Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 28 juillet 2019 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel cette obligation pourra être exécutée d'office et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 1903659 du 5 août 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté du 28 juillet 2019 du préfet des Alpes-Maritimes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 29 août 2019, le préfet des Alpes-Maritimes demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 5 août 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... D... devant le tribunal administratif de Nice.
Il soutient que :
- le signataire de l'acte contesté est compétent pour le prendre ; son arrêté est motivé ; c'est à tort que le tribunal administratif de Nice a estimé que l'arrêté attaqué était entaché d'un vice de procédure devant entraîner son annulation en raison de la méconnaissance du droit d'être entendu ; l'intéressé ne démontre pas être susceptible d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants et il peut légalement faire l'objet d'une interdiction de retour sur le territoire turc.
Une ordonnance du 5 juin 2020 a fixé la clôture de l'instruction au 3 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet des Alpes-Maritimes fait appel du jugement du 5 août 2019 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté qu'il avait pris le 28 juillet 2019 obligeant M. D..., ressortissant turc, à quitter le territoire français sans délai, fixant le pays à destination duquel cette obligation pourra être exécutée d'office et lui faisant interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée d'un an.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
3. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger des décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction d'y retourner, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur les mesures envisagées avant qu'elles n'interviennent. Toutefois, selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne relative à la violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, rappelée notamment au point 38 de la décision C-383/13 PPU du 10 septembre 2013, une atteinte à ce droit n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle des décisions faisant grief sont prises que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu des décisions.
4. En l'espèce, le préfet des Alpes-Maritimes établit en appel que, lors du placement en rétention administrative de M. D..., celui-ci a bénéficié de l'assistance d'un interprète en langue turque qui est intervenu auprès de l'intéressé par téléphone, et que ce dernier a été informé du contenu et de la portée des actes administratifs pris à son encontre. Notamment, le préfet produit une décision du 1er août 2019 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence n° 2019/0892 qui infirme l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 30 juillet 2019 ordonnant la mise en liberté de M. D..., au motif que l'intéressé a compris les enjeux de la mesure de retenue et qu'il a pu faire valoir ses droits, au moyen d'un interprète présent à ses côtés. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Nice, s'est fondé sur la méconnaissance des dispositions précitées pour annuler l'arrêté du 28 juillet 2019 du préfet des Alpes-Maritimes. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif.
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne les moyens communs aux décisions :
6. L'arrêté attaqué a été signé par Mme E... B..., directrice de la réglementation de l'intégration et des migrations à la préfecture des Alpes-Maritimes, qui bénéficie par un arrêté du 13 mai 2019 régulièrement publié, d'une délégation de signature du préfet des Alpes-Maritimes à l'effet de signer, notamment, les actes relevant du droit des étrangers.
7. Les décisions en litige comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elles se fondent.
8. Il résulte de ce qui vient d'être dit, que, notamment, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité.
En ce qui concerne la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire pour l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français :
9. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter, à cet effet, un dispositif d'aide au retour dans son pays d'origine. Eu égard à la situation personnelle de l'étranger, l'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente (...) ".
10. M. D... ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français. Par ailleurs, l'intéressé ne justifie pas d'un lieu de résidence effectif et permanent au sens du II de l'article L. 511-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, et en l'absence de toute circonstance particulière, il existe, en vertu des dispositions du f) du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un risque que l'intéressé se soustraie à l'obligation qui lui a été assignée. Ainsi, le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas fait une inexacte application des dispositions de cet article en refusant d'accorder à l'intéressé un délai de départ volontaire.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
11. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
12. M. D... n'établit pas l'existence de menaces pour sa vie ou sa liberté ou de risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Turquie.
En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour :
13. Dès lors que M. D... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de l'arrêté en litige en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français n'est pas dépourvue de base légale.
14. Aux termes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. "
15. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement, dans son principe et sa durée, la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
16. M. D... a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai. Il se trouvait donc dans un cas dans lequel le préfet pouvait prononcer une interdiction de retour du territoire national. Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé, né le 7 juin 1998 à Karliova en Turquie, est entré irrégulièrement en France à une date qui n'est pas précisée et n'a jamais demandé de titre de séjour. Ainsi, ces motifs justifient dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour édictée. Dès lors, en prononçant une interdiction de retour du territoire national d'une durée d'un an, le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas fait une inexacte application du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'a pas davantage méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
17. Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des moyens soulevés par M. D... en première instance n'étaient susceptibles d'entraîner l'annulation de l'arrêté du 28 juillet 2019. Par suite, le jugement attaqué, qui annulait cet arrêté du 28 juillet 2019 doit être annulé et les conclusions présentées par le requérant en première instance doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1903659 du 5 août 2019 du tribunal administratif de Nice est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Nice est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C... D....
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 20 octobre 2020, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.
N° 19MA04099 2