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06/04/2021 | FRANCE | N°19MA04911

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 06 avril 2021, 19MA04911


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... et l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à leur verser une indemnité de 750 000 euros, majorée des intérêts de retard capitalisés, en réparation du préjudice subi et du trouble dans les conditions d'existence imputables à l'illégalité fautive de la décision de l'agence régionale de santé Languedoc-Roussillon du 9 novembre 2010, autorisant le transfert d'une pharmacie à Sète.

Par un jugement n° 1801841 du 17 septe

mbre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la requête de M. D... et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... et l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat à leur verser une indemnité de 750 000 euros, majorée des intérêts de retard capitalisés, en réparation du préjudice subi et du trouble dans les conditions d'existence imputables à l'illégalité fautive de la décision de l'agence régionale de santé Languedoc-Roussillon du 9 novembre 2010, autorisant le transfert d'une pharmacie à Sète.

Par un jugement n° 1801841 du 17 septembre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la requête de M. D... et de l'EURL Pharmacie Jean-Luc D....

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 16 novembre 2019, M. F... D... et l'EURL Pharmacie Jean-Luc D..., représentés par Me C..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 septembre 2019 ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser une indemnité de 750 000 euros, majorée de l'intérêt de retard capitalisé, en réparation du préjudice subi et du trouble dans les conditions d'existence imputables à l'illégalité fautive de la décision de l'agence régionale de santé Languedoc-Roussillon du 9 novembre 2010, autorisant le transfert d'une pharmacie à Sète ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- l'article L. 5123-3 du code de la santé publique a été méconnu ;

- c'est à tort que la décision attaquée se fonde sur la loi HSPT ;

- une partie de leur patientèle va fréquenter le nouveau local qui dessert le secteur BS qui leur a été attribué par arrêté préfectoral du 28 décembre 1988.

Le ministre de la santé a été mis en demeure de produire par lettre du 2 juin 2020, en application de l'article L. 612-3 du code de justice administrative.

Une ordonnance du 2 juin 2020 a fixé la clôture de l'instruction au 3 août 2020 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ury,

- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement n° 1100039, 1102075 devenu définitif du 30 avril 2013, le tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du directeur de l'agence régionale de santé (ARS) du Languedoc-Roussillon du 9 novembre 2010 autorisant le transfert d'une officine de pharmacie à Sète au bénéfice de Mme B..., ainsi que la décision du 11 mars 2011 du ministre de la santé rejetant le recours hiérarchique de l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... et de la SNC Pharmacie de la corniche. M. D... et l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... font appel du jugement du 17 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande tendant à la réparation des préjudices résultant pour eux de la décision du 9 novembre 2010.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité :

2. Il résulte de l'instruction que la société d'exercice libéral par action simplifiée (SELAS) Pharmacie du Soleil exploitait une officine de pharmacie au 9 Grand Rue Mario Roustan à Sète. Mme B..., présidente de cette société, a sollicité l'autorisation de la transférer dans un nouveau local situé au 115 boulevard Camille Blanc au sein de la même commune. L'autorisation qui lui a été accordée par une décision du directeur de l'agence régionale de santé du 9 novembre 2010 a été annulée pour excès de pouvoir par le jugement du 30 avril 2013 du tribunal administratif de Montpellier en raison du caractère incomplet du dossier de demande d'autorisation, à défaut pour la bénéficiaire d'avoir justifié des droits qu'elle aurait détenus sur le local vers lequel le transfert était envisagé. Cette décision de transfert est dès lors entachée d'une illégalité fautive susceptible d'engager la responsabilité de la puissance publique. Par suite, les requérants sont en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices directs et certains résultant pour eux de cette décision illégale.

3. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision entachée d'un vice de procédure ou de forme, il appartient au juge du plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer, en premier lieu, la nature de cette irrégularité puis, en second lieu, de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité, la même décision aurait pu être légalement prise dans le cadre d'une procédure régulière.

4. Aux termes de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique alors applicable : " Les créations, les transferts et les regroupements d'officines de pharmacie doivent permettre de répondre de façon optimale aux besoins en médicaments de la population résidant dans les quartiers d'accueil de ces officines. Les transferts et les regroupements ne peuvent être accordés que s'ils n'ont pas pour effet de compromettre l'approvisionnement nécessaire en médicaments de la population résidente de la commune ou du quartier d'origine. Les créations, les transferts et les regroupements d'officines de pharmacie ne peuvent être effectués que dans un lieu qui garantit un accès permanent du public à la pharmacie et permet à celle-ci d'assurer un service de garde ou d'urgence mentionné à l'article L. 5125-22. ". Pour l'application de ces dispositions, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier les effets du transfert envisagé sur l'approvisionnement en médicaments du quartier d'origine et du quartier de destination de l'officine qui doit être transférée ainsi que, le cas échéant, des autres quartiers pour lesquels ce transfert est susceptible de modifier significativement l'approvisionnement en médicaments. Le transfert d'une officine ne peut être autorisé qu'à la double condition qu'il ne compromette pas l'approvisionnement normal en médicaments de la population du quartier d'origine et qu'il réponde à un besoin réel de la population résidant dans le quartier d'accueil.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'arrêté du 28 décembre 1988 du préfet de l'Hérault, qui crée une officine de pharmacie au titre de la licence n° 529, reprise par M. D..., que l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... dessert les quartiers " les Métaieries - Gaffinel " et " Le Py - Ramassis ". Ces quartiers relèvent des sections cadastrales BK (métairies), BL (cimetière) et BS (Ramassis - rond-point de l'Europe, pont levis). Aux termes de la décision de transfert de la Selas Pharmacie du Soleil, il lui est attribué les sections cadastrales BS, BR et BT. Ainsi, le secteur BS pourtant déjà compris dans la zone au titre de laquelle l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... a obtenu son autorisation fait aussi partie de la zone de patientèle relevant de la Selas Pharmacie du Soleil. Il ne résulte pas des dispositions précitées de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique qu'à l'occasion d'un transfert, une officine puisse légalement desservir une population déjà desservie par une autre pharmacie. En autorisant le transfert litigieux, la décision de l'ARS du Languedoc-Roussillon du 9 novembre 2010 a pris en compte de manière erronée la population du secteur BS qui ressort de la licence d'implantation de l'EURL Pharmacie Jean-Luc D.... Dans ces conditions, le transfert de la Selas Pharmacie du Soleil ne répondait pas aux besoins en médicaments du quartier d'implantation, alors même que 219 logements étaient en cours de construction dans le secteur d'urbanisation récente de Villeroy et des Salins. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, le transfert de l'officine de la pharmacie de Mme E... B..., autorisé par la décision du 9 novembre 2010, ne répondait pas de façon optimale aux besoins de la population du quartier d'accueil, au sens de l'article L. 5123-3 du code de la santé publique.

6. Ainsi qu'il vient d'être dit, la décision du 9 novembre 2010 justifiait d'être annulée pour un motif de fond tiré de ce que le transfert de l'officine Pharmacie du Soleil ne permettait pas de répondre de façon optimale aux besoins en médicaments de la population résidant dans le quartier d'accueil, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique. L'illégalité de cette décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Il résulte de tout ce qui précède, que M. D... et l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.

En ce qui concerne les préjudices :

7. L'indemnité susceptible d'être allouée à la victime d'un dommage causé par la faute de l'administration a pour seule vocation de replacer la victime, autant que faire se peut, dans la situation qui aurait été la sienne si le dommage ne s'était pas produit, c'est-à-dire, lorsque la faute résulte d'une décision illégale, si celle-ci n'était pas intervenue.

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment des éléments comptables produits par M. D... que son officine a enregistré une perte de chiffre d'affaires, par rapport à celui qui était attendu sur la période du 16 août 2011 au 29 juillet 2013, date de la nouvelle décision de transfert. Cette baisse correspond à une diminution du bénéfice d'environ 110 000 euros sur la période et doit être regardée comme correspondant au manque à gagner résultant de la baisse de fréquentation par une clientèle attirée par l'ouverture de la nouvelle officine et donc en lien direct et certain avec le transfert illégalement autorisé de la Pharmacie du Soleil. Dans les conditions de l'espèce, il sera fait une juste évaluation du préjudice résultant de la perte de bénéfice, au cours de la période pendant laquelle la décision du 9 novembre 2010 a produit des effets juridiques, en allouant à l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... au regard des documents fournis, une indemnité de 110 000 euros.

9. En second lieu, et d'une part, l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... et M. D... qui ne justifient pas avoir eu l'intention de céder le fonds de commerce de leur officine ne démontrent pas l'existence d'une perte résultant de la dépréciation de la valeur de celui-ci. D'autre part, M. D... et l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... n'apportent aucun élément permettant d'établir la réalité d'un préjudice au titre du trouble dans les conditions d'existence. Dès lors, ces deux chefs de préjudices doivent être écartés.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... et M. D... sont seulement fondés à demander la condamnation de l'Etat à payer la somme de 110 000 euros.

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

11. Les requérants ont droit aux intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2017, date de réception de leur demande préalable indemnitaire par la ministre en charge de la santé.

12. Aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ". Pour l'application des dispositions précitées, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière, sans qu'il soit toutefois besoin d'une nouvelle demande à l'expiration de ce délai. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. La demande de capitalisation des intérêts a été présentée avec la réclamation préalable indemnitaire réceptionnée le 18 décembre 2017. En conséquence, les requérants ont droit à la capitalisation de ces intérêts à compter du 18 décembre 2018, date à laquelle une année d'intérêt était due, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.

Sur les frais liés au litige :

13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de cet article et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre des frais exposés par l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... et M. D... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1801841 du 17 septembre 2019 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à payer à l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... la somme de 110 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2017. Les intérêts seront capitalisés à compter du 18 décembre 2018 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : L'Etat versera ensemble à l'EURL Pharmacie Jean-Luc D... et à M. F... D... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL Pharmacie Jean-Luc D..., à M. F... D... et au ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au directeur de l'agence régionale de santé d'Occitanie.

Délibéré après l'audience du 23 mars 2021, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. Ury, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2021.

N° 19MA04911 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA04911
Date de la décision : 06/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

55-03-04-01 Professions, charges et offices. Conditions d'exercice des professions. Pharmaciens. Autorisation d'ouverture ou de transfert d'officine.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : VORS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-04-06;19ma04911 ?
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