Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... E... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi en raison du préjudice de carrière, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis en raison de la discrimination liée à son état de santé et à son handicap et, notamment, des affectations illégales qui l'ont empêché d'exercer effectivement ses fonctions pendant quatre années.
Par un jugement n° 1404348 du 9 janvier 2017, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à lui payer la somme de 1 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Par un arrêt n° 17MA00978 du 10 juillet 2018, la Cour a porté le montant de la condamnation au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence à 8 000 euros, a réformé le jugement du tribunal administratif de Marseille du 9 janvier 2017 en ce qu'il avait de contraire à son arrêt, a rejeté le surplus des conclusions de M. E... et a mis une somme de 2 000 euros à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une décision du 20 décembre 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par M. E..., annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 10 juillet 2018 en tant qu'il statue sur le préjudice de carrière de M. E... et sur les conclusions présentées par celui-ci au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a renvoyé l'affaire devant la même Cour dans la limite de la cassation ainsi prononcée.
Procédure devant la Cour après la reprise d'instance :
Par des mémoires enregistrés le 6 février 2020 et le 17 avril 2020, M. E..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation au titre du préjudice de carrière ;
2°) à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 130 663,31 euros en réparation de ce préjudice ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 149 044,29 euros en réparation de ce préjudice ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il a perdu une chance d'être intégré dans le corps des maîtres de conférences ;
- il a perdu une chance de bénéficier d'un avancement d'échelon et d'une promotion de grade plus rapide dans le corps des professeurs des écoles ;
- il a perdu une chance d'être réintégré dans des fonctions similaires à celles qu'il occupait auparavant et de percevoir une rémunération supérieure.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mars 2020, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête d'appel est irrecevable en ce que le montant de la condamnation qu'elle sollicite excède le montant de la somme demandée en première instance ;
- le requérant n'est pas fondé à demander la réparation des préjudices autres que le préjudice de carrière dès lors que le premier arrêt de la Cour est définitif sur ce point ;
- les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 90-680 du 1er août 1990 ;
- le décret n° 2005-1090 du 1er septembre 2005 ;
- le décret n° 2017-786 du 5 mai 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... Grimaud, rapporteur ;
- et les conclusions de M. A... Thielé, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., titularisé en qualité d'instituteur le 1er juillet 1979, a été intégré dans le corps des professeurs des écoles le 1er septembre 2002. Atteint d'une maladie invalidante qui l'a mis dans l'incapacité d'exercer une activité professionnelle de 2003 à 2008, il a repris son activité en occupant un poste adapté à compter du 14 février 2008. Le comité médical départemental l'a estimé apte à reprendre ses fonctions statutaires à compter du 1er septembre 2010. Le requérant n'a toutefois reçu que des affectations pour ordre entre le 1er septembre 2010 et le 31 août 2014 et a par suite demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à l'indemniser des divers préjudices qu'il estime avoir subis en raison de ce que ces affectations illégales l'ont empêché d'exercer effectivement ses fonctions pendant quatre années. Le tribunal, ainsi que la cour administrative d'appel de Marseille au terme de son arrêt du 10 juillet 2018, ont estimé que M. E... n'avait pas subi de préjudice de carrière. Par une décision du 20 décembre 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a prononcé la cassation de cet arrêt en ce qu'il a statué sur le préjudice de carrière dont M. E... demandait réparation ainsi que sur ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a renvoyé l'examen des conclusions de celui-ci à la Cour dans cette mesure.
Sur le préjudice de carrière invoqué par M. E... :
2. En premier lieu, le préjudice de carrière invoqué par le requérant résulte, selon le premier arrêt de la Cour, devenu définitif sur ce point, de la faute ayant consisté à le priver d'affectation effective entre le 1er septembre 2010 et le 31 août 2014. Il en résulte que M. E... n'est en tout état de cause fondé à demander la réparation de son préjudice de carrière qu'à compter du 1er septembre 2010. La demande de M. E... tendant à l'indemnisation des conséquences financières de son évolution de carrière entre 2003 et le 1er septembre 2010 doit donc en tout état de cause être rejetée.
3. Il résulte en deuxième lieu de l'instruction que l'arrêt de la Cour du 10 juillet 2018 a, en son point 9, rejeté la demande par laquelle M. E... demandait l'indemnisation du préjudice résultant de l'entrave à son éventuelle carrière de maître de conférences et que ce point n'a pas été contesté par M. E... dans son pourvoi, qui n'a pas davantage été admis en ce qui concerne ce chef de préjudice. L'arrêt du 10 juillet 2018 étant dès lors définitif sur ce point, il n'y a pas lieu d'examiner cette demande.
4. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article 24 du décret du 1er août 1990 relatif au statut particulier des professeurs des écoles, dans leur rédaction applicable au cours des années 2010 à 2014 : " L'avancement d'échelon des professeurs des écoles de classe normale a lieu partie au grand choix, partie au choix, partie à l'ancienneté. / L'avancement d'échelon des professeurs des écoles de classe normale prend effet du jour où les intéressés remplissent les conditions fixées au tableau ci-dessous : du 9è au 10è / grand choix : 3 ans / choix : 4 ans / ancienneté : 5 ans / Du 10è au 11è / grand choix : 3 ans / choix : 4 ans 6 mois / ancienneté : 5 ans 6 mois / Les intéressés sont promus au grand choix ou au choix après inscription sur une liste établie dans chaque département pour chaque année scolaire ". Par ailleurs, en vertu des dispositions de l'article 25 de ce même décret, dans leur rédaction alors applicable : " Les professeurs des écoles peuvent être promus professeurs des écoles hors classe lorsqu'ils ont atteint au moins le 7e échelon de la classe normale. / Le nombre maximum de professeurs des écoles pouvant être promus chaque année à la hors-classe est déterminé conformément aux dispositions du décret n° 2005-1090 du 1er septembre 2005 relatif à l'avancement de grade dans les corps des administrations de l'Etat (...) ". En vertu des dispositions de l'article 26 de ce décret, dans sa rédaction applicable à la période en cause : " L'avancement d'échelon des professeurs des écoles hors classe prend effet du jour où les intéressés remplissent les conditions fixées au tableau ci-dessous : (...) / Du 5è au 6è : 3 ans / du 6è au 7è : 3 ans ". Enfin, en vertu des dispositions de l'article 139 du décret n° 2017-786 du 5 mai 2017 modifiant divers décrets portant statut particulier des personnels enseignants et d'éducation du ministère chargé de l'éducation nationale : " Au 1er septembre 2017, les fonctionnaires appartenant au corps des professeurs des écoles régi par le décret du 1er août 1990 susvisé, dans sa rédaction antérieure au présent décret, et les agents détachés dans ce corps sont reclassés dans ce même corps conformément au tableau de correspondance suivant : Situation d'origine / professeur des écoles hors classe : 6è échelon / Nouvelle situation : 5è échelon (...) ".
5. D'une part, il résulte de l'instruction que M. E..., promu au dixième échelon du grade de professeur des écoles de classe normale le 1er janvier 2009, a été nommé au onzième échelon de son grade le 1er janvier 2012, puis promu professeur des écoles hors classe le 1er septembre 2013. Reclassé à cette date au cinquième échelon de la hors classe du grade de professeur des écoles, il a été promu le 1er janvier 2015 au sixième échelon de cette classe. Il en résulte que M. E... a bénéficié, entre le 1er septembre 2010 et le 1er septembre 2013, de la progression d'échelon la plus rapide parmi celles prévues par le statut particulier de son corps. S'il a ensuite bénéficié entre le cinquième et le sixième échelon de la hors classe de son grade d'une promotion à l'ancienneté, seule celle-ci était possible en vertu des dispositions de l'article 27 du décret du 1er août 1990, et cet avancement d'échelon, qui a pris effet un an et quatre mois après sa nomination au cinquième échelon de la hors classe, lui a été accordé au terme de la durée prévue par ces dispositions compte tenu de l'ancienneté de un an et huit mois conservée dans l'échelon lors du reclassement consécutif à sa promotion à la hors classe du grade de professeur des écoles. Le requérant n'a donc perdu aucune chance de bénéficier d'une promotion d'échelon plus rapide.
6. D'autre part, il résulte de l'instruction que M. E..., instituteur intégré dans le corps des professeurs des écoles le 1er septembre 2002 et intégré à cette date dans la classe normale de ce grade, a été promu à la hors classe du grade de professeur des écoles le 1er septembre 2013, soit onze ans après son intégration dans le corps des professeurs des écoles et alors qu'il ne disposait que de un an et huit mois d'ancienneté dans le onzième échelon de la classe normale. Si le requérant fait à juste titre valoir qu'il lui était statutairement possible d'être promu à la hors classe dès son intégration dans le corps des professeurs des écoles eu égard à son reclassement immédiat au 7ème échelon, il ne résulte en revanche pas de l'instruction que sa promotion à la hors classe aurait été pénalisée par l'absence d'affectation autre que pour ordre entre le 1er septembre 2010 et le 1er septembre 2013 et, en particulier, qu'elle aurait été moins rapide que celle à laquelle il aurait pu prétendre en vertu des impératifs de gestion de son corps ayant cours à cette date, et notamment de la proportion maximale de professeurs des écoles pouvant être promus chaque année à la hors classe en vertu des dispositions du décret du 1er septembre 2005 relatif à l'avancement de grade dans les corps des administrations de l'Etat, s'il avait été pourvu des fonctions auxquelles il aspirait. Dans ces conditions, M. E..., qui n'apporte au demeurant aux débats aucun indice ou élément susceptible de révéler que sa promotion aurait subi un retard, n'a perdu aucune chance d'être promu plus rapidement à la hors classe du grade de professeur de classe.
7. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que sa carrière dans le corps des professeurs des écoles aurait subi une entrave ou qu'il aurait perdu une chance quelconque de bénéficier d'un avancement plus rapide, du fait de l'absence d'affectation à un emploi en rapport avec son handicap et ses qualifications.
8. En dernier lieu, M. E... soutient qu'il a subi un préjudice de carrière et de rémunération résultant de l'absence de réintégration dans l'emploi qu'il occupait en 2003 ou dans un emploi comparable. Toutefois, le requérant était alors détaché auprès du centre régional de documentation pédagogique sur un emploi d'instituteur et était titulaire de la nouvelle bonification indiciaire. Il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas davantage établi par M. E... que les affectations pour ordre qui lui ont été données l'auraient privé, soit entre 2010 et 2014, soit après, d'une chance d'occuper cet emploi, dans lequel le directeur du centre régional de documentation pédagogique manifestait la volonté de le remplacer dès 2004, ou un emploi similaire inscrit dans le même cadre juridique et assorti des mêmes conditions de rémunération, en l'absence notamment de tout droit à obtenir un détachement et à bénéficier de la nouvelle bonification indiciaire. Par ailleurs, à supposer que le requérant ait perdu une chance d'occuper un tel emploi, il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas démontré que celui-ci lui aurait offert une rémunération et un développement de carrière supérieurs à ceux dont il a effectivement bénéficié.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice de carrière qu'il dit avoir subi. Il y a lieu, par suite, de rejeter sa requête sur ce point.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et dès lors que M. E... est, aux termes des deux arrêts n° 17MA00978 et 19MA05829 de la Cour, partie gagnante pour l'essentiel, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son bénéfice d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Les conclusions de la requête de M. E... tendant à l'indemnisation de son préjudice de carrière sont rejetées.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M. E... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... E... et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Copie en sera adressée au Défenseur des Droits et à M. le recteur de l'académie d'Aix-Marseille.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2020, où siégeaient :
- M. Guy Fédou, président,
- Mme D... F..., présidente assesseure,
- M. C... Grimaud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 novembre 2020.
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N° 19MA05829