Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Sensio SRO a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014, ainsi que des pénalités correspondantes et, d'autre part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1800250, 1800263 du 14 octobre 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 décembre 2019 et le 14 avril 2021, la société Sensio SRO, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 14 octobre 2019 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités en litige ;
3°) d'enjoindre à l'administration fiscale de procéder au dégrèvement des suppléments d'impôt dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- elle ne pouvait être regardée comme disposant en France d'un établissement stable ;
- le montant des résultats et du chiffre d'affaires retenus par l'administration est excessif ;
- l'administration n'était pas fondée à faire application de la majoration de 80 % applicable en cas de découverte d'une activité occulte.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- à titre principal, la requête, qui ne contient pas de moyens d'appel, est irrecevable ;
- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par la société Sensio SRO ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention du 1er juin 1973 entre la France et la Tchécoslovaquie tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur les revenus et sur la fortune, ainsi que l'accord sous forme d'échange de lettres entre la France et la Slovaquie des 24 juin et 7 août 1996 relatif à la succession en matière de traités ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Boyer, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la société Sensio SRO.
Considérant ce qui suit :
1. La société de droit slovaque Sensio SRO a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014. A l'issue de ce contrôle, le vérificateur a estimé que la société disposait en France d'un établissement stable, a, après avoir constaté le défaut de présentation de comptabilité, reconstitué le chiffre d'affaires de son activité d'agence d'intérim dans le domaine du bâtiment, et notifié, selon la procédure de taxation d'office, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013 et 2014, assortis notamment de la majoration de 80 % pour activité occulte. La société Sensio SRO fait appel du jugement du 14 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes tendant à la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes.
Sur le principe de l'imposition en France :
En ce qui concerne l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés :
2. D'une part, aux termes de l'article 209 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 5 de la convention fiscale franco-tchécoslovaque du 1er juin 1973 tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur les revenus, applicable aux relations entre la France et la Slovaquie en vertu de l'accord conclu sous forme d'échange de lettres relatif à la succession en matière de traités entre la France et la Tchécoslovaquie signées les 24 juin et 7 août 1996 : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L'expression " établissement stable " comprend notamment : a) Un siège de direction ; b) Une succursale ; c) Un bureau d'affaires commerciales (...) ". L'article 7 de cette convention stipule : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable ".
4. Il résulte des éléments recueillis par l'administration fiscale lors des opérations de contrôle que la société Sensio SRO disposait au 419 avenue de la Collégiale à Six-Fours, au domicile de M. C..., son gérant et associé, d'un local permanent pourvu du matériel informatique nécessaire à son activité et des moyens de communication utiles. Le vérificateur a également constaté que les contrats de mission temporaire comportaient les coordonnées personnelles de M. C..., et que les factures, rédigées en français à l'adresse de clients établis en France, étaient relatives à des heures de travail réalisées par des ouvriers slovaques sur des chantiers dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Par ailleurs, M. C..., qui a indiqué qu'aucun chiffre d'affaires n'avait été réalisé en Slovaquie au cours des années considérées, était le seul représentant vis-à-vis des clients, assurait la gestion commerciale, négociait et signait les contrats de mission temporaire, rédigeait les factures, les signait et les transmettait à partir de la France. Si la société requérante soutient que le suivi du personnel en France aurait été réalisé par M. B..., qui était associé jusqu'en novembre 2014, elle ne produit aucun élément de justification à cet égard, alors que l'administration a relevé que M. C... gérait l'hébergement des ouvriers et le paiement des acomptes sur salaires. Enfin, la société requérante ne disposait en Slovaquie d'aucun local propre et ses coordonnées étaient celles d'une entreprise de domiciliation ayant pour objet la location d'une adresse postale, la mise à disposition de services de secrétariat et de comptabilité.
5. Il résulte de ce qui précède que l'administration fiscale doit être regardée comme démontrant que la société Sensio SRO a exercé en France, au cours des années en litige, une activité par l'intermédiaire d'un établissement autonome au sens des dispositions du I de l'article 209 du code général des impôts. Elle établit également, par ces mêmes éléments, qu'elle dispose en France d'une installation fixe d'affaires caractérisant un établissement stable au sens des stipulations de l'article 5 de la convention fiscale entre la France et la Tchécoslovaquie du 1er janvier 1973, dont les bénéfices sont imposables en France.
En ce qui concerne l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée :
6. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". L'article 259 du même code dispose : " Le lieu des prestations de services est situé en France :/ 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : / a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; / b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; / c) Ou, à défaut du a ou du b, son domicile ou sa résidence habituelle (...) ". Aux termes du 2 de l'article 283 de ce code : " Lorsque les prestations mentionnées au 1° de l'article 259 sont fournies par un assujetti qui n'est pas établi en France, la taxe doit être acquittée par le preneur ".
7. Il résulte de ces dispositions que lorsque le lieu des prestations de services se trouve en France parce qu'elles sont fournies à des assujettis remplissant les conditions définies à l'article 259 du code général des impôts, le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée afférente est le prestataire qui les fournit s'il est lui-même établi en France. Doit être regardé comme tel le prestataire qui a en France un établissement stable depuis lequel les prestations sont fournies. Cet établissement doit présenter un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées. Dès lors que les prestations peuvent être rattachées à un tel établissement, il n'y a pas lieu de rechercher si ce rattachement est fiscalement plus rationnel qu'un rattachement au siège de l'activité économique du prestataire.
8. Il résulte de l'instruction que les preneurs des prestations de services rendues par la société appelante étaient des sociétés dont le siège est situé en France et dont il n'est pas contesté qu'il s'agissait d'assujettis agissant en tant que tel et qu'elles avaient le siège de leur activité économique en France. Par ailleurs, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la société Sensio SRO a un établissement stable en France, qui constitue également son centre de direction effective. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a assujetti les prestations en cause à la taxe sur la valeur ajoutée en France.
Sur le bien-fondé des impositions en litige :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
9. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ". L'article R. 193-1 de ce livre dispose que : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré ". Aux termes de l'article L. 66 du même livre : " Sont taxés d'office : / (...) 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 ; / 3° aux taxes sur le chiffre d'affaires, les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes (...) ".
10. La société requérante, qui exerçait une activité en France, n'a pas souscrit les déclarations auxquelles elle était tenue. Elle n'établit pas que l'absence de respect de cette obligation résulterait d'une erreur de sa part. Par conséquent, l'administration était en droit de mettre en oeuvre à son endroit la procédure de taxation d'office sur le fondement du 2° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales s'agissant de l'impôt sur les sociétés, sans avoir à procéder à une mise en demeure en application de l'article L. 68 du même livre, en raison du caractère occulte de cette activité, et du 3° de l'article L. 66 de ce livre, s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée. La société Sensio SRO supporte donc la charge de la preuve du caractère exagéré des impositions en litige, en application des articles L. 193 et R. 193-1 du livre des procédures fiscales.
En ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :
11. La société requérante ne conteste ni les montants des opérations taxables en France ni la localisation des preneurs, ainsi qu'il a été dit précédemment. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a considéré que le prix payé par les clients de cette société était réputé toutes taxes comprises, a ramené les sommes encaissées par la société requérante à leurs montants hors taxes, puis a calculé la taxe sur la valeur ajoutée collectée par la société Sensio SRO. Si cette dernière fait valoir qu'elle doit pouvoir récupérer la taxe sur la valeur ajoutée déductible sur les achats réalisés en France, elle ne produit aucun élément de nature à justifier de l'existence d'une taxe déductible au-delà des montants admis par l'administration.
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :
12. Le vérificateur a reconstitué les résultats de la société Sensio SRO en retenant au titre des recettes le chiffre d'affaires mentionné sur les factures obtenues dans le cadre du droit de communication exercé auprès des clients de la société, sous déduction d'une somme de 64 071 euros correspondant à un impayé, et en retenant des charges d'exploitation évaluées forfaitairement à 80 % du chiffre d'affaires. La société Sensio SRO, qui, ainsi qu'il a été dit précédemment, n'a pas présenté la comptabilité, ne verse aux débats aucun élément de nature à démontrer que son résultat aurait été déficitaire. Par ailleurs, en se bornant à faire valoir que des charges exceptionnelles devraient être retenues au titre de la facture impayée, et à produire un document relatif au salaire moyen d'un plaquiste en France, ainsi qu'un tableau établi par ses soins, retraçant le détail des chantiers réalisés, elle ne démontre pas que les charges qu'elle a effectivement supportées seraient supérieures à celles que l'administration a retenues. Par suite, la société requérante ne démontre pas l'exagération des bases d'imposition en litige.
Sur les pénalités :
13. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : / (...) c. 80 % en cas de découverte d'une activité occulte (...) ".
14. Il est constant que la société Sensio SRO, qui, ainsi qu'il a été dit précédemment, disposait en France d'un établissement stable au cours des années en litige, n'a ni déclaré son activité au centre de formalités des entreprises ou auprès de l'administration fiscale ni souscrit les déclarations auxquelles elle était tenue. Si elle fait valoir que c'est par erreur qu'elle n'a pas fait connaître son activité en France et n'y a pas souscrit ses déclarations, elle ne peut valablement se prévaloir du caractère involontaire des manquements qui lui sont reprochés, faute de produire des éléments de nature à démontrer le dépôt de déclarations auprès de l'administration fiscale slovaque portant sur les résultats et le chiffre d'affaires correspondant à l'activité de l'établissement stable dont elle disposait en France au cours de la période en litige. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a mis en oeuvre à son encontre la pénalité de 80 % prévue par les dispositions précitées de l'article 1728 du code général des impôts.
15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par l'administration, que la société Sensio SRO n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes. Doivent être rejetées, par voie de conséquence et en tout état de cause, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte. Ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Sensio SRO est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sensio SRO et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 20 avril 2021, où siégeaient :
- M. Antonetti, président,
- M. Barthez, président assesseur,
- Mme D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 mai 2021.
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N° 19MA05584