Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales (FRENE 66) et M. B... E... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 3 février 2015 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales a accordé à la société Provençale SA une dérogation aux interdictions de destruction d'espèces de flore et de faune sauvages protégées, dans le cadre de la réouverture de la carrière Nau Bouques sur le territoire des communes de Vingrau et Tautavel.
Par un jugement n° 1502035 du 3 mai 2016, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté précité du 3 février 2015.
Par un recours, enregistré le 4 juillet 2016 sous le numéro 16MA02625, le ministre de la transition écologique a demandé à la cour d'annuler le jugement du 3 mai 2016 du tribunal administratif de Montpellier et de rejeter la demande présentée par la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et M. E....
Par un arrêt n° 16MA02625 du 14 septembre 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté la requête du ministre de la transition écologique et solidaire.
Par un pourvoi n°425425 enregistré le 15 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique a demandé au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 14 septembre 2018 de la cour administrative d'appel de Marseille.
Par une décision n° 425395, 425399, 425425 du 3 juin 2020, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 14 septembre 2018 de la cour administrative d'appel de Marseille et renvoyé l'affaire devant la cour.
Procédure devant la Cour :
Par le recours et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 juillet 2016 et 15 septembre 2020 sous le numéro 16MA02625 devenu 20MA01977, le ministre de la transition écologique demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 mai 2016 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de rejeter la demande présentée par la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et M. E....
Le ministre soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- ce jugement est entaché d'une erreur de droit pour avoir omis de procéder à une mise en balance entre, d'une part, l'intérêt public du projet d'extension de la carrière et, d'autre part, l'objectif de conservation des espèces protégées ;
- il existe une raison impérative d'intérêt public majeur au sens des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.
Par un mémoire enregistré le 19 décembre 2016, la société Provençale SA conclut à l'annulation du jugement du 3 mai 2016 du tribunal administratif de Montpellier, au rejet des demandes présentées par la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et M. E... et à ce que soit mise à leur charge la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le projet d'exploitation de la carrière de Nau Bouques présente un intérêt économique majeur ;
- il n'existe aucune autre solution alternative permettant l'exploitation de gisement de calcaire présentant les mêmes caractéristiques de blancheur et de pureté.
Par des mémoires en défense enregistrés les 19 décembre 2016 et 18 septembre 2020, la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et M. E..., représentés par le cabinet Busson, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge solidaire de l'Etat et de la société Provençale SA d'une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- l'association au regard de son objet social et M. E..., habitant de la commune de Vingrau, ont intérêt à agir dans le cadre du présent litige ;
- les moyens soulevés par le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer ne sont pas fondés ;
- ils s'en rapportent à l'ensemble de leurs écritures produites en première instance quant à l'illégalité de l'arrêté du 3 février 2015.
Le mémoire présenté pour la société Provençale SA le 30 novembre 2020, après clôture de l'instruction intervenue par ordonnance du 8 octobre 2020, n'a pas été communiqué.
Les parties ont été informées, en application de dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par la société Provençale SA.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive n° 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Giocanti, rapporteur public,
- et les observations de M. D... représentant le ministre de la transition écologique, celles de Mme C... représentant la société La Provençale SA, et celles de M. E....
Une note en délibéré présentée par le ministre de la transition écologique a été enregistré le 10 décembre 2020.
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 3 février 2015, le préfet des Pyrénées-Orientales a délivré à la société Provençale SA une dérogation aux interdictions de destruction d'espèces de flore et de faune sauvages protégées pour l'exploitation de la carrière Nau Bouques à Vingrau et Tautavel. Le ministre de la transition écologique relève appel du jugement du 3 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a annulé cet arrêté.
Sur la recevabilité des conclusions de la société Provençale SA :
2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. ".
3. La société Provençale SA a produit un mémoire dans lequel elle conclut à l'annulation du jugement attaqué. Ce mémoire ne peut cependant être considéré comme une requête d'appel recevable, dès lors qu'il n'a été enregistré au greffe de la Cour qu'après l'expiration du délai d'appel. La circonstance que ce mémoire a été produit en réponse à la communication du recours par le greffe de la Cour pour d'éventuelles observations n'a pas davantage pour effet de conférer à la société Provençale SA la qualité de partie à l'instance d'appel. Enfin, une intervention au soutien du recours du ministre présentée par la société Provençale SA, qui avait la qualité de défendeur en première instance, ne peut davantage être admise. Il suit de là que la société Provençale SA ne peut avoir d'autre qualité dans l'instance que celle d'observatrice. A ce titre, si elle peut faire valoir tout éclaircissement de fait et de droit dans le cadre du débat contentieux tel qu'il est délimité par les conclusions et les moyens des parties, elle n'est, en revanche, pas recevable à présenter des conclusions ou des moyens qui lui soient propres.
Sur la régularité du jugement :
4. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
5. Le jugement attaqué expose que le projet de création d'une carrière, nonobstant son intérêt économique et social prévoyant la création de quatre-vingt emplois et un volume annuel de 145 000 tonnes de calcaire blanc, ne saurait, par ses caractéristiques et sa nature, eu égard notamment à la portée très locale de l'intérêt économique avancé, être regardé comme constituant une raison impérative d'intérêt public majeur au sens des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à chacun des arguments, ont suffisamment motivé leur jugement sur ce point. La justesse de ce raisonnement relève non pas de la régularité du jugement mais du bien-fondé de ce dernier.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. Le tribunal administratif de Montpellier a annulé l'arrêté du 3 février 2015 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales a délivré à la société Provençale SA une dérogation aux interdictions de destruction d'espèces de flore et de faune sauvages protégées pour l'exploitation de la carrière Nau Bouques à Vingrau et Tautavel, d'une part, pour le motif tiré de l'absence de raison impérative d'intérêt public majeur, et d'autre part, pour le motif tiré de l'absence de preuve de l'inexistence de site alternatif satisfaisant.
7. L'article L. 411-1 du code de l'environnement prévoit, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d'espèces animales non domestiques, l'interdiction de " 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...). " Le I de l'article L. 411-2 du même code renvoie à un décret en Conseil d'Etat la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment : " 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; (...). "
8. Il résulte de ces dispositions qu'un projet de travaux, d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leur habitat ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, tels que notamment le projet urbain dans lequel il s'inscrit, à une raison impérative d'intérêt public majeur. En présence d'un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
9. En premier lieu, par son arrêt précité du 3 juin 2020, le Conseil d'Etat a considéré que le projet en litige répondait à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens du c) du 4° de l'article L. 411-2 I du code de l'environnement.
10. En second lieu et toutefois, le ministre ne critique pas, dans sa requête et son mémoire complémentaire d'appel, ni dans ses écritures devant le Conseil d'Etat, le second motif d'annulation retenu par le tribunal administratif, relatif à l'absence de preuve de l'inexistence de site alternatif satisfaisant.
11. Dans ces conditions, la requête du ministre de la transition écologique tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Montpellier ne peut qu'être rejetée.
Sur les frais exposés dans l'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser globalement à la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et M. E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
13. La société Provençale SA, observatrice à l'instance, n'a pas qualité de partie. Par suite, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le recours du ministre de la transition écologique est rejeté.
Article 2 : Le ministre de la transition écologique versera la somme globale de 2 000 euros à la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et à M. E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Provençale SA sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique, à la Fédération pour les espaces naturels et l'environnement des Pyrénées-Orientales et à M. B... E....
Copie en sera adressée à la société Provençale SA et au préfet des Pyrénées-Orientales.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2020 où siégeaient :
-M. Poujade, président,
- M. Portail, président assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2020
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N° 20MA01977
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