Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le préfet de Corse a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler les délibérations nos 101 et 101-A du 19 septembre 2017 par lesquelles le conseil départemental de Haute-Corse a accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle à M. A... C....
Par un jugement n° 1800348 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Bastia a annulé les délibérations contestées.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 août 2019, M. C..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 4 juillet 2019 du tribunal administratif de Bastia ;
2°) de rejeter le déféré présenté par le préfet de Corse devant le tribunal administratif de Bastia ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condamnation pénale d'un élu ne suffit pas pour caractériser l'existence d'une faute personnelle détachable de ses fonctions ;
- une telle faute n'est pas constituée.
La requête a été communiquée au préfet de Corse et à la collectivité de Corse, qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code pénal ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. Par deux délibérations nos 101 et 101-A du 19 septembre 2017, le conseil départemental de Haute-Corse a accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle à différents protagonistes de l'affaire dite " des gîtes ruraux de Haute-Corse " dans le cadre de la procédure alors en cours devant la cour d'appel de Bastia, dont l'ancien président du conseil général Paul C....
2. M. C... fait appel du jugement du 4 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Bastia a fait droit au déféré du préfet de Corse et annulé les deux délibérations du 19 septembre 2017.
3. Le deuxième alinéa de l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales prévoit que : " Le département est tenu d'accorder sa protection au président du conseil départemental, au conseiller départemental le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable de l'exercice de ses fonctions. "
4. Pour l'application de cette disposition, présentent le caractère d'une faute personnelle détachable des fonctions de président du conseil départemental des faits qui révèlent des préoccupations d'ordre privé, qui procèdent d'un comportement incompatible avec les obligations qui s'imposent dans l'exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité. En revanche, ni la qualification retenue par le juge pénal, ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l'intéressé ne suffisent par eux-mêmes à regarder une faute comme étant détachable des fonctions, et justifiant dès lors que le bénéfice du droit à la protection fonctionnelle soit refusé à l'élu qui en fait la demande.
5. Contrairement à ce que soutient M. C..., la circonstance que la qualification pénale des faits reprochés - à savoir en l'espèce, le délit de détournement de fonds publics réprimé à l'article 432-15 du code pénal - soit indifférente pour apprécier l'existence d'une faute personnelle ne fait pas obstacle à ce que le juge administratif se fonde sur les éléments factuels retenus par le juge pénal pour déterminer si les faits visés par l'action pénale au titre de laquelle la protection fonctionnelle a été demandée sont constitutifs d'une faute détachable de l'exercice des fonctions de président du conseil départemental. Au contraire, les constatations factuelles du juge pénal s'imposent avec l'autorité absolue de la chose jugée lorsqu'elles procèdent d'une décision devenue définitive, comme c'est le cas en l'espèce de l'arrêt du 9 mai 2018 de la cour d'appel de Bastia condamnant M. C... à trois ans d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'inéligibilité et 25 000 euros d'amende.
6. Les constatations factuelles de l'arrêt du 9 mai 2018 mettent en évidence, au sein du conseil général de Haute-Corse entre janvier 2007 et décembre 2010, un système organisé de détournement de subventions, pour un montant global de près de 500 000 euros, prétendument destinées à la création de gîtes ruraux. Les demandes de subvention, dont M. C... avait connaissance du caractère irrégulier ou frauduleux, étaient instruites selon une procédure dérogatoire impliquant directement certains membres de son cabinet. La cour d'appel a retenu que les fidèles de celui-ci jouaient un rôle déterminant dans cette procédure d'attribution, et que les fonctionnaires du conseil général faisaient preuve d'une " obéissance aveugle " au sein d'un système hiérarchique pyramidal placé sous son autorité. M. C... signait les décisions d'attribution des aides à l'issue de cette procédure, après un examen purement formel par une commission du conseil général. Il n'est donc pas fondé à soutenir que seul pourrait lui être reproché un manquement à son obligation de contrôle, de vigilance et de surveillance. Cette thèse a, au demeurant, déjà été écartée par la cour d'appel de Bastia. Les subventions en question ont été attribuées à des fins clientélistes, en dehors de toute finalité d'intérêt général, à des proches de M. C..., originaires de sa circonscription électorale, et, ainsi, dans les intérêts personnels et politiques de ce dernier. Ces faits relèvent donc de préoccupations d'ordre privé. Ils sont incompatibles avec l'obligation de probité qui s'impose dans l'exercice de fonctions publiques. Enfin, ils revêtent une particulière gravité eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis.
7. Par ailleurs, l'octroi de la protection fonctionnelle au titre de la procédure devant le tribunal correctionnel n'interdisait pas au préfet de déférer au tribunal administratif les délibérations lui accordant le bénéfice de cette protection au titre de la procédure d'appel, notamment au regard de l'élément nouveau que constituait le jugement pénal de première instance.
8. C'est par suite à juste titre que le tribunal administratif a retenu l'existence d'une faute personnelle pour annuler les délibérations du conseil départemental lui accordant la protection fonctionnelle.
9. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
10. L'Etat n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en conséquence obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par M. C... sur leur fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à la collectivité de Corse et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet de Corse.
Délibéré après l'audience du 7 avril 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 avril 2021.
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No 19MA03711