Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 10 octobre 2019 par lequel le préfet de la Haute-Corse a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a accordé un délai de départ volontaire de trente jours, l'a astreint à se présenter trois fois par semaine à la gendarmerie de Cervione et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné.
Par un jugement n° 2000069 du 23 juin 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 23 juillet et 22 septembre 2020, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 23 juin 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Haute-Corse du 10 octobre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Corse de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à venir ou, subsidiairement, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois et de le munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de huit jours à compter de cette notification ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué ne rappelle pas le principe de présomption d'innocence ;
- la commission du titre de séjour aurait dû être saisie en application des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de cet article L. 313-14 ;
- le 7° de l'article L. 313-11 du même code ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnus ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des conséquences des décisions litigieuses sur sa situation ;
- le préfet a commis une erreur de droit ainsi qu'une erreur manifeste d'appréciation en l'obligeant à quitter le territoire français alors qu'il est placé sous contrôle judiciaire.
Par une ordonnance du 15 décembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 février 2021.
Un mémoire présenté par le préfet de la Haute-Corse a été enregistré le 5 mars 2021, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les observations de Me C..., représentant M. B....
Une note en délibéré, présentée pour M. B..., a été enregistrée le 18 mars 2021.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant ivoirien né le 4 septembre 1993, est entré en France le 30 août 2008 avec ses parents et son frère. Par un arrêté du 14 février 2015 dont la légalité a été confirmée, il a notamment fait l'objet d'une mesure d'éloignement. L'intéressé, qui s'est maintenu sur le territoire français, a sollicité, le 20 mars 2019, la délivrance d'une carte de séjour temporaire en qualité de conjoint d'une ressortissante française. Par un arrêté du 10 octobre suivant, le préfet de la Haute-Corse a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a accordé un délai de départ volontaire de trente jours, l'a astreint à se présenter trois fois par semaine à la gendarmerie de Cervione et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné. M. B... relève appel du jugement du 23 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 10 octobre 2019.
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, (...) à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales (...) ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
3. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que M. B... a vécu en Iran de 2003 à 2008 et qu'il a, au cours de cette période, été scolarisé dans une école française de Téhéran. Il est ensuite entré régulièrement en France le 30 août 2008, alors qu'il était âgé de près de quinze ans, et y a poursuivi sa scolarité secondaire jusqu'en 2012. L'intéressé, dont les parents et le frère résident également sur le territoire français, établit, notamment par la production de nombreuses attestations circonstanciées, avoir tissé des liens sociaux et amicaux intenses et stables en France, en particulier dans le département de la Haute-Corse où il vit depuis 2014 et où il pratique le football dans un club dans lequel il exerce par ailleurs les fonctions d'entraîneur bénévole. En outre, l'intéressé participe aux activités d'une association corse menant des actions de prévention à destination de jeunes en difficulté. Il ne ressort pas des pièces versées aux débats que M. B..., qui a entretenu une relation avec une ressortissante française pendant plus de trois ans avant leur mariage et leur séparation au cours de l'année 2019, aurait conservé des liens personnels et familiaux intenses dans son pays d'origine qu'il a quitté très jeune, et ce alors même que sa soeur y réside. Par ailleurs, si le préfet de la Haute-Corse a relevé, dans son arrêté, que trois procédures judiciaires ont été engagées à l'encontre de M. B... entre 2010 et 2012 et que ce dernier a été interpellé en 2015 pour transport et détention illicite de stupéfiants, il est constant qu'il n'a fait l'objet d'aucune condamnation. Il n'apparaît pas que la réalité des infractions, d'ailleurs anciennes, reprochées à l'intéressé aurait été reconnue à l'issue de ces procédures. Enfin, la circonstance, dont l'arrêté attaqué ne fait au demeurant pas état, que M. B... a été placé sous contrôle judiciaire au mois d'octobre 2018 ne saurait suffire à établir, alors que ce dernier conteste les faits de transport de stupéfiants et d'association de malfaiteurs qui lui sont reprochés, à établir, eu égard à tout ce qui a été dit précédemment, que la présence en France de M. B... représentait, à la date de l'arrêté contesté, une menace pour l'ordre public de nature à justifier une ingérence de l'autorité publique dans sa vie privée. Dans les circonstances particulières de l'espèce, compte tenu en particulier de la durée du séjour de M. B... ainsi que des attaches privées et familiales dont il dispose sur le territoire français, et en dépit des circonstances qu'il était célibataire et sans charge de famille à la date de l'arrêté attaqué, la décision de refus de titre de séjour en litige a porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise et a ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, M. B... est fondé à demander l'annulation de cette décision de refus de titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, celle des décisions subséquentes contenues dans l'arrêté du préfet de la Haute-Corse du 10 octobre 2019.
4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Corse du 10 octobre 2019.
5. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " soit délivrée à M. B.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Haute-Corse de délivrer ce titre de séjour à l'intéressé dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 23 juin 2020 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Haute-Corse du 10 octobre 2019 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Corse de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Corse et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bastia.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Chazan, président,
- Mme Simon, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2021.
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N° 20MA02505