Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des défaillances commises dans la distribution de la propagande électorale des candidats aux élections législatives des 11 et 18 juin 2017 dans la septième circonscription de l'Hérault.
Par un jugement n° 1800967 du 1er octobre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 novembre 2019 et le 28 janvier 2021, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 1er octobre 2019 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les dysfonctionnements dans l'envoi et la distribution des documents de propagande constituent une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- cette faute l'a privé d'une chance sérieuse d'obtenir 5% des suffrages exprimés, et, ainsi, d'obtenir le remboursement de ses dépenses électorales ;
- elle a également été à l'origine d'un préjudice moral.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête présentée par M. A....
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code électoral ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... s'est présenté aux élections législatives des 11 et 18 juin 2017 dans la septième circonscription de l'Hérault avec le soutien du Parti communiste français. Il a obtenu 2 388 voix au premier tour, soit 4,92% des suffrages exprimés.
2. M. A... fait appel du jugement du 1er octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des défaillances commises dans l'envoi et la distribution de la propagande électorale des candidats lors de ces élections.
Sur l'engagement de la responsabilité de l'Etat :
3. Le premier alinéa de l'article L. 166 du code électoral, applicable à l'élection des députés, prévoit que : " Vingt jours avant la date des élections, il est institué pour chaque circonscription une commission chargée d'assurer l'envoi et la distribution de tous les documents de propagande électorale. " L'article L. 52-11-1 du même code prévoit en outre que : " Les dépenses électorales des candidats aux élections auxquelles l'article L. 52-4 est applicable font l'objet d'un remboursement forfaitaire de la part de l'Etat égal à 47,5 % de leur plafond de dépenses. Ce remboursement ne peut excéder le montant des dépenses réglées sur l'apport personnel des candidats et retracées dans leur compte de campagne. / Le remboursement forfaitaire n'est pas versé aux candidats qui ont obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés au premier tour de scrutin. (...) "
4. Il résulte de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que l'envoi et la distribution des documents de propagande des candidats dans la septième circonscription de l'Hérault ont été aléatoires. De nombreux électeurs n'ont pas reçu par voie postale les professions de foi et les bulletins de vote de tout ou partie des candidats conformément à l'article L. 166 du code électoral. Cette circonstance, qui était reconnue par la décision du 19 janvier 2018 du préfet de l'Hérault refusant de faire droit à la demande indemnitaire de l'intéressé, est confortée par les pièces nouvelles produites en appel. Il suit de là que c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que l'Etat n'avait pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité.
Sur la perte d'une chance sérieuse d'obtenir 5% au moins des suffrages exprimés :
5. En raison de l'absence de distribution par la commission de propagande d'une partie de ses circulaires et bulletins de vote, M. A... a été privé d'un moyen d'expression essentiel à sa campagne et d'une possibilité de faire davantage connaître ses idées et propositions et, le cas échéant, d'obtenir davantage de suffrages. Ni la possibilité d'utiliser les emplacements réservés pour l'affichage, prévue à l'article L. 51 du code électoral, ni la mise en ligne des documents de propagande électorale par la préfecture, dont le ministre de l'intérieur n'établit pas qu'elle aurait été accompagnée d'une publicité suffisante, ni la circonstance que ces dysfonctionnements ont également affecté certains autres candidats à la même élection, n'ont été de nature à remédier complétement aux dysfonctionnements relatifs à l'envoi postal des professions de foi et des bulletins de vote à l'ensemble des membres du corps électoral. Compte tenu de la proportion des électeurs n'ayant pas reçu les documents électoraux de M. A... et du très faible nombre de voix ayant manqué à ce dernier pour recueillir au moins 5% des suffrages exprimés, la faute commise par l'Etat a été de nature à le priver d'une chance sérieuse d'obtenir le remboursement forfaitaire des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11-1 du code électoral.
Sur les préjudices :
6. L'article L. 52-15 du code électoral prévoit, au premier alinéa, que : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l'article L. 52-11-1 ", puis, au cinquième alinéa, que : " Le remboursement total ou partiel des dépenses retracées dans le compte de campagne, quand la loi le prévoit, n'est possible qu'après l'approbation du compte de campagne par la commission. "
7. Si M. A... demande la somme totale de 80 000 euros, il ne fait pas état d'autres dépenses que celles incluses dans le compte de campagne transmis à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) et n'apporte aucune justification sur la différence entre le montant demandé et les sommes figurant dans ce compte. Par une décision du 22 janvier 2018, la CNCCFP a approuvé après réformation le compte de campagne de M. A..., s'établissant à 38 462 euros en dépenses et à 38 650 euros en recettes, dont 30 200 euros d'apport personnel.
8. Il résulte toutefois de l'instruction que M. A... a réuni la somme de 10 000 euros par la voie d'une première souscription auprès de militants et de sympathisants pendant la campagne électorale. Le montant total de l'apport personnel qui aurait été susceptible d'être remboursé s'élève donc à 28 462 euros au plus. Il a ensuite réuni la somme de 14 000 euros par la voie d'une seconde souscription après la campagne. Celle-ci était spécifiquement destinée à financer les frais de sa campagne électorale en l'absence de perspective de remboursement par l'Etat du fait du score obtenu par le candidat. Le montant du préjudice financier personnellement subi par M. A... s'élève en conséquence à 14 462 euros.
9. La faute de l'Etat a en outre été à l'origine d'un préjudice moral pour M. A..., résultant tant de l'impossibilité de faire connaître sa candidature et ses idées par l'intermédiaire de sa profession de foi, que des difficultés engendrées par l'échec à atteindre le seuil de 5% des suffrages exprimés. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en retenant la somme de 1 000 euros.
10. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Il y a lieu dès lors d'annuler le jugement attaqué et de condamner l'Etat à verser la somme de 15 462 euros à M. A....
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à M. A... au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 1er octobre 2019 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser la somme de 15 462 euros à M. A....
Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information au préfet de l'Hérault.
Délibéré après l'audience du 22 mars 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 avril 2021.
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No 19MA05186