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06/04/2021 | FRANCE | N°20MA00725-20MA00727

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 06 avril 2021, 20MA00725-20MA00727


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Emerald Shores LLC a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 et 2008, et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1801702 du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Nice a fait droit à cette demande.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée le 18 février 2020 sous le n° 20MA00725

, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du t...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Emerald Shores LLC a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 et 2008, et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1801702 du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Nice a fait droit à cette demande.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête, enregistrée le 18 février 2020 sous le n° 20MA00725, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 30 décembre 2019 ;

2°) de rejeter la demande de la société Emerald Shores LLC présentée devant le tribunal administratif de Nice ;

3°) de rétablir la société Emerald Shores LLC au rôle de l'impôt sur les sociétés au titre des exercice clos en 2007 et 2008, en droits et pénalités.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a estimé, pour l'application du 1 de l'article 206 du code général des impôts, qu'une limited liability company de droit américain ne pouvait être considérée comme une société de capitaux telle une société à responsabilité limitée ;

- c'est également à tort qu'il a estimé, pour l'application de ces mêmes dispositions, que l'opération de mise à disposition gratuite d'un bien immobilier détenu au profit des seuls associés ne constituait pas une opération lucrative.

Par ordonnance du 16 juin 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 1er septembre 2020.

Des pièces ont été produites par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, le 5 janvier 2021, en vue de compléter l'instruction et communiquées au titre des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.

La requête a été communiquée à la société Emerald Shores LLC qui n'a pas produit de mémoire.

II. Par une requête, enregistrée le 18 février 2020 sous le n° 20MA00727, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nice du 30 décembre 2019.

Il soutient que :

- l'exécution de ce jugement est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables ;

- il justifie de moyens sérieux en l'état de l'instruction à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation de ce jugement.

Par ordonnance du 16 juin 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 1er septembre 2020.

La requête a été communiquée à la société Emerald Shores LLC qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention franco-américaine en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 31 août 1994 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de Mme Boyer, rapporteur public,

- et les observations de M. A..., représentant le ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Considérant ce qui suit :

1. La société Emerald Shores LLC, limited liability company de droit américain dont le siège est situé dans l'Etat du Nevada, possédait à Saint-Jean-Cap-Ferrat, au cours des années 2007 et 2008, une villa qu'elle mettait gratuitement à la disposition de son associé majoritaire. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a assujetti cette société à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des deux années en cause à raison, notamment, du montant estimé des loyers qu'elle aurait dû percevoir de cet associé. Dans la réponse du 14 décembre 2017 à la réclamation préalable de la société Emerald Shores LLC et devant le tribunal administratif de Nice, l'administration, qui avait indiqué dans la proposition de rectification du 3 août 2010 que cette société était assimilable à une société de capitaux, notamment à une société à responsabilité limitée, et à ce titre imposable à l'impôt sur les sociétés sur le fondement du 1 de l'article 206 du code général des impôts, a procédé à une substitution de motif et justifié l'assujettissement à cet impôt au titre de ces mêmes dispositions, non par la forme de cette société, mais au motif que l'opération de mise à disposition gratuite du bien présentait un caractère lucratif.

2. Par un jugement du 30 décembre 2019, le tribunal administratif de Nice a estimé, d'une part, que la société Emerald Shores LLC ne pouvait être assimilée à une société à responsabilité limitée et, d'autre part, que le mise à disposition gratuite de l'associé majoritaire du bien immobilier détenu ne présentait pas un caractère lucratif. Il a ainsi prononcé la décharge de ces cotisations supplémentaires et des pénalités correspondantes. Par une requête enregistrée sous le n° 20MA00725, le ministre de l'économie, des finances et de la relance fait appel de ce jugement et, par une requête enregistrée sous le n° 20MA00727, il demande à la Cour d'en prononcer le sursis à exécution.

3. Les deux requêtes susvisées sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions de la requête n° 20MA00725 à fin de remise à la charge :

4. Aux termes du 1 de l'article 206 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) ainsi que (...) toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations à caractère lucratif ".

En ce qui concerne les moyens retenus par le tribunal administratif :

5. En premier lieu, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'un litige portant sur le traitement fiscal d'une opération impliquant une société de droit étranger, d'identifier d'abord, au regard de l'ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. Compte tenu de ces constatations, il lui revient ensuite de déterminer le régime applicable à l'opération litigieuse au regard de la loi fiscale française.

6. Il résulte de l'instruction que la société Emerald Shores LLC, constituée par deux personnes physiques possédant respectivement 99 % et 1 % de son capital, est une limited liability company qui, selon son statut, a la possibilité d'exercer toute activité dès lors qu'elle est légitime et légale au regard du droit applicable. Les limited liability companies sont des sociétés existant dans l'ensemble des Etats des Etats-Unis et qui, bien que présentant des caractéristiques communes, sont principalement régies par le droit de chaque Etat. Les formalités de constitution de ces sociétés sont différentes de celles nécessaires pour la constitution des sociétés de capitaux françaises et elles disposent d'une plus grande latitude dans le choix de leur mode de gestion et de direction que les sociétés à responsabilité limitée françaises. Par suite, nonobstant la circonstance que les associés n'y sont responsables qu'à hauteur de leurs apports, la société Emerald Shores LLC ne peut être assimilée ni à une société anonyme ni à une société en commandite par action ni à une société à responsabilité limitée. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est donc pas fondé à soutenir qu'en raison de sa forme, cette société serait passible de l'impôt sur les sociétés.

7. En second lieu, toutefois, l'administration peut, à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif propre à justifier les impositions litigieuses, sous réserve qu'une telle substitution de motif ne prive le contribuable d'aucune garantie de procédure prévue par la loi. Notamment, une telle substitution ne saurait avoir pour effet de le priver de la faculté, prévue par les articles L. 59 et L. 59 A du livre des procédures fiscales, de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (CDI), lorsque celle-ci est compétente pour connaître du différend relatif à une question de fait dont la solution commande le bien-fondé du nouveau motif invoqué par l'administration. En l'espèce, ce nouveau motif est relatif au caractère lucratif de l'opération de mise à disposition gratuite d'une villa, le bénéficiaire étant l'associé majoritaire de la société Emerald Shores LLC. Il s'agit donc d'une question de droit pour laquelle la CDI est incompétente.

8. Il résulte de l'instruction qu'ainsi qu'il a été dit, la société Emerald Shores LLC a la possibilité d'exercer toute activité dès lors qu'elle est légitime et légale au regard du droit applicable et que le droit de l'Etat du Nevada permet à ces sociétés l'exercice d'une activité lucrative. La société Emerald Shores ne produit aucun élément de nature à établir que, bien qu'elle en ait la possibilité, elle n'aurait pas eu une telle activité. Ainsi, le fait d'attribuer la jouissance d'un immeuble à un associé dans le seul intérêt privé de celui-ci doit être regardé comme la réalisation d'une opération à caractère lucratif au sens des dispositions précédemment citées du 1 de l'article 206 du code général des impôts.

9. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a estimé que l'opération de mise à disposition gratuite de la villa ne constituait pas une opération à caractère lucratif et que la société Emerald Shores LLC ne pouvait, pour ce motif, être soumise à l'impôt sur les sociétés en application des dispositions du 1 de l'article 206 du code général des impôts. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Emerald Shores LLC devant le tribunal administratif de Nice.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par la société Emerald Shores LLC :

10. Les modèles de conventions fiscales établies par l'Organisation de coopération et de développement économiques ne constituent pas des normes juridiques. Par suite, le moyen tiré de ce que l'imposition en litige méconnaîtrait l'article 24 de ces modèles ne peut qu'être écarté.

11. La circonstance que la société Emerald Shores LLC n'ait pas son siège en France est, par elle-même, sans incidence sur les impositions en litige dans la présente instance. Par suite, le moyen selon lequel les dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen relatif à l'égalité devant l'impôt seraient méconnues doit être écarté.

12. L'article 25 de la convention franco-américaine, relatif à la non-discrimination, dispose que : " 2. L'imposition d'un établissement stable qu'une entreprise d'un Etat contractant a dans l'autre Etat contractant n'est pas établie dans cet autre Etat d'une façon moins favorable que l'imposition des entreprises de cet autre Etat qui exercent la même activité (...) ". Ainsi qu'il a été indiqué au point précédent, la circonstance que la société Emerald Shores LLC n'ait pas son siège en France est, par elle-même, sans incidence sur les impositions en litige dans la présente instance. Par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que ces dispositions de la convention franco-américaine seraient méconnues.

13. Enfin, la question posée par M. C... le 11 septembre 2008 portait sur l'avantage en nature que constitue, pour un associé, la mise à disposition gratuite d'un logement détenu par une société civile immobilière. Dans la réponse du 19 mars 2009, le ministre a indiqué, après avoir rappelé les dispositions du II de l'article 15 du code général des impôts relative à la situation des propriétaires qui se réservent la jouissance de leurs logements, que " les sociétés non transparentes soumises à l'impôt sur le revenu qui mettent gratuitement à la disposition de leurs associés des logements sont considérées, tant par la doctrine que par la jurisprudence, comme s'en réservant la jouissance " et " n'ont pas donc à comprendre dans leurs recettes brutes la valeur locative des locaux concernés ". Par suite, cette réponse porte sur une situation de fait différente de celle de la société Emerald Shores LLC qui ne peut donc s'en prévaloir sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Emerald Shores LLC a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 et 2008, et des pénalités correspondantes. Il y a lieu d'annuler le jugement attaqué et de rétablir ces cotisations supplémentaires.

Sur les conclusions de la requête n° 20MA00727 à fin de sursis à exécution du jugement :

15. Le présent arrêt statue sur la demande d'annulation du jugement attaqué. Les conclusions tendant au sursis à exécution de ce jugement n° 1801702 sont donc devenues sans objet.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1801702 du tribunal administratif de Nice du 30 décembre 2019 est annulé.

Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Emerald Shores LLC a été assujettie au titre des exercices clos en 2007 et 2008 sont remises à sa charge, ainsi que les pénalités correspondantes.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nice du 30 décembre 2019 présentées dans la requête n° 20MA00727.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société Emerald Shores LLC.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 23 mars 2021, où siégeaient :

- M. Antonetti, président,

- M. B..., président assesseur,

- Mme Mastrantuono, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 avril 2021.

6

N° 20MA00725, 20MA00727

nc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA00725-20MA00727
Date de la décision : 06/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Textes fiscaux - Texte applicable (dans le temps et dans l'espace).

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales - Personnes morales et bénéfices imposables.


Composition du Tribunal
Président : M. ANTONETTI
Rapporteur ?: M. Alain BARTHEZ
Rapporteur public ?: Mme BOYER
Avocat(s) : ASSOCIATION D'AVOCATS OXYNOMIA

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-04-06;20ma00725.20ma00727 ?
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