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31/12/2020 | FRANCE | N°18MA03724

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 31 décembre 2020, 18MA03724


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Humago a, par deux recours distincts, demandé au tribunal administratif de Nice d'une part, à titre principal, d'annuler la décision du 18 décembre 2014 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 35 100 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 2 124 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue

l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Humago a, par deux recours distincts, demandé au tribunal administratif de Nice d'une part, à titre principal, d'annuler la décision du 18 décembre 2014 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de 35 100 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 2 124 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, à titre subsidiaire, de réduire le montant desdites contributions, d'autre part, à titre principal, d'annuler les titres de perception émis à son encontre le 11 mars 2015 par la direction départementale des finances publiques (DDFIP) des Alpes-Maritimes en vue du recouvrement de ces sommes ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé sur son recours gracieux formé contre ces actes et de la décharger en conséquence de l'obligation de payer ces sommes et, à titre subsidiaire, de réduire le montant de la contribution spéciale à 50 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail et de réduire le montant de la contribution forfaitaire.

Par un jugement n° 1502354, 1600063 du 19 juin 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté ces demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 2 août 2018, le 8 novembre 2018 et le 15 novembre 2018, la SCI Humago, représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 19 juin 2018 ;

2°) à titre principal, d'une part, d'annuler la décision du 18 décembre 2014 du directeur général de l'OFII, d'autre part, de la décharger de l'obligation de payer les sommes réclamées, ensuite, d'annuler les titres de perception émis à son encontre le 11 mars 2015 par la direction départementale des finances publiques des Alpes-Maritimes ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé sur son recours gracieux formé contre ces actes, enfin de lui accorder un dégrèvement de ces titres ;

3°) à titre subsidiaire, d'une part, de réduire le montant de la contribution spéciale à 50 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail et, d'autre part, de réduire le montant de la contribution forfaitaire ;

4°) de mettre à la charge de l'OFII la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la décision du 18 décembre 2014 du directeur général de l'OFII :

- la décision contestée est insuffisamment motivée ;

- en s'abstenant de lui communiquer le procèsverbal du 1er avril 2014, l'OFII l'a privée d'une garantie ;

- elle n'a pas la qualité d'employeur des deux salariés qui étaient présents sur le chantier ;

- elle n'était pas soumise aux obligations prévues par les articles L. 8254-1 et L. 8254-3 du code du travail et ne pouvait dès lors faire l'objet de sanction ;

- il y a lieu de réduire le montant de la contribution spéciale à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti dès lors que la réalité de la présence d'un second salarié sur le chantier n'est aucunement démontrée ;

- à tout le moins, il y a lieu de réduire ce montant à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dès lors que le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause ;

- la contribution forfaitaire doit être minorée dès lors que le salarié en cause a régularisé sa situation au regard du droit au séjour en France ;

S'agissant des titres de perception émis le 11 mars 2015 par la DDFIP des Alpes-Maritimes :

- ces titres de perception ont été incompétemment émis ;

- ils sont illégaux en raison de l'illégalité de la décision du 18 décembre 2014 du directeur général de l'OFII.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2018, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la SCI Humago la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Georges Guidal, président assesseur, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., substituant Me E..., représentant la SCI Humago.

Une note en délibéré présentée pour la SCI Humago a été enregistrée le 22 décembre 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Un contrôle opéré le 1er avril 2014 par les services de police sur le chantier d'une maison située 25 rue de la Fontaine à Vallauris appartenant à la SCI Humago a révélé la présence en action de travail de deux ouvriers démunis de titre les autorisant à séjourner et à travailler en France. Par décision du 18 décembre 2014, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a mis à la charge de la société la somme de 35 100 euros au titre de la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail et la somme de 2 124 euros au titre de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Des titres de perception ont été émis le 11 mars 2015 en vue du recouvrement de ces sommes. La SCI Humago relève appel du jugement du 19 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 18 décembre 2014 ainsi que des titres de perception du 11 mars 2015.

Sur la légalité de la décision du 18 décembre 2014 du directeur général de l'OFII :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, désormais repris à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui (...) infligent une sanction ". Aux termes de l'article 3 de cette loi, désormais repris à l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Il résulte de ces dispositions qu'une décision qui met à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui fondent cette sanction.

3. La décision contestée comporte l'indication du montant de la somme due à raison de l'emploi de deux salariés étrangers, la mention des textes applicables ainsi que de l'infraction commise, par référence à la lettre du 13 août 2014 par laquelle le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, en application de l'article R. 8253-3 du code du travail, a invité la SCI Humago à faire valoir ses observations sur la sanction envisagée. Cette lettre faisait mention d'un procès-verbal d'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail établi à la suite du contrôle dont la société a fait l'objet le 1er avril 2014 en raison de l'emploi de deux travailleurs démunis de titre les autorisant à travailler et indiquait que, en vertu de l'article R. 8253-2 du code du travail, le montant de la contribution spéciale est égal à 5 000 fois le taux horaire minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail en vigueur à la date de constatation de l'infraction, en précisant que cette contribution est due pour chaque étranger employé irrégulièrement. Elle indiquait également que ces deux travailleurs étaient dépourvus de titre autorisant leur séjour en France et précisait que le montant de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement est fixé conformément aux arrêtés du 5 décembre 2006 en fonction des zones géographiques dont est originaire l'étranger employé en situation de séjour irrégulier. Il résulte de l'instruction que la SCI Humago a effectivement pris connaissance des termes de cette lettre du 13 août 2014, à laquelle son gérant a répondu par courrier du 27 août 2014. Ainsi, et alors même que l'OFII, qui n'était pas tenu d'y procéder spontanément, ne lui a pas communiqué le procès-verbal du 1er avril 2014 qui détaillait les faits constatés ce jour-là sur les lieux du contrôle et qui faisait notamment état de la présence, dans l'immeuble lui appartenant, de deux travailleurs dont l'un a pris la fuite par les toits, et que la décision querellée du 18 décembre 2014 ne mentionne l'identité que d'un seul de ces des deux travailleurs, la société appelante a été mise à même de connaître et de comprendre les motifs de cette sanction.

4. En deuxième lieu, s'agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu'elle en fait la demande. D'ailleurs, l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration, entré en vigueur le 1err janvier 2016, précise désormais que les sanctions " n'interviennent qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant ".

5. Si les dispositions législatives et réglementaires relatives à la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail et à la contribution forfaitaire mentionnée à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoient pas expressément que le procès-verbal transmis au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en application de l'article L. 8271-17 du code du travail, constatant l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à exercer une activité salariée en France, soit communiqué au contrevenant, le silence de ces dispositions sur ce point ne saurait faire obstacle à cette communication, en particulier lorsque la personne visée en fait la demande, afin d'assurer le respect de la procédure contradictoire préalable à la liquidation de ces contributions, qui revêtent le caractère de sanctions administratives. Il appartient seulement à l'administration, le cas échéant, d'occulter ou de disjoindre, préalablement à la communication du procès-verbal, celles de ses mentions qui seraient étrangères à la constatation de l'infraction sanctionnée par la liquidation des contributions spéciale et forfaitaire et susceptibles de donner lieu à des poursuites pénales.

6. Ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, le directeur général de l'OFII a informé la SCI Humago par lettre du 13 août 2014 qu'un procès-verbal établissait qu'elle avait employé deux travailleurs démunis de titres de séjour et de titres les autorisant à exercer une activité salariée en France, qu'elle était donc susceptible de se voir appliquer la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail et la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'elle disposait d'un délai de quinze jours à compter de la réception de cette lettre pour faire valoir ses observations. La société appelante, qui n'allègue pas avoir demandé la communication de ce procès-verbal d'infraction du 1er avril 2014 auprès de l'OFII, a néanmoins été mise à même de le faire. Par suite, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce qu'en ne communiquant pas ce procès-verbal, le directeur général de l'OFII aurait privé la SCI Humago d'une garantie et aurait par conséquent entaché la procédure d'irrégularité ainsi que celui tiré de la méconnaissance des droits de la défense.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du même code : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger sans titre de travail, une contribution spéciale (...) ". Aux termes de l'article L. 8221-6 de ce code : " I. - Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription : / 1° Les personnes physiques immatriculées (...) au répertoire des métiers (...) ". Et selon l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. ".

8. D'une part, l'infraction aux dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail est constituée du seul fait de l'emploi de travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu les dispositions de l'article L 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. D'autre part, la qualification de contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont entendu donner à la convention qui les lie mais des seules conditions de fait dans lesquelles le travailleur exerce son activité. A cet égard, la qualité de salarié suppose nécessairement l'existence d'un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l'emploie, le contrat de travail ayant pour objet et pour effet de placer le travailleur sous la direction, la surveillance et l'autorité de son cocontractant, lequel dispose de la faculté de donner des ordres et des directives, de contrôler l'exécution dudit contrat et de sanctionner les manquements de son subordonné. Dès lors, pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie.

9. Par ailleurs, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les contributions qu'ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement.

10. Enfin, en principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative.

11. D'une part, il est constant que la SCI Humago a eu recours, pour la réalisation de travaux de pose de carrelage sur des escaliers dans l'immeuble dont elle est propriétaire, aux services de M. D.... Il résulte de l'instruction que l'intéressé, qui était présent sur le chantier lors du contrôle du 1er avril 2014, a indiqué lors de son audition par les services de police avoir dissimulé au gérant de la SCI Humago qu'il était en situation irrégulière au regard du droit au séjour en France et qu'il l'avait donc abusé en se présentant à lui comme ayant la qualité d'auto-entrepreneur. Ledit gérant a pour sa part indiqué aux services de police qu'il n'avait procédé à aucune vérification. A cet égard, la production dans l'instance par la société requérante d'un devis manuscrit établi par M. D... qu'elle a validé le 14 mars 2014 indiquant un montant de " 1 400 euros net ", ainsi que d'un extrait d'immatriculation au répertoire des métiers délivré le 9 janvier 2015 par la chambre des métiers et de l'artisanat des Alpes-Maritimes qui, s'il fait mention d'un début d'activité de M. D... au 5 janvier 2014, indique que l'immatriculation a été enregistrée le 31 décembre 2014, soit en tout état de cause postérieurement au contrôle du 1er avril 2014 et donc au début des travaux en cause, ne permet pas de faire regarder la relation de travail qu'elle a initiée avec cette personne comme relevant d'un contrat en vue de l'exécution d'un travail ou de la fourniture d'une prestation de services, la présomption, prévue à l'article L. 8221-6 précité, d'absence de lien par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité en cause ne pouvant en l'espèce être retenue dès lors que l'immatriculation de M. D... au répertoire des métiers n'était pas effective.

12. La circonstance selon laquelle, par jugement du 25 mai 2016, le tribunal correctionnel de Grasse a relaxé le gérant de la SCI Humago des poursuites de recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé engagées à son encontre est sans incidence sur la qualification juridique des faits de l'espèce par la Cour dès lors que ledit tribunal, dans les motifs de son jugement, a seulement estimé " qu'il ressort des éléments du dossier et des débats qu'il convient de relaxer des fins de la poursuite " l'intéressé, sans mentionner expressément les constatations de fait qu'il a entendu retenir pour prononcer cette relaxe. En tout état de cause, ce jugement se prononce sur des faits de recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé au sens des articles L. 8221-1 et suivants du code du travail qui sont distincts des faits d'emploi d'un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France proscrits par l'article L. 8251-1 du même code. La société appelante ne peut davantage utilement se prévaloir de ce que M. D... a régularisé sa situation au regard du droit au séjour en France dès lors que la délivrance à l'intéressé le 4 novembre 2014 d'un titre de séjour d'une durée de validité d'un an est intervenue postérieurement aux faits reprochés.

13. Dans ces conditions, à défaut d'éléments contraires, M. D..., qui était présent sur le chantier lors de ce contrôle du 1er avril 2014, est réputé avoir exécuté un travail sous l'autorité et selon les directives du gérant de la SCI Humago, qui en contrôlait l'exécution. La société requérante doit ainsi être regardée comme étant l'employeur, au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail, de ce travailleur. C'est dès lors à bon droit que le directeur général de l'OFII lui a appliqué la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du même code pour l'emploi de cette personne.

14. D'autre part, il ressort des énonciations du procès-verbal établi par les services de police à la suite du contrôle du 1er avril 2014, lequel fait foi jusqu'à preuve contraire, qu'un deuxième travailleur a été vu en situation de travail sur le chantier de l'immeuble en cause et qu'il s'est enfui par les toits, empêchant son identification. Questionné sur place par les policiers à propos de la présence de cet individu, M. D... a déclaré que celui-ci oeuvrait à l'étage de l'immeuble, sur des tâches distinctes, a indiqué qu'il ne le connaissait pas, en précisant qu'il était tunisien. Il résulte par ailleurs de l'instruction, particulièrement des procès-verbaux d'audition établis dans le cadre de l'instruction du dossier par les services de police, que le gérant de la société NIM peinture, à qui la SCI Humago avait confié de petits travaux de maçonnerie précisément à l'étage où oeuvrait l'individu en question et qui, habituellement, intervenait personnellement sur le chantier, a déclaré, alors que les policiers lui indiquaient que cette personne avait laissé une gâche pleine de ciment frais, tout ignorer de sa présence en ces lieux ce jour-là, précisant qu'il était lui-même, ainsi que son unique employé, occupé sur un autre chantier. Pour sa part, le gérant de la SCI Humago, qui est en tout état de cause responsable du chantier en cause, n'apporte aucun élément de nature à contrarier les constatations effectuées lors du contrôle du 1er avril 2014.

15. Toutefois, il ne ressort aucunement de ces constatations que l'individu qui a pris la fuite serait effectivement en situation irrégulière, ni même, au demeurant qu'il serait de nationalité étrangère dès lors qu'il n'a pu être identifié. En conséquence, la société appelante est fondée à soutenir que c'est à tort que le directeur général de l'OFII lui a appliqué la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail pour l'emploi de cette personne. L'OFII n'était pas davantage fondée à lui appliquer la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

16. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 8254-1 du code du travail : " Toute personne vérifie, lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution de ce contrat, que son cocontractant s'acquitte de ses obligations au regard des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1. ". Aux termes de l'article L. 8254-3 du même code : " Le particulier qui conclut pour son usage personnel, celui de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, de ses ascendants ou descendants un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum est soumis aux dispositions des articles L. 8254-1 et L. 8254-2, lors de la conclusion de ce contrat. ". Et selon l'article D. 8254-1 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " Les vérifications à la charge de la personne qui conclut un contrat, prévues aux articles L. 8254-1 et L. 8254-3, sont obligatoires pour toute opération d'un montant au moins égal à 3 000 euros. ".

17. Si la SCI Humago soutient que, dès lors que les devis établis par M. D... et par la société NIM peinture étaient respectivement d'un montant inférieur à celui fixé à l'article D. 8254-1 du code du travail, elle ne pouvait faire l'objet de sanction dans la mesure où elle n'était pas soumise aux obligations prévues par les articles L. 8254-1 et L. 8254-3 du code du travail précités, il résulte de ce qui a été dit aux points 11 et 12 ci-dessus, particulièrement du fait qu'alors que le devis remis par M. D... apparaissait particulièrement sommaire, son gérant n'a pas même envisagé de questionner l'intéressé sur la réalité du statut d'auto-entrepreneur dont il se prévalait, que la relation de travail qu'elle a instaurée avec lui doit être regardée comme une relation de nature salariale. Par suite, et alors même qu'elle a été trompée par l'intéressé s'agissant de ce prétendu statut, la société appelante ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 8254-1 du code du travail, lesquelles ne trouvent à s'appliquer que dans le cadre de relations contractuelles de type non-salariales, ni en tout état de cause celles de l'article L. 8254-3, applicables aux seuls particuliers.

18. En cinquième lieu, aux termes de l'article R. 8253-2 du code du travail : " " I.- Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. / II.- Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : / 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 ; / 2° Lorsque l'employeur s'est acquitté des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7. / III.- Dans l'hypothèse mentionnée au 2° du II, le montant de la contribution spéciale est réduit à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne l'emploi que d'un seul étranger sans titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ".

19. La SCI Humago, qui n'établit ni même n'allègue qu'elle se serait acquittée des salaires et indemnités mentionnés à l'article L. 8252-2 du code du travail dans les conditions prévues par les articles R. 8252-6 et R. 8252-7 au bénéfice de M. D..., condition nécessaire à l'éventuelle réduction du montant de la contribution spéciale à 1 000 fois le taux horaire du minimum garanti tel que prévu au III de l'article R. 8253-2 précité, n'est pas fondée à demander cette réduction.

20. La société appelante n'est pas davantage fondée à demander la réduction du montant de la contribution spéciale à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti tel que prévu au 1° du II de cet article R. 8253-2 dès lors qu'il ressort des énonciations du procès-verbal établi à la suite du contrôle du 1er avril 2014 qu'outre l'emploi de personnes dépourvues de titre les autorisant à travailler en France, il est constaté que ces personnes n'étaient pas déclarées, autrement dit, que la société n'a pas procédé aux déclarations préalables à l'embauche, ce qui constitue une infraction autre que celle commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1.

Sur la légalité des titres de perception émis le 11 mars 2015 :

21. Aux termes de l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de l'infraction : " (...) l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte une contribution spéciale (...). / L'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de constater et de liquider cette contribution. / Elle est recouvrée par l'Etat comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine. (...) ". Aux termes de l'article R. 5223-24 de ce code, relatif à l'organisation de l'Office français de l'immigration et de l'intégration : " Le directeur général est ordonnateur secondaire à vocation nationale pour l'émission des titres de perception relatifs à la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 (...) ". L'article R. 8253-4 du même code dispose : " A l'expiration du délai fixé, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration décide, au vu des observations éventuelles de l'employeur, de l'application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1, la liquide et émet le titre de perception correspondant. / La créance est recouvrée par le comptable public compétent comme en matière de créances étrangères à l'impôt et au domaine ". Aux termes de l'article 11 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Les ordonnateurs constatent les droits et les obligations, liquident les recettes et émettent les ordres de recouvrer. / Ils transmettent au comptable public compétent les ordres de recouvrer (...) ". Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 8253-1, R. 5223-24 et R. 8253-4 du code du travail que si les services de l'Etat assurent, pour le compte de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, le recouvrement des créances afférentes à la contribution spéciale due par l'employeur d'un travailleur étranger non autorisé à travailler, il n'appartient qu'au directeur général de l'Office, après avoir constaté et liquidé la contribution, d'émettre le titre de perception correspondant qui est ensuite transmis, conformément à l'article 11 du décret du 7 novembre 2012, au comptable public chargé du recouvrement.

22. Pour soutenir que les titres de perception ont été compétemment émis, l'OFII se prévaut d'une convention de délégation de gestion de l'ordonnancement des contributions spéciale et forfaitaire qui lui sont dues conclue le 11 février 2013 entre cet établissement public et le directeur de l'évaluation, de la performance, et des affaires financières et immobilières du ministère de l'intérieur. Il ressort toutefois des visas de cette convention qu'elle est fondée sur les dispositions du décret du 14 octobre 2004 relatif à la délégation de gestion dans les services de l'Etat, qui n'est pas applicable aux établissements publics tel que l'OFII. Cette convention étant ainsi dépourvue de base légale, la personne désignée sur ces titres comme étant l'ordonnateur, soit M. B..., s'il bénéficiait certes d'une délégation de signature consentie par le directeur de l'évaluation, de la performance, et des affaires financières et immobilières, ne pouvait compétemment émettre lesdits titres en place du directeur général de l'Office.

23. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 11 ci-dessus, le titre de perception concernant la contribution spéciale est dépourvu de base légale en tant qu'il concerne la personne qui a pris la fuite et n'a pu être identifiée. Il doit, dès lors, être annulé dans cette mesure, ce qui entraîne la décharge de l'obligation de payer la somme correspondante.

Sur les conclusions tendant à la réduction du montant de la contribution spéciale à 50 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12 du code du travail :

24. La SCI Humago n'articule aucun moyen au soutien de ces conclusions. Il y a lieu, dès lors, de les rejeter.

25. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que la SCI Humago est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 décembre 2014 du directeur général de l'OFII en tant qu'elle lui applique la contribution spéciale pour le travailleur non identifié pour un montant de 17 550 euros et qu'elle mentionne, au titre de la contribution forfaitaire, la personne identifiée " xxxx xxxxx ", et à l'annulation des titres de perception émis le 11 mars 2015.

Sur les frais liés au litige :

26. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge la SCI Humago, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'Office français de l'immigration et de l'intégration demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, partie perdante à titre principal, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SCI Humago et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La décision du 18 décembre 2014 du directeur général de l'OFII est annulée en tant qu'elle applique à la SCI Humago la contribution spéciale pour le travailleur non identifié pour un montant de 17 550 euros et qu'elle mentionne, au titre de contribution forfaitaire, la personne identifiée " xxxx xxxxx ".

Article 2 : Les titres de perception émis le 11 mars 2015 et la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre ces actes sont annulés.

Article 3 : La SCI Humago est déchargée de l'obligation de payer la somme de 17 550 euros.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 19 juin 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la SCI Humago est rejeté.

Article 6 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera à la SCI Humago une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Les conclusions présentées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Humago et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 18 décembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Guidal, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Coutier, premier conseiller,

- Mme F..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 décembre 2020.

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N° 18MA03724

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA03724
Date de la décision : 31/12/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-06-02-02 Étrangers. Emploi des étrangers. Mesures individuelles. Contribution spéciale due à raison de l'emploi irrégulier d'un travailleur étranger.


Composition du Tribunal
Président : M. GUIDAL
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : RICHARDIER

Origine de la décision
Date de l'import : 27/01/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-12-31;18ma03724 ?
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