Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 19 mai 2017 par laquelle le directeur départemental de la sécurité publique du Var a prononcé à son encontre un blâme.
Par un jugement n° 1702107 du 20 mai 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 20 juillet 2019, Mme B..., représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) d'enjoindre à l'administration de retirer la sanction annulée de son dossier administratif et d'en supprimer toute mention dans les logiciels de traitement de données administratives individuelles, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal ne s'est pas prononcé sur la méconnaissance de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 ;
- la décision attaquée est insuffisamment motivée en fait comme en droit ;
- la motivation en droit est inexacte ;
- les dispositions de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 s'opposaient à ce qu'un agent soit sanctionné pour avoir dénoncé une situation de harcèlement moral ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la sanction infligée repose sur l'application des articles R. 434-4 et R. 434-5 du code de la sécurité intérieure qui interviennent dans une matière réservée au législateur par l'article 34 de la Constitution.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 mars 2021, le ministre de l'intérieur conclut au non-lieu à statuer, subsidiairement au rejet de la requête.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Mme B....
Une note en délibéré présentée par Me C... pour Mme B... a été enregistrée le 26 avril 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Par décision du 19 mai 2017, le directeur départemental de la sécurité publique du Var a prononcé à l'encontre de Mme B... un blâme alors que, titulaire du grade de brigadier major de police, elle était en fonction à la circonscription de sécurité publique du Var. l'intéressée relève appel du jugement du 20 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur l'exception de non-lieu opposée par le ministre de l'intérieur :
2. Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : / - l'avertissement ; / - le blâme. (...) Parmi les sanctions du premier groupe, seul le blâme est inscrit au dossier du fonctionnaire. Il est effacé automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucune sanction n'est intervenue pendant cette période. (...) ".
3. Il est constant que la sanction dont Mme B... a fait l'objet n'a pas été retirée. Les circonstances que le blâme prononcé par la décision du 19 mai 2017 a été automatiquement effacé du dossier en application des dispositions de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984, qu'aucune nouvelle sanction n'a été infligée à l'intéressée sur une période de trois ans courant à compter de la date de ce blâme et que Mme B... a été admise à la retraite à compter du 1er janvier 2020 n'ont pas provoqué la disparition rétroactive de cette décision de l'ordre juridique. Par suite, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de Mme B... tendant à l'annulation de la décision attaquée.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le fonctionnaire qui s'adresse à un supérieur hiérarchique pour faire cesser des faits de harcèlement moral ou relate de tels faits ne peut être sanctionné pour ce motif, sauf mauvaise foi. Celle-ci ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis et n'est constituée que lorsqu'il est établi que l'intéressé savait que les faits dénoncés étaient faux.
5. Pour infliger la sanction du blâme à Mme B..., le directeur départemental de la sécurité publique du Var lui a reproché d'avoir adressé au préfet du Var, en sa qualité de président du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), un courrier daté du 12 décembre 2016 portant à sa connaissance des faits lui semblant relever d'un harcèlement moral et d'une discrimination professionnelle, en s'affranchissant de la voie hiérarchique et sans avoir cherché à saisir ce comité par l'intermédiaire d'un responsable local du personnel ou d'un représentant local spécialement désigné. Il a estimé que ce fait était constitutif de manquements déontologiques au regard des articles R. 434-4 et R. 434-5 du code de la sécurité intérieure précisant, pour les policiers et les gendarmes, l'étendue de l'obligation d'obéissance hiérarchique, et d'une faute professionnelle.
6. Il ressort des pièces du dossier que le courrier du 12 décembre 2016 litigieux, envoyé par la requérante au préfet du Var, faisait part à celui-ci de différents agissements de son administration, dont elle décrivait la nature, constitutifs selon elle d'un harcèlement moral depuis 2014, décrivait la dégradation de son état de santé mentale en résultant, précisait qu'aucune suite n'avait été donnée à une démarche précédemment entreprise par elle auprès de l'autorité hiérarchique et lui demandait d'intervenir pour mettre fin à ces agissements. Par ce courrier, Mme B... doit être regardée comme ayant témoigné d'agissements de harcèlement moral au sens du 3° de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 ou comme les ayant relatés. Si le ministre soutient que les faits dénoncés n'étaient pas constitutifs de harcèlement moral, il ne conteste pas et il ne ressort pas des pièces du dossier que ces mêmes faits aient été matériellement inexacts. La requérante ne peut donc être regardée comme ayant dénoncé en toute connaissance de cause des faits non établis et avoir ainsi fait preuve de mauvaise foi. Dès lors, alors même que Mme B... s'est adressée directement au préfet, en sa qualité de président du CHSCT, sans avoir informé sa hiérarchie de cette démarche et qu'elle s'est abstenue de saisir ce comité en prenant contact avec un représentant du personnel, en prononçant à son encontre une mesure disciplinaire pour ce motif, le directeur départemental de la sécurité publique du Var a méconnu les dispositions de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983.
7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Il est constant que Mme B... n'a fait l'objet d'aucune sanction dans le délai de trois ans suivant la décision du 19 mai 2017 lui infligeant un blâme. En application de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984, cette sanction a été effacée automatiquement du dossier de Mme B... à l'expiration de ce délai. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'enjoindre à l'administration, comme la requérante le demande, de retirer la sanction annulée de son dossier administratif et d'en supprimer toute mention dans les logiciels de traitement de données administratives individuelles.
Sur les frais liés au litige :
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La décision du 19 mai 2017 et le jugement du tribunal administratif de Toulon du 20 mai 2019 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié a` Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 20 avril 2021, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. D..., président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mai 2021.
N° 19MA03329 2