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11/01/2021 | FRANCE | N°19MA00013

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 11 janvier 2021, 19MA00013


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Eveha a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler le marché public conclu le 10 mars 2017 entre la société publique locale d'aménagement (SPLA) " Pays d'Aix territoires " et l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) en vue de la réalisation des fouilles archéologiques préventives sur le site de la Burlière à Trets et, d'autre part, de condamner cette société à lui verser une indemnité de 115 874 euros en réparation du préjudice d

écoulant de son éviction du marché.

Par un jugement n° 1704880 du 6 novembre 2018...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Eveha a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler le marché public conclu le 10 mars 2017 entre la société publique locale d'aménagement (SPLA) " Pays d'Aix territoires " et l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) en vue de la réalisation des fouilles archéologiques préventives sur le site de la Burlière à Trets et, d'autre part, de condamner cette société à lui verser une indemnité de 115 874 euros en réparation du préjudice découlant de son éviction du marché.

Par un jugement n° 1704880 du 6 novembre 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 3 janvier 2019, le 9 juillet 2019, le 18 septembre 2019, le 7 octobre 2019 et le 23 décembre 2019, la société Eveha, représentée par Me I..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler le marché conclu le 10 mars 2017 ;

3°) au besoin, d'enjoindre à l'INRAP de produire tout document permettant de vérifier d'une part, que le prix proposé par cet établissement public administratif est déterminé en prenant en compte l'ensemble des coûts directs et indirects concourant à la formation du prix de la prestation objet du contrat et d'autre part, que cet établissement public n'a pas bénéficié, pour déterminer le prix qu'il a proposé, d'un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public ;

4°) au besoin, de désigner un expert chargé de rendre un avis technique sur cette question en vertu de l'article R. 625-2 du code de justice administrative ;

5°) de condamner la SPLA Pays d'Aix territoires à lui verser une indemnité de 115 874 euros en réparation de son préjudice ;

6°) de mettre à la charge respective de la SPLA Pays d'Aix territoires et de l'INRAP la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la différence de prix entre l'offre de l'INRAP et celle qu'elle a formulée étant de 25 %, elle est substantielle et la SPLA Pays d'Aix territoires a entaché la passation du marché d'une irrégularité en s'abstenant de vérifier les caractéristiques de l'offre présentée par l'INRAP ;

- il appartient à l'INRAP de justifier que le prix qu'il a proposé est déterminé en prenant en compte l'ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation, sans qu'il bénéficie, pour le déterminer, d'un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de ses missions de service public ;

- alors qu'elle a apporté de nombreux éléments démontrant que le prix proposé par l'INRAP méconnaît ces règles, ni l'INRAP ni le pouvoir adjudicateur n'ont apporté de précision sur ces deux points, de telle sorte que l'offre de l'INRAP doit être regardée comme méconnaissant nécessairement le principe de libre concurrence ;

- les documents comptables de l'INRAP permettant de vérifier le respect des règles de concurrence ne sont pas couverts par le secret des affaires.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 juin 2019, le 3 septembre 2019, le 7 octobre 2019, le 25 novembre 2019 et le 27 janvier 2020, l'INRAP, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la société Eveha.

Il soutient que :

- les documents relatifs à l'élaboration de son prix sont couverts par le secret des affaires ;

- les moyens soulevés par la société Eveha dans sa requête sont infondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 juin 2019, le 26 juillet 2019, le 16 septembre 2019 et le 23 novembre 2019, la SPLA Pays d'Aix territoires, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la chargée de la société Eveha.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par la société Eveha dans sa requête sont infondés ;

- elle n'aurait en tout état de cause pas retenu l'offre de la société Eveha au regard du caractère excessivement élevé de son prix et celle-ci n'avait donc pas de chance sérieuse d'emporter le marché.

Par ordonnance du 28 janvier 2020, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 17 février 2020.

Par courrier du 21 avril 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de fonder son arrêt sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour examiner la requête de la société Eveha dès lors, d'une part, que le contrat attaqué ne comporte de clauses exorbitantes qu'au profit de la personne morale de droit privé ayant la qualité de pouvoir adjudicateur et, d'autre part, que cette dernière n'agit pas en qualité de mandataire d'une personne publique, et que le marché est dès lors susceptible de constituer un contrat de droit privé.

Par un mémoire enregistré le 30 avril 2020, la société Eveha a répondu à ce moyen.

Par un mémoire enregistré le 13 mai 2020, la SPLA Pays d'Aix territoires a répondu à ce moyen.

Par un arrêt no 19MA00013 du 15 juin 2020, la Cour a sursis à statuer jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour connaître de ce litige.

Par une décision n° 4196 du 2 novembre 2020, le Tribunal des conflits a déclaré la juridiction administrative compétente pour connaître du litige opposant la société Eveha à la SPLA Pays d'Aix territoires.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code du patrimoine ;

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F... Grimaud, rapporteur,

- les conclusions de M. C... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la société Eveha, de Me A..., substituant Me E..., représentant l'INRAP et de Me D..., représentant la SPLA Pays d'Aix territoires.

Considérant ce qui suit :

1. La communauté d'agglomération du Pays d'Aix a, par délibération du 28 septembre 2010, confié à la SPLA Pays d'Aix territoires une concession d'aménagement destinée à la réalisation de la zone d'aménagement concerté de la Burlière sur le territoire de la commune de Trets. Par un arrêté du 27 octobre 2015, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a prescrit la réalisation de fouilles archéologiques préventives sur ce site. La SPLA Pays d'Aix territoires a engagé une procédure d'attribution du marché de réalisation de ces fouilles, avant de déclarer la procédure sans suite le 19 octobre 2016 en raison d'un avis négatif de la direction régionale des affaires culturelles sur le projet scientifique de l'INRAP, candidat retenu. Le 21 octobre 2016, la société a lancé une nouvelle procédure adaptée pour la passation de ce marché. La SPLA Pays d'Aix territoires a, le 8 février 2017, notifié à la société Eveha le rejet de son offre, classée en seconde position, et l'a informée de ce que le marché était attribué à l'INRAP. Le marché a été conclu par la SPLA et cet établissement le 10 mars 2017.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. Saisi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de

prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice du consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

4. Lorsque le prix de l'offre d'une personne publique se portant candidate à l'attribution d'un marché public est nettement inférieur à ceux des offres des autres candidats, il appartient au pouvoir adjudicateur de s'assurer, en demandant la production des documents nécessaires, que l'ensemble des coûts directs et indirects a été pris en compte pour fixer ce prix, afin que ne soient pas faussées les conditions de la concurrence. Si l'offre de la personne publique est retenue et si le prix de l'offre est contesté dans le cadre d'un recours formé par un tiers, il appartient au juge administratif de vérifier que le pouvoir adjudicateur ne s'est pas fondé, pour retenir l'offre de la collectivité, sur un prix manifestement sous-estimé au regard de l'ensemble des coûts exposés et au vu des documents communiqués par la collectivité candidate.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'analyse des offres, que le prix de l'offre de la société Eveha était de 582 888 euros hors taxes tandis que celui de l'offre de l'INRAP s'élevait à 440 046,25 euros hors taxes, soit un montant inférieur de 24,4 %. Si la société Eveha fait valoir que le prix ainsi proposé par l'établissement public révèle que l'ensemble des coûts directs et indirects supportés pour l'exécution du marché n'a pas été pris en compte pour fixer ce prix, que les conditions de la concurrence ont été faussées et que le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations en ne procédant pas à la vérification des conditions de constitution de l'offre de prix de l'INRAP, cette irrégularité, qui a trait à l'application des règles de passation et de mise en concurrence, ne confère pas un contenu illicite au contrat, n'est la source d'aucun vice du consentement et n'entache celui-ci d'aucun autre vice d'une particulière gravité que le juge devrait relever d'office. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que le pouvoir adjudicateur ait entendu favoriser l'attributaire. Dès lors, le vice invoqué par la société Eveha n'est en tout état de cause pas de nature à entraîner l'annulation du marché attaqué. Enfin, il résulte de l'instruction que celui-ci a été entièrement exécuté et qu'il n'y a dès lors plus lieu de statuer sur son éventuelle résiliation.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'indemnisation :

6. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

7. En premier lieu, si, d'une part, le règlement de consultation du marché conditionnait l'attribution de celui-ci à une appréciation du pouvoir adjudicateur sur les critères du prix des prestations, pondéré à 70 % et de la valeur technique, pondéré à 30 % et si, d'autre part, la société Eveha a obtenu une note de 30 points sur 30 en ce qui concerne le critère de la valeur technique de son offre et a vu son offre classée en deuxième position de la compétition, il résulte de l'instruction que son offre était supérieure de 45 % à l'évaluation du coût du marché réalisée par le pouvoir adjudicateur. Il ne résulte pas par ailleurs de l'instruction que la réalisation des fouilles aurait revêtu un caractère d'urgence pour la réalisation de la zone d'aménagement concerté, ce dont témoignent le délai de validité des offres, fixé à deux cent quarante jours, et la faible durée d'exécution matérielle du marché sur les lieux. Il en résulte qu'indépendamment du bien-fondé de l'évaluation du pouvoir adjudicateur sur le prix du marché à conclure, la SPLA Pays d'Aix territoires aurait probablement, ainsi qu'elle le soutient, décidé de déclarer la procédure sans suite. Dès lors, la société Eveha ne peut être regardée comme ayant disposé de chances sérieuses d'emporter le marché et n'est dès lors, en tout état de cause, pas en droit de se voir indemnisée du manque à gagner qui résulterait d'un éventuel vice de la passation.

8. En deuxième lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que les frais d'avocat engagés dans le cadre des procédures de contestation des marchés ne peuvent être indemnisés au titre de la réparation des préjudices liés à l'éviction irrégulière de la procédure. La demande formulée par la société Eveha sur ce point doit par suite être rejetée.

9. Si, en troisième lieu, la requérante invoque un préjudice moral, elle n'établit pas que le rejet de son offre lui aurait causé un quelconque préjudice d'image ou de réputation. Il y a lieu, dès lors, en tout état de cause, de rejeter également cette demande.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Eveha doit être rejetée et qu'elle n'est dès lors par fondée à se plaindre que le jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 novembre 2018 ait rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la société Eveha sur leur fondement soit mise à la charge de la SPLA Pays d'Aix territoires et de l'INRAP, qui n'ont pas la qualité de parties perdantes dans la présente instance. Il n'y a lieu, par ailleurs, de faire droit aux conclusions présentées par la SPLA Pays d'Aix territoires et l'INRAP sur le fondement de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Eveha est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eveha, à la SPLA Pays d'Aix territoires et à l'INRAP.

Délibéré après l'audience du 21 décembre 2020, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- Mme G... H..., présidente assesseure,

- M. F... Grimaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 janvier 2021.

2

N° 19MA00013

MY


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA00013
Date de la décision : 11/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-005 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés. Formalités de publicité et de mise en concurrence.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : CABINET FIDAL

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-01-11;19ma00013 ?
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