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02/02/2021 | FRANCE | N°18MA02635

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 9ème chambre, 02 février 2021, 18MA02635


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande, la société Eole-Res a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue de l'édification de quatre éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Dio-et-Valquières, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux.

Par une seconde demande, la société Eole-Res a demandé au tribunal administratif de Montpellier

d'annuler l'arrêté du 4 avril 2016 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande, la société Eole-Res a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue de l'édification de quatre éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Dio-et-Valquières, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux.

Par une seconde demande, la société Eole-Res a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 4 avril 2016 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue de l'édification de quatre éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Dio-et-Valquières.

Par un jugement nos 1601831, 1603004 du 5 avril 2018, le tribunal administratif de Montpellier, après avoir joint ces demandes, a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation présentées dans l'instance n° 1601831 et a rejeté l'autre demande de la société Eole-Res, devenue la société Res.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 6 juin 2018 et 12 décembre 2019, la société Res, représentée par la SELAS LPA-CGR avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 5 avril 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 4 avril 2016 ;

2°) d'annuler cet arrêté du préfet de l'Hérault du 4 avril 2016 ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Hérault de lui délivrer le permis de construire sollicité ou, subsidiairement, de procéder à une nouvelle instruction de sa demande de permis de construire dans le délai de deux mois à compter de l'arrêt à venir et sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- le parc éolien en litige n'est pas de nature à porter atteinte à l'aigle royal ;

- le projet litigieux n'est pas de nature à porter atteinte à l'aigle de Bonelli ;

- il n'est pas susceptible de porter atteinte aux chiroptères et, en particulier, aux espèces de lisière, compte tenu des caractéristiques des éoliennes projetées et des mesures prévues ;

- le projet litigieux ne porte pas une atteinte aux paysages et sites de nature à justifier un refus de permis de construire.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 novembre 2019, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens invoqués par la société Res ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant la société Res.

Une note en délibéré présentée pour la société Res a été enregistrée le 1er février 2021.

Considérant ce qui suit :

1. La société Res relève appel du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 5 avril 2018 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 avril 2016 par lequel le préfet de l'Hérault a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue de l'édification de quatre éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Dio-et-Valquières.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 122-9 du code de l'urbanisme : " Les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ".

3. Il résulte de ces dispositions que, sans préjudice des autres règles relatives à la protection des espaces montagnards, l'article L. 122-9 du code de l'urbanisme prévoit que dans les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard, les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols doivent être compatibles avec les exigences de préservation de ces espaces. Pour satisfaire à cette exigence de compatibilité, ces documents et décisions doivent comporter des dispositions de nature à concilier l'occupation du sol projetée et les aménagements s'y rapportant avec l'exigence de préservation de l'environnement montagnard prévue par la loi.

4. Le parc éolien projeté doit être implanté au sein du parc naturel régional du Haut-Languedoc et sur le territoire d'une commune classée en zone de montagne. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que le secteur d'implantation du projet entre dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 122-9 du code de l'urbanisme.

5. Pour refuser de délivrer le permis de construire sollicité par la société Eole-Res, devenue la société Res, le préfet de l'Hérault, après avoir relevé que le parc éolien projeté doit être implanté à proximité d'un parc éolien existant comportant sept aérogénérateurs et fait état des autres projets de même nature autorisés dans la haute vallée de l'Orb, a d'abord considéré que " les impacts des deux parcs viendront se cumuler à l'intérieur du domaine vital d'un couple d'aigle royal occasionnant notamment la fragmentation des territoires de chasse, un risque d'effet barrière et la multiplication des risques de collision " et que le projet litigieux serait de nature à " compromettre la capacité à se reproduire du couple d'aigle royal existant sur le site ". Il a ensuite relevé que le projet doit être implanté au sein du domaine vital de l'aigle de Bonelli. Il a également précisé que quinze espèces de chiroptères ont été répertoriées sur le site et que les quatre éoliennes " sont prévues en lisière de boisement alors que pour la préservation des chauves-souris, les préconisations des scientifiques incitent à éviter les milieux forestiers " et à privilégier " un éloignement de 200 m des lisières ". Le préfet a aussi estimé que le projet litigieux aurait un " impact paysager notable en raison de son implantation sur une crête le rendant perceptible depuis le site classé du Salagou ", qu'il serait visible dans son ensemble depuis les " hauteurs de l'Escandorgue ", et notamment depuis la " chapelle Saint-Amans, classée au titre des monuments historiques ", avant d'indiquer que les éoliennes projetées " dépassent de 34 mètres celles déjà en place ". Il a enfin considéré que l'implantation du parc éolien projeté aggravera " l'impact des installations éoliennes dans un périmètre du massif de l'Escandorgue réputé pour sa qualité paysagère et caractérisé par la diversité des espèces à valeur patrimoniale dénombrées ".

6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que le secteur d'implantation du projet est situé à l'extrémité sud du domaine vital du couple d'aigles royaux, en dehors du coeur de ce domaine vital et à plus de dix kilomètres au sud de la zone de nidification de ce couple. La fréquentation du secteur en cause par cette espèce protégée est limitée au vu tant de l'étude d'impact que du rapport établi par l'association Baguage et Etudes pour la Conservation des Oiseaux et de leurs Territoires (BECOT). Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'implantation du parc éolien en litige, à proximité du parc éolien déjà exploité sur le territoire de la commune de Dio-et-Valquières et dont la présence n'a pas affecté la capacité de reproduction du couple d'aigles royaux, serait de nature à porter atteinte à cette capacité de reproduction. Selon l'étude d'impact, l'implantation de trois des quatre éoliennes en zone boisée ou en lisière de zone boisée permet de limiter les risques de perte de territoire de chasse pour l'aigle royal qui privilégie les milieux ouverts et non boisés. Il ressort de cette même étude que la surface impactée par le projet, qui ne comporte que quatre éoliennes, ne sera que d'environ dix-huit hectares sur un territoire qui s'inscrit en continuité avec le parc éolien existant, en périphérie sud du domaine vital qui s'étend sur un périmètre de plus de cent vingt kilomètres carrés. Si les conclusions du rapport de l'association BECOT font état des conséquences sur les territoires de chasse de plusieurs des parcs éoliens déjà autorisés, situés à une distance comprise entre deux et quatre kilomètres de la zone de nidification, elles ne permettent pas de justifier le motif retenu par le préfet et tiré du caractère excessif de l'impact supplémentaire qui serait généré par le projet en litige qui est davantage éloigné de la zone de nidification. Il n'est par ailleurs pas contesté que la distance séparant le projet litigieux des autres parcs éoliens autorisés est, ainsi que le souligne l'étude d'impact, suffisante pour éviter le risque cumulé d'effet barrière mentionné dans l'arrêté contesté. En outre, s'agissant du risque de collision, il ressort tant de l'étude d'impact que des travaux de l'association BECOT que les observations effectuées ont permis de mettre en évidence un comportement d'évitement des éoliennes existantes par les aigles royaux. Si la ministre évoque un cas de mortalité d'un jeune aigle royal par collision avec une éolienne, il ressort des pièces du dossier que le parc éolien de Joncels au sein duquel cette collision s'est produite au cours de l'été 2017 est davantage survolé par l'aigle royal et qu'il est par ailleurs situé à moins de cinq kilomètres du site de nidification. Dans ces conditions, et alors que des mesures de réduction des risques de collision sont prévues, notamment l'installation d'un système d'effarouchement par détection vidéo sur deux des quatre éoliennes, et que le parc éolien projeté est implanté à plus de dix kilomètres de la zone de nidification aux abords de laquelle ces risques sont les plus importants, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet litigieux serait susceptible d'accroître significativement ces risques.

7. D'autre part, si le secteur d'implantation du projet est inclus dans le périmètre du plan national d'actions en faveur de l'aigle de Bonelli ainsi que dans une zone dite de sensibilité maximale identifiée par la charte du parc naturel régional du HautLanguedoc, il ressort de l'étude d'impact qu'aucun spécimen de cette espèce protégée n'a été recensé dans le secteur en cause. Il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu notamment des mesures de réduction des risques évoquées au point précédent, que les quatre éoliennes projetées, dont l'implantation est prévue à proximité d'un parc éolien existant, seraient, en cas de recolonisation du site par cette espèce, susceptibles de lui porter atteinte.

8. Ensuite, l'étude d'impact sur les chiroptères analyse notamment la problématique des espèces de lisière, en particulier deux espèces de pipistrelles. Il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu des caractéristiques des quatre éoliennes projetées ainsi que de l'ensemble des mesures d'évitement et de réduction des risques prévues par la société pétitionnaire, et notamment la mesure de bridage des éoliennes en fonction de l'activité des chauves-souris, que le projet litigieux serait, en dépit de son implantation à moins de deux cents mètres de lisières, susceptible de porter une atteinte significative aux espèces de chiroptères identifiées dans le secteur en cause et, en particulier, aux espèces de lisière.

9. Enfin, il ressort des pièces du dossier que les quatre éoliennes projetées, d'une hauteur de 127 mètres en bout de pales, doivent être implantées à proximité des aérogénérateurs du parc éolien existant situé sur le territoire de la commune de Dio-et-Valquières. L'étude d'impact, dont le volet paysager met en évidence l'impact visuel limité du projet sur la vallée de l'Orb, précise que le secteur d'implantation du projet est situé dans une zone identifiée comme présentant une sensibilité faible d'un point de vue paysager. Il ressort des pièces du dossier que le site classé du lac du Salagou est situé à plus de dix kilomètres de l'éolienne la plus proche. La seule circonstance que le parc éolien en cause serait, à l'instar de celui à proximité duquel il sera implanté, visible depuis certains points de ce site classé, ainsi que depuis la chapelle de Saint-Amans située à 3,5 kilomètres environ de l'éolienne la plus proche, ne permet pas d'établir que le projet litigieux aurait, en dépit de la hauteur des éoliennes en litige, un " impact paysager notable ".

10. Compte tenu de tout ce qui a été dit précédemment, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet de la société Eole-Res, aux droits de laquelle est venue la société Res, serait incompatible avec les exigences de préservation des espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard. Par suite, en refusant de délivrer le permis de construire sollicité, le préfet de l'Hérault a méconnu l'article L. 122-9 du code de l'urbanisme.

11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, la société Res est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 4 avril 2016.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

12. Il résulte des dispositions de l'article L. 4243 du code de l'urbanisme, de l'article

L. 60041 du même code et de l'article L. 9111 du code de justice administrative que, lorsque le juge annule un refus d'autorisation d'urbanisme après avoir censuré l'ensemble des motifs que l'autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de cet article L. 4243 ainsi que, le cas échéant, les motifs qu'elle a pu invoquer en cours d'instance, il doit, s'il est saisi de conclusions à fin d'injonction, ordonner à cette autorité de délivrer l'autorisation. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction soit que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée, qui eu égard aux dispositions de l'article L. 6002 du code de l'urbanisme demeurent applicables à la demande, interdisent de l'accueillir pour un motif que l'administration n'a pas relevé, ou que, par suite d'un changement de circonstances, la situation de fait existant à la date de l'arrêt y fait obstacle.

13. Il ne résulte pas de l'instruction que les dispositions en vigueur à la date de la décision annulée interdiraient la délivrance du permis de construire sollicité par la société pétitionnaire pour un autre motif que celui censuré par le présent arrêt. Par ailleurs, il ne résulte pas davantage de l'instruction qu'un changement dans les circonstances de fait se soit produit depuis l'édiction de l'arrêté contesté, ni que la situation de fait existant à la date du présent arrêt ferait obstacle à la délivrance de ce permis de construire. Dans ces conditions, il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Hérault de délivrer à la société Res le permis de construire sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Res au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement nos 1601831, 1603004 du tribunal administratif de Montpellier du 5 avril 2018 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Hérault du 4 avril 2016.

Article 2 : L'arrêté du préfet de l'Hérault du 4 avril 2016 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Hérault de délivrer à la société Res le permis de construire sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Res est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Res et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.

Copie en sera adressée au préfet de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 19 janvier 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Chazan, président,

- Mme Simon, président assesseur,

- M. B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2021.

6

N° 18MA02635


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA02635
Date de la décision : 02/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-03-025-03 Urbanisme et aménagement du territoire. Permis de construire. Nature de la décision. Refus du permis.


Composition du Tribunal
Président : M. CHAZAN
Rapporteur ?: M. Raphaël MOURET
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : SELAS LPA-CGR AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-02-02;18ma02635 ?
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