Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 28 février 2019 par laquelle le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a opposé la prescription quadriennale, pour la période se rapportant aux années 1998 à 2007, à la créance qu'il détient sur l'Etat au titre de la reconstitution de sa carrière, à la suite de la prise en compte du bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté, et d'enjoindre à l'Etat de lui verser l'intégralité des sommes résultant de la reconstitution de sa carrière.
Par jugement n° 1908063 du 8 juin 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 août 2020, M. C... A..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 juin 2020 ;
2°) d'enjoindre à l'Etat de lui verser l'intégralité des rappels de traitement résultant de la reconstitution de sa carrière, assortie des intérêts légaux et de la capitalisation des intérêts, dans le délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Il soutient que :
- le jugement attaqué ne remplit pas l'exigence de l'apparence de justice ;
- la prescription quadriennale ne peut lui être opposée dès lors qu'il était dans l'ignorance légitime de l'existence de sa créance avant la publication de l'arrêté interministériel du 3 décembre 2015 et de la directive du 9 mars 2016 qui a reconnu l'existence de ses droits, ne pouvant avant cette date savoir que les circonscriptions de sécurité publique où il était affecté seraient inscrites au titre des circonscriptions ouvrant droit au bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté ;
- l'application de la prescription quadriennale à une créance existant à l'encontre de l'Etat doit être regardée comme portant atteinte au droit du détenteur de cette créance au respect de ses biens, en méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'une telle propriété ne pouvait être conditionnée par la possibilité de contester un acte de portée générale ne concernant pas directement sa situation individuelle ;
- la durée excessive de la procédure pour faire droit à sa demande et obtenir l'exécution de l'ordonnance rendue par le tribunal administratif de Marseille le 27 octobre 2015 méconnait son droit à la propriété privée.
Par un mémoire, enregistré le 2 décembre 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 91-715 du 26 juillet 1991 ;
- le décret n° 95-313 du 21 mars 1995 ;
- l'arrêté du 17 janvier 2001 fixant la liste des secteurs prévue au 1° de l'article 1er du décret du 21 mars 1995;
- l'arrêté du 3 décembre 2015 fixant la liste des secteurs prévue au 1° de l'article 1er du décret du 21 mars 1995 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Mlle B..., assistée de Me D..., maître de stage, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., brigadier-chef de police, affecté à la circonscription de sécurité publique de Marseille, a sollicité, le 3 janvier 2012, le 17 novembre 2014, puis le 9 février 2015, le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté (ASA) avec reconstitution de sa carrière et l'attribution rétroactive des effets pécuniaires de cette reconstitution de carrière par le versement des rémunérations dues au titre des années de service accomplies à Marseille depuis le
1er septembre 1998. Par ordonnance n° 1506051, en date du 7 octobre 2015, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision implicite de rejet opposée par le ministre de l'intérieur à la dernière demande de M. A..., enjoint aux ministres concernés d'examiner si les lieux d'affectation de M. A... durant la période litigieuse se situaient dans une circonscription de police ouvrant droit à l'attribution de l'ASA et rejeté le surplus de ses conclusions. Par un arrêté du 4 octobre 2018, le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a reconnu à M. A... le bénéfice de l'ASA au titre de la période du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2017 et procédé à la reconstitution de sa carrière et, par décision du 28 février 2019, a opposé à sa demande de verser les rémunérations dues au titre de l'ASA l'exception de prescription quadriennale pour les années 1998 à 2007. M. A... relève appel du jugement du 8 juin 2020 par laquelle le tribunal administratif Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du
28 février 2019 en tant qu'elle oppose la prescription quadriennale à une partie de sa créance.
2. En premier lieu, le moyen tiré de ce que le jugement du tribunal administratif de Marseille aurait contrevenu au devoir de respecter l'apparence de la justice n'est pas assorti de précisions suffisantes permettant d'en apprécier la portée.
3. En deuxième lieu, le moyen tiré du délai excessif qui se serait déroulé entre l'ordonnance du 5 août 2015 par laquelle le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision implicite du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud de faire droit à la demande de M. A... de bénéficier de l'ASA au titre des services accomplis dans la circonscription de sécurité publique de Marseille et l'arrêté du 18 octobre 2018 par lequel le préfet a procédé à la reconstitution de sa carrière est inopérant à l'encontre de la décision opposant la prescription quadriennale à une partie de sa créance.
4. En troisième lieu, l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, modifié par l'article 17 de la loi du 25 juillet 1994, dispose que : " Les fonctionnaires de l'Etat et les militaires de la gendarmerie affectés pendant une durée fixée par décret en Conseil d'Etat dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, ont droit, pour le calcul de l'ancienneté requise au titre de l'avancement d'échelon, à un avantage spécifique d'ancienneté dans des conditions fixées par ce même décret. " Selon l'article 1er du décret du 21 mars 1995 pris pour l'application de ces dispositions législatives, les quartiers urbains où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles doivent correspondre " en ce qui concerne les fonctionnaires de police, à des circonscriptions de police ou à des subdivisions de ces circonscriptions désignées par arrêté conjoint du ministre chargé de la sécurité, du ministre chargé de la ville, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget ". La liste des circonscriptions de police ouvrant droit à l'avantage spécifique d'ancienneté a d'abord été fixée, sur le fondement de ces dispositions, par un arrêté du 17 janvier 2001. Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux ayant, par voie d'exception, constaté l'illégalité de cet arrêté par sa décision n° 327428 du 16 mars 2011, les ministres compétents ont pris, le 3 décembre 2015, un nouvel arrêté, publié au Journal officiel de la République française le 16 décembre suivant.
5. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, (...) sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. ".
6. Lorsqu'un litige oppose un agent public à son administration sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit le fait générateur de la créance se trouve ainsi dans les services accomplis par l'intéressé et la prescription est acquise au début de la quatrième année suivant chacune de celles au titre desquelles ses services auraient dû être rémunérés. En l'espèce, le fait générateur de la créance dont se prévaut M. A... est constitué par le service qu'il a effectué dans la circonscription de sécurité publique de Marseille. Il appartenait à M. A..., s'il s'y croyait fondé, de solliciter le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté au titre de services accomplis antérieurement à l'entrée en vigueur de l'arrêté du 3 décembre 2015, en se prévalant de son affectation à une circonscription de police, ou une subdivision d'une telle circonscription, où se posaient des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles, au sens et pour l'application des dispositions de l'article 11 de la loi du 26 juillet 1991 modifiée, ainsi au demeurant que s'en était prévalu le fonctionnaire de police auteur du pourvoi examiné par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux par sa décision n° 327428 du 16 mars 2011, pour solliciter le bénéfice de cet avantage à raison de son affectation dans une circonscription de police pour la période allant du 1er janvier 1995 au 31 août 1998. Dès lors, M. A... ne saurait utilement prétendre avoir ignoré l'existence de sa créance jusqu'à la décision du Conseil d'Etat du 16 mars 2011. Dans ces conditions, le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud pouvait, à la date de présentation de la première réclamation de M. A..., le 3 janvier 2012, opposer la prescription des créances relatives à l'avantage spécifique d'ancienneté antérieures au
1er janvier 2008.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour règlementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. ".
8. Il résulte de l'instruction que les indemnités demandées par M. A..., à raison du caractère insuffisant de rémunérations n'ayant pas intégré un avantage spécifique d'ancienneté, ont la nature d'un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, pour les motifs indiqués au point 6, M. A... avait la possibilité de contester l'arrêté 17 janvier 2001 dès sa publication et de faire valoir, de la sorte, son droit au bénéfice de l'ASA. Dans ces conditions, la possibilité de soumettre les prétentions de ce fonctionnaire au versement de telles indemnités, en vertu des dispositions précitées de l'article 1er de la loi du
31 décembre 1968, à un délai de prescription de quatre ans, n'est pas en lui-même incompatible avec ces stipulations.
9. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille n'a pas fait droit aux conclusions de sa demande tendant au versement des sommes correspondant à sa reconstitution de carrière pour la période antérieure au 1er janvier 2008.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président de chambre,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- Mme E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 janvier 2021.
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N° 20MA02829