Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Palomata a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu correspondant à la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts auxquelles la société anonyme d'économie mixte de gestion du Port Vauban a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1603699 du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Nice a prononcé la décharge demandée.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête, enregistrée le 18 octobre 2019 sous le n° 19MA04577, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 27 juin 2019 ;
2°) de rejeter la demande de la société Palomata présentée devant le tribunal administratif de Nice ;
3°) de remettre à la charge de la société Palomata la somme déchargée.
Il soutient que :
- l'application de la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts, qui porte sur des revenus d'une activité prévue à l'article 92 du même code, n'est pas contraire au principe de libre circulation des capitaux prévu par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la preuve de la situation déficitaire de la société de droit luxembourgeois Palomata n'est pas rapportée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2020, la société Palomata, représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête du ministre de l'action et des comptes publics ;
2°) à titre subsidiaire, de réduire les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu correspondant à la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts auxquelles la société de gestion du Port Vauban a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par le ministre de l'action et des comptes publics ne sont pas fondés ;
- la procédure d'imposition est irrégulière, l'absence de notification de la procédure et notamment de la proposition de rectification aux actionnaires de la société anonyme International Yacht Club d'Antibes (IYCA) méconnaissant le principe de loyauté et les droits de la défense ;
- les redevances versées en contrepartie de la mise à disposition des postes à quai ne procèdent d'aucune activité produisant des revenus relevant de l'article 92 du code général des impôts ;
- les dispositions des articles 3, 4, 18 et 19 de la convention franco-luxembourgeoise d'élimination des doubles impositions font obstacle à l'imposition ;
- à titre subsidiaire, d'une part, la base de la retenue doit être réduite, en application des articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, des charges qui ont diminué les redevances qu'elle a perçues et, d'autre part, elle doit être réduite d'un trentième des apports qu'elle a effectués pour la réalisation des ouvrages portuaires dont elle peut bénéficier pendant trente ans ;
- le taux d'imposition de 50 % sans déduction des charges n'a pas été établi par la loi, en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution ;
- ce taux, plus élevé que celui applicable aux résidents, au surplus sans imputation des charges, méconnaît le droit de l'Union européenne ;
- la pénalité prévue à l'article 1728 du code général des impôts n'est pas fondée dès lors que la société de gestion du Port Vauban a déposé les déclarations la concernant dans les délais ;
- cette pénalité conduit à un taux d'imposition confiscatoire de 60 % sanctionné par les juridictions suprêmes.
Par un mémoire, enregistré le 9 juillet 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut aux mêmes fins que sa requête.
Il soutient, en outre, que les premiers juges auraient dû relever d'office que la demande de la société Palomata était irrecevable, dès lors qu'elle n'est pas le redevable de la retenue à la source à laquelle la société de gestion du Port Vauban a été assujettie et que les sommes correspondant à sa quote-part dans cette retenue à la source ne se sont pas imputées sur les redevances qui lui ont été versées.
Par un mémoire, enregistré le 7 septembre 2020, la société Palomata, représentée par Me D..., conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire.
Elle soutient, en outre, que sa demande est recevable.
Par un mémoire, enregistré le 22 octobre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut aux mêmes fins que ses précédents mémoires.
Il soutient, en outre, que les moyens soulevés par la société Palomata aux fins de décharge de la retenue à la source ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 7 janvier 2021, la société Palomata, représentée par Me D..., conclut aux mêmes fins que ses précédents mémoires.
Par un mémoire, enregistré le 7 janvier 2021, la SELARL Xavier Huertas et associés, administrateur provisoire de la société International Yacht Club d'Antibes (IYCA), représentée par Me D..., a présenté des observations. Elle demande à la Cour de rejeter la requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Elle soutient que :
- c'est à tort que la société de gestion du Port Vauban reversait directement à ses actionnaires les revenus provenant de la sous-amodiation et non pas à elle-même et par suite, les conditions permettant l'application de la retenue à la source prévue par les dispositions de l'article 182 B du code général des impôts ne sont pas réunies ;
- l'activité est structurellement déficitaire, étant donné d'une part les charges annuelles des postes à quai et d'autre part l'amortissement de l'investissement initial pendant la durée de la concession de trente ans soit une somme 890 233,96 euros chaque année pendant cette période.
Une ordonnance du 4 février 2021 a prononcé la clôture de l'instruction à la date de son émission en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
II. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 juillet 2020 et le 22 octobre 2020 sous le n° 20MA02311, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nice du 27 juin 2019.
Il soutient que :
- l'exécution de ce jugement est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables, avec notamment le risque de la perte définitive d'une somme ne devant pas rester à la charge de l'Etat ;
- il justifie de moyens sérieux en l'état de l'instruction à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation de ce jugement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2020, la société Palomata, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 2 octobre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 27 octobre 2020.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention franco-luxembourgeoise tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 1er avril 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Boyer, rapporteur public,
- et les observations de M. A..., représentant le ministre de l'économie, des finances et de la relance, et de Me C..., substituant Me D..., représentant la société Palomata.
Considérant ce qui suit :
1. La commune d'Antibes a consenti à la société International Yacht Club d'Antibes (IYCA), qui a la nature d'une société immobilière de copropriété régie par les dispositions de l'article 1655 ter du code général des impôts, le droit de gérer et d'entretenir les ouvrages du port de plaisance Vauban et un droit de jouissance de dix-neuf postes à quai conçus et réalisés pour recevoir des yachts de grande dimension, situés sur le quai dit " des milliardaires ". La société de gestion du Port Vauban assure l'exploitation et la gestion de ce port en vertu d'un contrat de concession conclu avec la commune d'Antibes le 29 décembre 1987. Conformément au règlement de police du port, la société de gestion du Port Vauban assure le service public portuaire en affectant les postes à quai inoccupés à des usagers de passage moyennant le versement d'une redevance. L'administration a considéré, dans une proposition de rectification du 30 septembre 2012, que les sommes versées par la société de gestion du Port Vauban à dix-neuf sociétés étrangères, actionnaires de la société IYCA, en contrepartie de l'occupation temporaire de leurs postes à quai, devaient être soumises à la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts.
2. La société de droit luxembourgeois Palomata, qui est un des actionnaires de la société IYCA et a ainsi la jouissance d'un des postes à quai, a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge partielle de la retenue à la source à laquelle la société de gestion du Port Vauban a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011, la base imposable devant être réduite des sommes respectivement de 270 000 euros, 134 000 euros et 143 500 euros correspondant aux redevances que cette société lui a versées. Dans son jugement du 27 juin 2019, le tribunal administratif de Nice a estimé que cette imposition méconnaissait l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif à la libre circulation des capitaux dès lors que la retenue à la source est due, bien que la société Palomata n'ait pas obtenu de résultat bénéficiaire et, en conséquence, a prononcé la réduction demandée par cette société. Par une requête enregistrée sous le n° 19MA04577, le ministre de l'économie, des finances et de la relance fait appel de ce jugement. Par une requête enregistrée sous le n° 20MA2311, il demande également à la Cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.
3. Les deux requêtes susvisées sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
I. Conclusions de la requête n° 19MA04577 :
4. Toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige est recevable à former une intervention. En l'espèce, la société IYCA est une société anonyme de l'article 1655 ter du code général des impôts et n'a donc pas de personnalité distincte de celle de ses membres pour l'application des impôts directs. Par suite, dès lors que la société Palomata est actionnaire de la société IYCA, elles ont donc le même intérêt dans le cadre de la présente instance. L'intervention de la société IYCA est ainsi recevable.
5. Aux termes du I de l'article 182 B du code général des impôts : " Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : / a. Les sommes versées en rémunération d'une activité déployée en France dans l'exercice de l'une des professions mentionnées à l'article 92 (...) ". Aux termes de l'article 92 du même code : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices (...) de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus (...) ".
En ce qui concerne les moyens retenus par le tribunal administratif :
6. En premier lieu, tant le responsable du paiement de la retenue à la source sur les revenus perçus en contrepartie de l'occupation temporaire des postes à quai que les bénéficiaires de ces revenus, dont les montants sont ainsi réduits, sont recevables à contester devant le juge de l'impôt cette retenue. Par suite, dès lors que la société Palomata est bénéficiaire de la partie de ces revenus payés par les sous-locataires à la société de gestion du Port Vauban correspondant au poste à quai dont elle est amodiataire, c'est à tort que le ministre de l'économie, des finances et de la relance soutient que le tribunal administratif aurait dû rejeter comme irrecevable la demande de décharge de la retenue à la source que cette société présentait.
7. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation. (...) ". L'article 57 du même traité précise : " Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. / Les services comprennent notamment : / a) des activités de caractère industriel, / b) des activités de caractère commercial, / c) des activités artisanales, / d) les activités des professions libérales (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 63 du même traité : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres (...) sont interdites ".
8. Il résulte d'une jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l'Union européenne que, pour déterminer si une législation nationale relève de l'une ou l'autre des libertés fondamentales garanties par le traité, il y a lieu de prendre en considération l'objet de la législation en cause. En outre, s'il apparaît qu'une législation nationale est susceptible d'affecter l'exercice de la libre prestation de services et de la libre circulation des capitaux, la Cour examine la mesure en cause, en principe, au regard de l'une seulement de ces deux libertés s'il s'avère que, dans les circonstances de l'affaire, l'une d'elles est tout à fait secondaire par rapport à l'autre et peut lui être rattachée.
9. En l'espèce, l'activité de sous-location de postes à quai constitue une prestation de services au sens de l'article 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les dispositions de l'article 182 B du code général des impôts, qui sont relatives à l'imposition des bénéfices de cette activité, affectent à titre principal la situation du prestataire de service en tant que telle et non pas celle de l'acquéreur qui n'est concernée que de manière secondaire. Il convient donc de n'examiner la situation de la société Palomata qu'au regard de la seule libre prestation de service.
10. Au surplus, en tout état de cause, la société Palomata se borne à établir que, pour l'ensemble de ses activités dont elle ne précise ni la nature ni le lieu d'exercice, elle présente une situation déficitaire, notamment en ce qui concerne les années 2009 et 2010. Elle ne produit toutefois aucun élément de nature à démontrer que l'activité de sous-location de postes à quai serait déficitaire au titre des années 2009, 2010 et 2011.
11. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a prononcé la décharge de la retenue à la source contesté au motif que les dispositions de l'article 182 B du code général des impôts n'étaient pas compatibles avec la liberté de circulation des capitaux lorsque la société bénéficiaire de revenus de son activité en France se trouve, au regard de la législation de son Etat de résidence, en situation déficitaire. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Palomata devant le tribunal administratif de Nice et devant elle.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés :
S'agissant de la régularité de la procédure d'imposition :
12. En premier lieu, il résulte des dispositions précédemment citées que le redevable de la retenue à la source prévue par l'article 182 B du code général des impôts est la personne qui verse les rémunérations visées par ce texte, c'est-à-dire la société de gestion du Port Vauban. Aucune disposition légale ou réglementaire n'impose à l'administration d'informer les bénéficiaires des sommes versées de la rectification procédant de cette retenue, alors même que l'administration aurait connaissance de ces bénéficiaires pour avoir contrôlé tant la situation fiscale de la société IYCA que celle de ses actionnaires. Par suite, la société Palomata n'est pas fondée à soutenir que la procédure d'imposition serait, pour ce motif, irrégulière et aurait méconnu le principe de loyauté. En outre, dès lors que la société Palomata a la possibilité de contester tant devant l'administration fiscale que devant le juge de l'impôt la retenue à la source qui réduit ses revenus de location et dont elle supporte ainsi la charge, elle n'est pas fondée à soutenir que l'absence d'information relative à la rectification procédant de cette retenue méconnaît le principe général des droits de la défense ou les dispositions de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Enfin, la décision de la Cour de l'Association européenne de libre échange du 23 novembre 2004, organisation internationale à laquelle ni la France ni le Luxembourg ne sont parties, est en tout état de cause sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition.
13. En second lieu, l'insuffisance de la motivation de la décision de rejet de la réclamation contentieuse de la société Palomata est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition suivie à son égard comme sur le bien-fondé de la retenue à la source.
S'agissant du bien-fondé de l'imposition :
14. En premier lieu, il résulte des dispositions précédemment citées de l'article 182 B du code général des impôts que le " débiteur " est la personne ou la société exerçant une activité en France qui a recueilli les sommes payées en rémunération d'une activité déployée en France dans l'exercice d'une des professions mentionnées à l'article 92 du même code et les reverse à une personne ou une société qui n'a pas d'installation professionnelle permanente en France. Le " débiteur " visé par ces dispositions n'est donc pas la personne ou la société qui, en contrepartie d'une rémunération, a bénéficié de la prestation de service et l'a payée. Par suite, la société Palomata n'est pas fondée à soutenir que la société de gestion du Port Vauban ne serait pas un " débiteur " au sens de ces dispositions et que les conditions légales de leur application ne seraient pas réunies. Le moyen soulevé par la société IYCA selon lequel la société de gestion du Port Vauban n'aurait pas dû payer les sommes qu'elle recueillait directement aux actionnaires de la société IYCA et aurait dû les payer à celle-ci afin que celle-ci les reverse ensuite à ses associés est sans incidence sur le bien-fondé de l'imposition.
15. En deuxième lieu, il résulte de la combinaison des dispositions précédemment citées, éclairées par les travaux préparatoires préalables à l'adoption de la loi du 29 décembre 1976 modifiant les règles de territorialité et les conditions d'imposition des Français à l'étranger ainsi que des autres personnes non domiciliées en France dont est issu l'article 182 B précédemment cité, que la retenue à la source instituée par cet article s'applique, en vertu de son a, aux sommes versées en rémunération de toute activité déployée en France dont les bénéfices entrent dans le champ de l'article 92 du code général des impôts, qu'il s'agisse des bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants ou de ceux de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus.
16. Ainsi, la société Palomata soutient que l'investissement qu'elle a réalisé avait pour but initial de permettre de pratiquer le yachting, sans recherche de profit. Toutefois, cette circonstance est, par elle-même, sans incidence sur l'existence, même si elle n'a qu'un caractère secondaire par rapport à l'utilisation privative, d'une activité de sous-location d'un poste à quai. La circonstance alléguée que les prix de la sous-location correspondraient à un tarif réglementé et ne pourraient donc être librement fixés ne fait également pas obstacle à ce que la société Palomata soit regardée comme exerçant une activité. Les bénéfices d'une telle activité ne se rattachant à aucune autre catégorie de revenus que celle des bénéfices non commerciaux, elle présente donc le caractère d'une profession mentionnée à l'article 92 du code général des impôts au sens du a de l'article 182 B.
17. En troisième lieu, il résulte des dispositions de l'article 182 B du code général des impôts que la retenue à la source est assise sur les sommes brutes versées par le débiteur d'une rémunération de l'activité déployée en France par le bénéficiaire des revenus visés à l'article 92 du même code. La prise en charge par le débiteur du montant de la retenue à la source, sans qu'il en demande le remboursement à son bénéficiaire, constitue un supplément de rémunération qui doit être intégré dans le calcul de cette même retenue à la source. Par suite, la société Palomata n'est pas fondée à soutenir que le montant de la retenue à la source serait calculé sur la base d'un taux erroné d'imposition de 50 %.
18. En quatrième lieu, pour les motifs précédemment mentionnés aux points 7 et 8, la société Palomata ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relative à la libre circulation des capitaux. En tout état de cause, le taux de la retenue à la source sur les bénéfices de l'activité de sous-location exercée par la société Palomata s'élève à 33 1/3 %. Par suite, le moyen selon lequel le taux d'imposition de 50 % ferait peser une charge fiscale plus lourde sur les contribuables non-résidents par rapport aux contribuables résidents, créant ainsi une restriction à la libre circulation des capitaux contraire au droit de l'Union européenne, doit être écarté.
19. En cinquième lieu, aux termes de l'article 4 de la convention franco-luxembourgeoise alors en vigueur : " 1. Les revenus des entreprises industrielles, minières, commerciales ou financières ne sont imposables que dans l'Etat sur le territoire duquel se trouve un établissement stable (...) ". L'article 15 de la même convention dispose que : " 1. Les revenus provenant de l'exercice d'une profession libérale et, d'une manière générale, tous revenus du travail autres que ceux qui sont visés aux articles 11, 12, 13 et 14 de la présente convention sont imposables seulement dans l'Etat où s'exercice l'activité personnelle (...) ". Aux termes de l'article 18 de la même convention : " Les revenus non mentionnés aux articles précédents ne sont imposables que dans l'Etat du domicile fiscal du bénéficiaire ". L'article 19 de la même convention dispose que : " 1. Les revenus qui, d'après les dispositions de la présente convention, ne sont imposables que dans l'un des deux Etats ne peuvent être imposés dans l'autre Etat, même par voie de retenue à la source (...) ".
20. L'activité de sous-location d'un poste à quai n'est pas une entreprise industrielle, minière, commerciale ou financière au sens des dispositions précédemment citées de l'article 4 de la convention franco-luxembourgeoise. La société Palomata n'est donc pas fondée à soutenir que ces dispositions feraient obstacle à ce que cette activité soit imposée en France.
21. Les revenus de cette activité de sous-location ne sont ni des revenus de membres de conseil d'administration, ni des revenus alloués par des personnes morales de droit public, ni des pensions ou rentes viagères, ni des traitements ou salaires. N'étant donc pas des revenus visés aux articles 11, 12, 13 et 14, ils constituent des revenus du travail visés à l'article 15 de la convention franco-luxembourgeoise et sont donc, pour ce motif, imposables en France. Etant des revenus mentionnés à cet article 15, la société Palomata n'est donc pas fondée à soutenir que les dispositions des articles 18 et 19 de la convention franco-luxembourgeoise feraient obstacle à la retenue à la source.
22. En dernier lieu, toutefois, les stipulations précédemment citées des articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, telles qu'interprétées par une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, s'opposent à une législation nationale qui exclut que le débiteur de la rémunération versée à un prestataire de services non résident déduise, lorsqu'il procède à la retenue à la source de l'impôt, les frais professionnels que ce prestataire lui a communiqués et qui sont directement liés à ses activités dans l'Etat membre où est effectuée la prestation, alors qu'un prestataire de services résident de cet Etat ne serait soumis à l'impôt que sur ses revenus nets, c'est-à-dire sur ceux obtenus après déduction des frais professionnels.
23. L'activité concernée de sous-location d'un poste à quai exercée en France constitue une prestation de services au sens des stipulations précitées. En outre, le fait de soumettre les loyers ainsi versés à un prestataire résidant dans un autre Etat membre de l'Union européenne à un impôt assis sur un montant brut, sans possibilité de déduire les frais directement liés à l'activité, alors que les mêmes loyers versés à un prestataire résident seraient imposés sur la base d'un montant établi après déduction des frais professionnels, constitue une restriction à la liberté de prestation de services. Ainsi, la société Palomata est fondée à soutenir que l'article 182 B du code général des impôts méconnaît, dans cette mesure, le principe de la libre prestation de services protégé aux articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et à s'en prévaloir pour demander, au titre de la période concernée, la déduction de la base de la retenue à la source des frais professionnels qu'elle a supportés, à condition qu'ils soient directement liés à cette prestation de service.
24. Afin d'établir le montant de ces frais professionnels, la société Palomata produit notamment les documents que lui a adressés la société du Port Vauban relatifs aux provisions pour charges d'exploitation devant être versées, dont les montants sont confirmés par les extraits de la comptabilité que produit la société IYCA. Il est cependant constant que ce poste à quai n'est mis à disposition de navires de passage que lorsque la société Palomata ne l'occupe pas. Les documents que celle-ci, notamment ceux relatifs aux provisions pour charges, ne permettent pas d'établir la part qui, dans les fonds appelés par la société de gestion du Port Vauban et dont elle demande la déduction de la base de la retenue à la source, correspondrait non pas aux charges dues à sa propre occupation du poste à quai mais à des frais professionnels directement liés à l'activité de sous-location de ce poste.
25. Il résulte de ce qui a été exposé au point précédent que l'état du dossier ne permet pas de se prononcer sur le montant des frais professionnels dont la société Palomata est fondée à demander la déduction de l'assiette de la retenue à la source en litige et qui sont indissociables de l'activité de sous-location des postes à quai qu'elle a pratiquée au titre des années 2009 à 2011.
S'agissant des pénalités :
26. En premier lieu, aux termes de l'article 1671 A du code général des impôts : " Les retenues prévues aux articles 182 A, 182 A bis et 182 B sont opérées par le débiteur des sommes versées et celle prévue à l'article 182 A ter est opérée par la personne mentionnée au IV dudit article. Les retenues sont remises au service des impôts accompagnées d'une déclaration conforme au modèle fixé par l'administration, au plus tard le 15 du mois suivant celui du paiement (...) ". L'article 1728 du code général des impôts dispose que " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : / a) 10 % en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l'acte dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifié par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai (...) ".
27. Il résulte de l'instruction que la société de gestion du Port Vauban, qui estimait ne pas être redevable de la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts, n'a remis aucune déclaration au service des impôts dans le délai prévu à l'article 1671 A du même code. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la relance établit le bien-fondé de la pénalité de 10 % infligée à la société de gestion du Port Vauban en application du a de l'article 1728 du code général des impôts.
28. En second lieu, ainsi qu'il a été dit aux points 17 et 18, le taux d'imposition s'élève à 33 1/3 % et, par suite, la société Palomata n'est pas fondée à soutenir qu'avec la pénalité de 10 %, le taux d'imposition s'établirait à 60 %. En tout état cause, la société Palomata n'assortit pas son moyen selon lequel un tel taux serait confiscatoire et sanctionné par les juridictions suprêmes de précisions suffisantes pour permettre au juge d'en apprécier le bien-fondé. Il ne peut qu'être écarté. En outre, dans la mesure où la société Palomata aurait ainsi entendu critiquer la conformité des dispositions établissant les taux de la retenue à la source et de la pénalité à des principes constitutionnels, notamment à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ce moyen ne serait en tout état de cause pas recevable, en l'absence de mémoire distinct soulevant une question prioritaire de constitutionnalité, ainsi que le prévoit l'article R. 771-3 du code de justice administrative.
29. Il résulte de tout ce qui précède, en particulier du point 25, qu'il y a lieu, avant de statuer sur la requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance, d'ordonner avant-dire droit un supplément d'instruction aux fins d'inviter la société Palomata à produire tout document permettant de connaître les frais professionnels et de réserver jusqu'en fin d'instance, les droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt.
II. Conclusions de la requête n° 20MA02311 à fin de sursis à exécution du jugement :
30. Aux termes de l'article R. 811-16 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel par une personne autre que le demandeur en première instance, la juridiction peut, à la demande de l'appelant, ordonner sous réserve des dispositions des articles R. 533-2 et R. 541-6 qu'il soit sursis à l'exécution du jugement déféré si cette exécution risque d'exposer l'appelant à la perte définitive d'une somme qui ne devrait pas rester à sa charge dans le cas où ses conclusions d'appel seraient accueillies ".
31. L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nice attaqué prévoit que " la société Palomata est déchargée de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2009, 2010 et 2011 et des pénalités correspondantes ". Le ministre de l'économie, des finances et de la relance fait notamment valoir les difficultés qu'il rencontrerait voire l'impossibilité dans laquelle il se trouverait pour exécuter ce dispositif du jugement, dès lors que le redevable de la redevance est la société de gestion du Port Vauban et non pas la société Palomata. Toutefois, et en tout état de cause, le ministre a la faculté de faire usage des dispositions de l'article R. 921-1 du code de justice administrative pour l'éclairer sur les modalités d'exécution du jugement. Il note également que la société Palomata est une société de droit étranger. Toutefois, cette seule circonstance, invoquée sans précision, ne suffit pas à établir l'existence d'un risque que les sommes qui seraient versées en exécution du jugement à cette société immatriculée dans un Etat membre de l'Union européenne ne pourraient être récupérées. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que l'exécution du jugement du tribunal administratif de Nice risquerait d'exposer l'Etat à la perte définitive d'une somme qui ne devrait pas rester à sa charge dans le cas où les conclusions d'appel du ministre de l'économie, des finances et de la relance seraient accueillies. Par suite, il n'est pas fondé à demander qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
32. Il n'y a pas lieu, s'agissant de cette requête tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nice, de mettre une somme à la charge de l'Etat à verser à la société Palomata au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'intervention de la SELARL Xavier Huertas et Associés, administrateur provisoire de la société IYCA, dans la requête enregistrée sous le n° 19MA04577 est admise.
Article 2 : Avant-dire droit sur la requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance enregistrée sous le n° 19MA04577, il est ordonné à la société Palomata de justifier, par tous moyens, avant le 6 mai 2021, au titre des années 2009 à 2011 le montant des frais professionnels, notamment les frais de gestion prélevés par la société de gestion du Port Vauban, qui sont directement liés à l'activité de sous-location du poste à quai.
Article 3 : Tous droits et moyens des parties concernant la requête enregistrée sous le n° 19MA04577 demeurent réservés, à l'exception de ceux sur lesquels il est statué par le présent arrêt.
Article 4 : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance enregistrée sous le n° 20MA02311 est rejetée.
Article 5 : Les conclusions de la société Palomata au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées dans la requête enregistrée sous le n° 20MA02311 sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance, à la société Palomata et à la SELARL Xavier Huertas et Associés, administrateur provisoire de la société International Yacht Club d'Antibes.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2021, où siégeaient :
- M. Antonetti, président,
- M. B..., président assesseur,
- Mme Mastrantuono, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 avril 2021.
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N° 19MA04577, 20MA02311
nc