Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. F... et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à leur verser la somme de 615 000 euros au titre du préjudice financier résultant de la perte de valeur vénale de leur propriété causée par le projet de création d'une ligne ferroviaire à grande vitesse et la somme de 50 000 euros au titre de leur préjudice moral à raison de l'anxiété liée à la dépréciation anormale de leur bien immobilier.
Par jugement n° 1601919 du 21 février 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 avril et 3 décembre 2019,
M. H... et Mme E... C..., représentés par Me B..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 février 2019 du tribunal administratif de Toulon ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme globale de 665 000 euros au titre des préjudices financier et moral résultant de la perte de valeur vénale de sa propriété causée par le projet de création d'une ligne ferroviaire à grande vitesse.
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est irrégulier faute d'avoir joint les deux requêtes indemnitaires qui ont respectivement été présentées contre l'Etat et contre SNCF Réseau ;
- le jugement ne répond pas à l'ensemble des arguments présentés ;
- leur maison était située au milieu des fuseaux C2 et C4 de la ligne à grande vitesse (LGV) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur parmi d'autres options de tracé, notamment le C5, présentés lors d'une réunion de concertation publique ; le fuseau C4 a été retenu le
26 décembre 2011 par le comité de pilotage comme lieu de passage du tracé du train rapide ; cette situation a eu pour effet de dévaloriser le bien qu'ils n'ont pas réussi à céder malgré plusieurs baisses de prix, car le tracé de la LGV n'a jamais été avalisé officiellement ; cette incertitude a entrainé une désaffection des acquéreurs potentiels pour leur maison ;
- l'Etat a fait preuve d'une carence fautive en laissant circuler des documents confidentiels et internes de SNCF Réseau qui ont pu être portés à la connaissance du public et qui leur ont porté préjudice par une impossibilité de vendre sa maison à son juste prix ; l'Etat est également fautif en raison du retard dans l'avancement du projet de ligne à grande vitesse et du fait de n'avoir pas mis en place des mesures conservatoires envers les propriétaires d'immeubles concernés par le tracé envisagé ;
- les indemnités sollicitées de 615 000 euros et de 50 000 euros sont justifiées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2019, la ministre de la transition écologique et solidaire conclu au rejet de la requête.
Elle soutient à titre principal que la requête est irrecevable faute de présenter des moyens juridiques, et au surplus, que les moyens des requérants sont infondés.
Une ordonnance du 5 juin 2020 a clos l'instruction au 5 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. D...,
- et les observations de Me B..., représentant M. F... et Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. M. F... et Mme C... ont acquis en 2006 une maison d'habitation située dans la commune du Beausset pour un montant de 875 000 euros. Ils exposent avoir cherché à revendre ce bien dès 2010 au prix de 1 200 000 euros, en raison de leur situation financière dégradée. Cette intention aurait, selon eux, été contrariée par le projet de construction de la ligne à grande vitesse (LGV) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) prévue à proximité de leur propriété, ce qui a entraîné une perte significative de la valeur de leur bien immobilier. Sur demande d'un créancier bancaire, ce bien a finalement été cédé au terme d'une procédure de saisie immobilière par adjudication le 9 octobre 2014, au prix de 350 000 euros.
M. F... et Mme C... relèvent appel du jugement n° 1601919 du 21 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur requête tendant à faire condamner l'Etat à leur verser une somme de 615 000 euros au titre du préjudice matériel et financier, ainsi qu'une somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral, qu'ils estiment avoir subis à raison de la dépréciation anormale de leur bien immobilier résultant du comportement fautif des services de l'Etat.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La faculté de joindre plusieurs requêtes constitue un pouvoir propre du juge. Par suite, le moyen tiré de ce que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas joint les requêtes indemnitaires respectivement présentées contre l'Etat et contre SNCF Réseau, est inopérant.
3. Le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments présentés par les requérants, a répondu par une motivation suffisante au moyen tiré de la carence fautive de l'Etat.
Sur le principe de la responsabilité :
4. M. F... et Mme C... se prévalent de ce qu'ils estiment être des fautes commises par l'Etat, de nature à engager la responsabilité de la puissance publique.
5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. F... et Mme C... ont acquis un bien immobilier le 7 août 2006, postérieurement à l'engagement du projet de LGV dont l'élaboration est envisagée dès les années 1990 par l'Etat, dont la mise en oeuvre a débuté en 2004, et qui a donné lieu à un débat public qui s'est tenu du 21 février 2005 au 8 juillet 2005, dont le bilan a été publié le 20 juillet 2005. Eu égard au retentissement de cette opération dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, les requérants ne peuvent raisonnablement pas soutenir qu'ils n'étaient pas informés de cette opération de très vaste portée. Dès lors que les intéressés avaient une connaissance antérieure de l'éventualité que la ligne passe par la commune du Beausset, et plus précisément à travers les différentes hypothèses de tracé, d'empiéter sur leur propriété, ils doivent être regardés comme ayant été alertés de l'existence de ce risque et comme l'ayant accepté.
6. En deuxième lieu, et d'une part, les requérants font valoir que la responsabilité de l'Etat serait engagée au motif qu'il ne s'est pas opposé à la diffusion d'un document confidentiel de Réseau Ferré de France sur le projet de la LGV intitulé " C 40 " et mis en ligne, ainsi qu'à des mesures de publicité de cette opération, qui ont contribué à accroître sa connaissance par le public, et par suite, à dévaloriser la valeur de leur bien immobilier, ce qui aurait eu pour effet de dissuader des acheteurs potentiels de leur bien. Toutefois, aucune disposition législative ou réglementaire ne permet à l'Etat de s'opposer à la diffusion de documents par SNCF Réseau. Par ailleurs, il est constant que cette opération a fait l'objet d'une large communication officielle et médiatique, et que, comme l'indiquent les intéressés eux-mêmes, de nombreuses manifestations d'opposition à ce projet en ont encore renforcé sa médiatisation. Ensuite, aucune des pièces du dossier ne démontre que le tracé devait nécessairement passer près de la propriété des requérants jusqu'au 26 décembre 2011, date à laquelle le comité de pilotage validait le tracé par le fuseau C4 passant par leur propriété, décision qui a été rendue publique. Enfin, le document " C 40 " qui est un document préparatoire de travail de l'équipe porteuse du projet et dont les requérants ont parlé avec un responsable de l'établissement public, ne peut constituer à lui seul, au stade de sa diffusion, la preuve d'un manquement de l'Etat, alors qu'il ne constituait qu'une hypothèse de tracé, qui en tout état de cause doit être par la suite accepté par l'Etat. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de l'Etat pour une faute au titre d'une méconnaissance des règles de confidentialité lors de l'élaboration du projet de LGV.
7. D'autre part, les requérants font valoir que c'est à tort que l'Etat n'a pas financé des mesures conservatoires destinées à préserver la valeur du foncier touché par ce projet, ou à procéder à de justes et préalables indemnisations pour expropriation, et à tout le moins n'a pas engagé des mesures de protection vis-à-vis des administrés, comme ceux affectés par une procédure de saisie immobilière. Toutefois, alors que l'Etat n'a aucune obligation de préserver les droits des propriétaires fonciers à l'occasion de l'engagement des études préalables à une opération d'utilité publique, ni plus généralement de compenser les effets de l'annonce d'un projet d'intérêt général, en tout état de cause, le projet en cause n'ayant reçu aucun commencement d'exécution, ils n'établissent pas la carence fautive de l'Etat à prendre l'ensemble de mesures qu'ils énoncent, dont d'ailleurs ils ne précisent pas le fondement légal ou réglementaire. Il en va de même dans la tardiveté qu'ils reprochent à l'Etat à mettre en place un " observatoire du foncier " en 2015, année postérieure à la vente forcée du bien immobilier. Ainsi, M. F... et Mme C... ne démontrent pas l'existence de comportements fautifs de l'Etat. Par suite, ils ne sont pas fondés à demander à l'Etat l'indemnisation des préjudices matériels et moraux résultant de la perte de valeur vénale de leur propriété.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l'Etat tirée du défaut de présentation de moyens permettant de déterminer le fondement juridique de la demande, que M. F... et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur requête.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. F... et de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G..., à Mme E... C... et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera adressée au préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
N° 19MA01679 2