclusions présentées par la commune de Toulon par la voie de l'appel incident sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... L... et Mme C... L... et à la commune de Toulon.

Délibéré après l'audience du 11 mai 2021, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- Mme G..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 28 mai 2021.

2

N° 19MA02234


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA02234
Date de la décision : 28/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-03 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Thérèse RENAULT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL MAUDUIT LOPASSO GOIRAND et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-05-28;19ma02234 ?
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