Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme B... D... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des pénalités correspondantes et, d'autre part, des cotisations supplémentaires de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des mêmes années, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1703272, 1703273 du 14 octobre 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 décembre 2019 et le 14 avril 2021, M. et Mme D..., représentés par Me A..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 14 octobre 2019 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités en litige ;
3°) d'enjoindre à l'administration fiscale de procéder au dégrèvement des suppléments d'impôt dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- la société Sensio SRO ne pouvait être regardée comme disposant en France d'un établissement stable ;
- le montant des résultats et du chiffre d'affaires de la société Sensio SRO, et donc des revenus réputés distribués retenus par l'administration est excessif ;
- l'administration ne démontre pas l'appréhension des revenus réputés distribués par la société Sensio SRO ;
- l'administration ne pouvait faire application du coefficient de 1,25 prévu par l'article 158-7 du code général des impôts ;
- l'administration n'était pas fondée à faire application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- à titre principal, la requête, qui ne contient pas de moyens d'appel, est irrecevable ;
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par M. et Mme D... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention du 1er juin 1973 entre la France et la Tchécoslovaquie tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur les revenus et sur la fortune, ainsi que l'accord sous forme d'échange de lettres entre la France et la Slovaquie des 24 juin et 7 août 1996 relatif à la succession en matière de traités ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de Mme Boyer, rapporteur public,
- et les observations de MeLair, représentant M. et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... est gérant et associé de la société de droit slovaque Sensio SRO. M. et Mme D... ont fait l'objet d'un contrôle sur pièces de leur dossier fiscal au titre des années 2013 et 2014, tandis que la société faisait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014. A l'issue de ces contrôles, l'administration fiscale a estimé que la société disposait en France d'un établissement stable, a, après avoir constaté le défaut de présentation de comptabilité, reconstitué le chiffre d'affaires de son activité d'agence d'intérim dans le domaine du bâtiment, lui a notamment notifié des rehaussements en matière d'impôt sur les sociétés, et a regardé les sommes correspondantes comme des distributions appréhendées par M. D... au titre des années 2013 et 2014. M. et Mme D... relèvent appel du jugement du 14 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté leurs demandes tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été ainsi assujettis au titre des années 2013 et 2014.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés de la société Sensio SRO :
2. D'une part, aux termes de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 5 de la convention fiscale franco-tchécoslovaque du 1er juin 1973 tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur les revenus, applicable aux relations entre la France et la Slovaquie en vertu de l'accord conclu sous forme d'échange de lettres relatif à la succession en matière de traités entre la France et la Tchécoslovaquie signées les 24 juin et 7 août 1996 : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L'expression " établissement stable " comprend notamment : a) Un siège de direction ; b) Une succursale ; c) Un bureau d'affaires commerciales (...) ". L'article 7 de cette convention stipule : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable ".
4. Il résulte des éléments recueillis par l'administration fiscale lors des opérations de contrôle que la société Sensio SRO disposait au 419 avenue de la Collégiale à Six-Fours, au domicile de M. D..., d'un local permanent pourvu du matériel informatique nécessaire à son activité et des moyens de communication utiles. Le vérificateur a également constaté que les contrats de mission temporaire comportaient les coordonnées personnelles de M. D..., et que les factures, rédigées en français à l'adresse de clients établis en France, étaient relatives à des heures de travail réalisées par des ouvriers slovaques sur des chantiers dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Par ailleurs, M. D..., qui a indiqué qu'aucun chiffre d'affaires n'avait été réalisé en Slovaquie au cours des années considérées, était le seul représentant vis-à-vis des clients, assurait la gestion commerciale, négociait et signait les contrats de mission temporaire, rédigeait les factures, les signait et les transmettait à partir de la France. Si les requérants soutiennent que le suivi du personnel en France aurait été réalisé par M. C..., qui était associé jusqu'en novembre 2014, ils ne produisent aucun élément de justification à cet égard, alors que l'administration a relevé que M. D... gérait l'hébergement des ouvriers et le paiement des acomptes sur salaires. Enfin, la société requérante ne disposait en Slovaquie d'aucun local propre et ses coordonnées étaient celles d'une entreprise de domiciliation ayant pour objet la location d'une adresse postale, la mise à disposition de services de secrétariat et de comptabilité.
5. Il résulte de ce qui précède que l'administration fiscale doit être regardée comme démontrant que la société Sensio SRO a exercé en France, au cours des années en litige, une activité par l'intermédiaire d'un établissement autonome au sens des dispositions du I de l'article 209 du code général des impôts. Elle établit également, par ces mêmes éléments, qu'elle dispose en France d'une installation fixe d'affaires caractérisant un établissement stable au sens des stipulations de l'article 5 de la convention fiscale entre la France et la Tchécoslovaquie du 1er janvier 1973, dont les bénéfices sont imposables en France.
En ce qui concerne les revenus distribués :
6. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés (...) ". Lorsque le redressement procède de l'imputation à un établissement stable situé en France, par l'intermédiaire duquel elle est regardée comme y exerçant son activité, de bénéfices réalisés par une société étrangère, il ne saurait par lui-même révéler l'existence d'une distribution de revenus par cette société, au sens de l'article 109 précité du code général des impôts. La circonstance que le contribuable que l'administration entend imposer comme bénéficiaire des distributions soit le maître de l'affaire n'a pas davantage cet effet.
7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'administration a imposé M. et Mme D... à raison des bénéfices dissimulés, réalisés par la société Sensio SRO par le biais de l'exploitation d'un établissement stable en France, qui ont été regardés comme distribués à M. D..., gérant et associé de la société Sensio SRO. Après avoir constaté l'absence de toute comptabilité de la société Sensio SRO, l'administration a reconstitué ses résultats au titre des exercices clos en 2013 et 2014 en retenant au titre des recettes le chiffre d'affaires mentionné sur les factures obtenues dans le cadre du droit de communication exercé auprès des clients de la société, sous déduction d'une somme de 64 071 euros correspondant à un impayé, et en retenant des charges d'exploitation évaluées forfaitairement à 80 % du chiffre d'affaires. Il n'est pas contesté que ces bénéfices, réalisés par la société Sensio SRO depuis son établissement stable en France, n'ont pas été déclarés en France et n'ont été ni mis en réserve ni incorporés au capital. Dans ces conditions, l'administration établit l'existence d'un désinvestissement des fonds sociaux de la société Sensio SRO, à l'origine de revenus distribués imposables entre les mains de son bénéficiaire au titre du 1° de l'article 1091 du code général des impôts.
8. En deuxième lieu, alors que la société Sensio SRO, ainsi qu'il a été dit précédemment, n'a pas présenté de comptabilité, les requérants ne versent aux débats aucun élément de nature à démontrer que son résultat aurait été déficitaire. Par ailleurs, en se bornant à faire valoir que des charges exceptionnelles devraient être retenues au titre de la facture impayée, ils ne démontrent pas que les charges que la société Sensio SRO a effectivement supportées seraient supérieures à celles que l'administration a retenues. Par suite, l'administration doit être regardée comme établissant le montant des bénéfices distribués par la société Sensio SRO.
9. En troisième lieu, si M. D... conteste avoir appréhendé les revenus réputés distribués par la société Sensio SRO, il n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de ses allégations, alors que l'administration fait valoir que l'intéressé, gérant de la société, en était l'associé majoritaire de janvier 2013 à novembre 2014, puis l'associé unique, était le seul détenteur de la signature sur le compte bancaire de la société, le seul représentant vis-à-vis des clients et fournisseurs, assurait la gestion commerciale et le suivi du personnel. Par suite, M. D... doit être regardé comme le maître de l'affaire. Est sans incidence à cet égard la circonstance que jusqu'en 2014, 49 % du capital de la société était détenu par un autre associé, M. C..., alors que la seule production d'un ordre de virement provenant de la société Sensio SRO au bénéfice de l'intéressé dont le libellé est relatif à un loyer n'est pas suffisante pour démontrer que cet associé aurait exercé une fonction au sein de la société. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme démontrant l'appréhension par M. D... de la totalité des revenus distribués par la société Sensio SRO.
En ce qui concerne l'application de la majoration de 1,25 prévue par l'article 158 du code général des impôts :
10. Aux termes du 7 de l'article 158 du code général des impôts : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par 1,25. Ces dispositions s'appliquent : / (...) 2° Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice (...) ".
11. M. et Mme D..., qui, ainsi qu'il a été dit précédemment, ont été imposés à bon droit à l'impôt sur le revenu au titre des années 2013 et 2014 à raison des revenus réputés distribués par la société Sensio SRO, sur le fondement de l'article 109-1-1° du code général des impôts, ne sont pas fondés à soutenir que l'administration aurait appliqué à tort le coefficient de 1,25 prévu par les dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts à la base imposable à l'impôt sur le revenu.
Sur les pénalités :
12. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration (...) entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
13. En relevant l'importance du chiffre d'affaires non déclaré par la société Sensio SRO et la circonstance que M. D..., en sa qualité d'associé majoritaire et de dirigeant opérationnel de la société, ne pouvait ignorer que cette dernière était dirigée et contrôlée depuis la France, qu'elle y était en conséquence redevable des impôts commerciaux et que lui-même était tenu de déclarer les revenus qui lui ont été distribués par la société, l'administration établit l'intention délibérée de M. D... d'éluder l'impôt. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a fait application de la majoration de 40 % prévue en cas de manquement délibéré par les dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par l'administration, que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leurs demandes. Doivent être rejetées, par voie de conséquence et en tout état de cause, leurs conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte. Leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 20 avril 2021, où siégeaient :
- M. Antonetti, président,
- M. Barthez, président assesseur,
- Mme E..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 mai 2021.
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N° 19MA05585