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10/07/2018 | FRANCE | N°17MA00978

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 10 juillet 2018, 17MA00978


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de la discrimination liée à son état de santé et à son handicap.

Par un jugement n° 1404348 du 9 janvier 2017, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à lui payer la somme de 1 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, une production de pièces

et un mémoire, enregistrés les 13 mars 2017 et 25 février 2018, M. B..., représenté par Me A...,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi du fait de la discrimination liée à son état de santé et à son handicap.

Par un jugement n° 1404348 du 9 janvier 2017, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à lui payer la somme de 1 000 euros et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, une production de pièces et un mémoire, enregistrés les 13 mars 2017 et 25 février 2018, M. B..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) de condamner l'Etat, à titre principal, à lui verser la somme de 130 663,31 en réparation de l'entrave mise à l'avancement de sa carrière ;

2°) de condamner l'Etat, à titre subsidiaire, à lui verser la somme de 149 044,29 en réparation de l'entrave mise à l'avancement de sa carrière ;

3°) de condamner l'Etat, en tout état de cause, à lui verser les sommes de 25 000 euros au titre de la violation au principe de l'égal accès aux emplois publics, de 25 000 euros au titre de la discrimination liée à son état de santé et à son handicap, et 10 000 euros au titre du préjudice subi ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'administration a méconnu son obligation de donner une affectation réelle à ses agents, a méconnu le principe d'égal accès aux emplois publics lors des affectations postérieures à sa maladie et elle a commis des discriminations liées à son état de santé ;

- ces fautes sont de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- il a subi un préjudice moral et un préjudice de carrière.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 avril 2018, le ministre de l'éducation nationale conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Le Défenseur des droits, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011 portant création de la haute autorité, a présenté des observations, enregistrées le 11 janvier 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le décret n° 2007-632 du 27 avril 2007 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la Cour a désigné M. d'Izarn de Villefort pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Schaegis,

- et les conclusions de M. Coutel, rapporteur public.

1. Considérant que M. B..., qui conclut à la condamnation de l'Etat à réparer ses préjudices consécutifs à une discrimination fondée sur son handicap, doit être regardé comme concluant à la réformation du jugement du 9 janvier 2017 du tribunal administratif de Marseille qui a condamné l'Etat à lui payer la somme de 1 000 euros à ce titre et a rejeté le surplus de ses conclusions ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 : " (...) Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison (...) de leur état de santé, (...) de leur handicap (...) / Toutefois des distinctions peuvent être faites afin de tenir compte d'éventuelles inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions. (...) " ; qu'aux termes de l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983, créé par la loi du 11 février 2005 : " Afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, les employeurs visés à l'article 2 prennent, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1°, 2°, 3°, 4°, 9°, 10° et 11° de l'article L. 323-3 du code du travail d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer et d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, sous réserve que les charges consécutives à la mise en oeuvre de ces mesures ne soient pas disproportionnées, notamment compte tenu des aides qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur. " ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'employeur peut être conduit à recourir simultanément ou successivement à diverses mesures pour satisfaire à ses obligations à l'égard de ses agents en situation de handicap ;

3. Considérant qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime de discriminations ou d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'une telle discrimination ou d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les discriminations alléguées ou les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

4. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que M. B..., professeur des écoles, est atteint d'un syndrome post-poliomyélite qui s'est déclaré à partir de 1999 ; qu'il a été dans l'incapacité d'exercer une activité professionnelle à partir de 2003 et a été placé en congé de longue maladie du 14 février 2003 au 13 février 2004, puis en congés de longue durée jusqu'au 13 août 2008 ; qu'il a repris son activité professionnelle à compter du 14 février 2008 et a été affecté sur un poste adapté, en qualité de conseiller technique principal adjoint au collège Lucie Aubrac d'Eyguières, dans le cadre des dispositions de la section 3 du décret n° 2007-632 du 27 avril 2007 ; que, par arrêté du 31 mars 2010, il a été mis fin à son affectation sur poste adapté à compter du 1er septembre 2010 ;

5. Considérant que le dispositif des postes adaptés prévu par le décret susvisé du 27 avril 2007 est ouvert, selon son article 1er, aux " personnels enseignants des premier

et second degrés et les personnels d'éducation et d'orientation titulaires appartenant aux

corps des professeurs des écoles, des instituteurs, des professeurs certifiés, des professeurs agrégés, des professeurs d'éducation physique et sportive, des chargés d'enseignement d'éducation physique et sportive, des professeurs de lycée professionnel, des adjoints d'enseignement, des professeurs d'enseignement général de collège, des conseillers d'orientation-psychologues et des conseillers principaux d'éducation, lorsqu'ils sont

confrontés à une altération de leur état de santé ", et qu'il est destiné, aux termes de son

article 8, " à permettre aux personnels mentionnés à l'article 1er de recouvrer, au besoin

par l'exercice d'une activité professionnelle différente, la capacité d'assurer la

plénitude des fonctions prévues par leur statut particulierou de préparer une réorientation professionnelle. Elle est de courte ou de longue durée en fonction de leur état de santé. " ;

que si ce dispositif est de nature à répondre à l'obligation incombant aux employeurs, en application de l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 précité, de permettre aux travailleurs porteurs de handicaps de conserver un emploi, de l'exercer et d'y progresser, il ne constitue pas une solution pérenne et doit en conséquence être relayé par d'autres mesures, si la situation de l'agent l'exige ;

6. Considérant que M. B... soutient, sans être utilement contredit, que ses affectations sur un poste d'enseignant à l'école élémentaire Pic-Chabaud de Châteaurenard, du 1er septembre 2010 au 31 août 2012, à la direction des services départementaux des Bouches-du-Rhône du 1er septembre 2012 au 31 octobre 2012, de nouveau à l'école élémentaire Pic-Chabaud de Châteaurenard du 31 octobre 2012 au 31 janvier 2013, puis à disposition de l'IUFM /ESPE Aix-Marseille pour la période du 1er février 2013 au 31 août 2013, période prolongée par avenant jusqu'au 31 août 2014, ont été des affectations pour ordre et qu'il n'a eu aucune activité effective durant ces cinq années ; que ces faits sont de nature à faire présumer l'existence d'une discrimination, laquelle est confirmée par le ministère, tant dans son courrier adressé à l'intéressé le 21 novembre 2012, que dans ses écritures ; que l'administration a reconnu avoir affecté son agent pour ordre, afin de répondre à sa situation de handicap ; que ce maintien, durant quatre années, dans des emplois que M. B... n'a pas effectivement exercés et dans lesquels il n'a pas pu progresser, constitue une méconnaissance des dispositions de l'article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 ;

7. Considérant que ni la circonstance que M. B... ait auparavant bénéficié, durant deux années scolaires, d'un poste adapté en application des dispositions de la section 3 du décret n° 2007-632 du 27 avril 2007, ni la circonstance que, par un avis du 17 juillet 2010, confirmé par le comité médical supérieur le 18 janvier 2012, le comité médical des Bouches-du-Rhône a estimé que M. B... était apte à la reprise de ses fonctions sur son poste statutaire, n'étaient de nature à dispenser l'Etat de prendre toutes les mesures appropriées pour que M. B... exerce effectivement ses fonctions de la rentrée 2010 à l'été 2014 ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B..., soit directement, soit par l'intermédiaire de son conseil, a constamment alerté sa hiérarchie sur l'impossibilité dans laquelle il était d'assumer ses fonctions durant les années scolaires 2010-2011 à 2013-2014 ; que ses demandes sont restées vaines ; que, par suite, il est fondé à soutenir qu'il a été victime durant cette période, de la part de son administration, d'une discrimination fondée sur son handicap, laquelle constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le préjudice invoqué par M. B..., tiré de ce que l'administration aurait fait entrave au déroulement de sa carrière en qualité de maître de conférences, est sans lien avec le comportement fautif de son administration, dès lors que l'intéressé, qualifié par le Conseil national des universités en 2003 pour une durée de quatre années, n'a pas été recruté en qualité de maître de conférences ;

10. Considérant que si M. B... soutient que l'administration aurait fait entrave au déroulement de sa carrière en qualité de professeur des écoles, ses qualifications et expériences antérieures à 2003, aussi solides soient-elles, ne sont pas intrinsèquement de nature à établir qu'il aurait eu des chances sérieuses d'accéder à des responsabilités supérieures ; que ses travaux passés au cabinet de plusieurs recteurs, qui se sont appuyés sur des emplois fonctionnels, n'impliquaient pas son maintien à l'un de ces postes ;

11. Considérant en revanche qu'il ressort des pièces du dossier que, d'une part, cette situation a placé l'agent dans une situation d'isolement d'où a pu découler un sentiment de déconsidération et d'abandon ; que les courriels qu'il a envoyés à son administration témoignent de la situation de détresse dans laquelle il a été maintenu ; que, d'autre part, l'absence de missions effectives l'a privé de toute perspective d'évolution professionnelle ; que M. B... a en conséquence subi un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence durant quatre années ; que compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il est fondé à soutenir qu'en lui allouant la somme de 1 000 euros, les premiers juges ont procédé à une évaluation insuffisante du préjudice subi du fait du comportement fautif de l'administration ; qu'il convient d'allouer à ce titre à M. B... une somme totale de 8 000 euros ;

12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le paiement à M. B... d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 1 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. B... par le jugement du 9 janvier 2017 est portée à 8 000 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 9 janvier 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...et au ministre de l'éducation nationale.

Copie sera adressée au Défenseur des droits et au recteur de l'académie d'Aix-Marseille.

Délibéré après l'audience du 26 juin 2018, où siégeaient :

- M. d'Izarn de Villefort, président,

- Mme Schaegis, première conseillère,

- M. Jorda, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 juillet 2018.

2

N° 17MA00978


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17MA00978
Date de la décision : 10/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. D'IZARN DE VILLEFORT
Rapporteur ?: Mme Chrystelle SCHAEGIS
Rapporteur public ?: M. COUTEL
Avocat(s) : HARMONIA JURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/08/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2018-07-10;17ma00978 ?
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