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03/11/2020 | FRANCE | N°18MA03607

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 03 novembre 2020, 18MA03607


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat, à lui verser la somme de 70 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison notamment de faits constitutifs de harcèlement moral et de discrimination syndicale, et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de reconstituer sa carrière avec nomination au grade de brigadier de police au 1er juillet 2010, et attribution d'un échelon supplémentaire dans le grade de brigadier de police.

Par un juge

ment n° 1602471 du 1er juin 2018, le tribunal administratif de Montpellier a ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Etat, à lui verser la somme de 70 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison notamment de faits constitutifs de harcèlement moral et de discrimination syndicale, et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de reconstituer sa carrière avec nomination au grade de brigadier de police au 1er juillet 2010, et attribution d'un échelon supplémentaire dans le grade de brigadier de police.

Par un jugement n° 1602471 du 1er juin 2018, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la requête de M. E....

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 30 juillet 2018, M. E..., représenté par

Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 1er juin 2018 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 70 000 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de reconstituer sa carrière avec nomination au grade de brigadier de police au 1er juillet 2010, et attribution d'un échelon supplémentaire dans le grade de brigadier de police ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en vertu de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le jugement attaqué est entaché d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle dès lors que les décisions illégales qu'il a porté à la connaissance du juge ont influencé sa santé en raison de leurs conséquences financières et en matière d'avancement, pour preuve ses deux périodes de maladie professionnelle pour troubles anxio-dépressifs du

9 juillet 2010 au 23 juin 2011 et du 9 décembre 2011 au 17 février 2012, reconnues comme telles par arrêté du 25 avril 2012. Il démontre ainsi avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral et de discrimination syndicale ;

- il est fondé à solliciter 15 000 euros en réparation du préjudice moral lié aux décisions illégales prises à son encontre, ainsi que la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice moral lié au harcèlement moral ainsi que la somme de 5 000 euros pour réparer la discrimination syndicale, outre 25 000 euros en réparation de ses préjudices financier et matériel liés aux troubles de jouissance dans sa vie induit aux arrêts de travail pour cause de maladie professionnelle, et d'un déroulement de carrière ralenti.

Une mise en demeure a été adressée le 17 juillet 2019 au ministre de l'intérieur qui n'a produit aucune défense.

Une ordonnance du 2 septembre 2019 a fixé la clôture de l'instruction au

2 octobre 2019 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983;

- le règlement intérieur de la police nationale ;

- l'arrêt n° 14MA02760 du 13 mai 2016 de la cour administrative d'appel de Marseille ;

- les jugements n° 1102042 du 24 janvier 2013 et n° 1106630 du 21 octobre 2014 du tribunal administratif de Lyon ;

- les jugements n° 1203673 du 15 avril 2014 et n° 1402822 du 25 mars 2016 du tribunal administratif de Montpellier ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., représentant M. E....

Considérant ce qui suit :

1. M. E... a été titularisé en qualité de gardien de la paix au 1er février 2003 et affecté au 1er septembre 2005 à l'unité CRS autoroutière de Rhône-Alpes-Auvergne, puis à compter du 1er mars 2012 à la police aux frontières des Pyrénées-Orientales, où il a été promu au grade de brigadier de police à compter du 1er juillet 2013. Par une réclamation préalable du

29 décembre 2015, réceptionnée par le ministre chargé de l'intérieur le 4 janvier 2016, il a sollicité la réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis en raison de faits constitutifs d'un harcèlement moral et d'une discrimination syndicale, à laquelle il n'a pas été répondu.

M. E... relève appel du jugement n° 1602471 du 1er juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 70 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis en raison notamment de faits constitutifs de harcèlement moral et de discrimination syndicale, et d'enjoindre au ministre de reconstituer sa carrière avec nomination au grade de brigadier de police au 1er juillet 2010, et attribution d'un échelon supplémentaire dans le grade de brigadier de police.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne le harcèlement moral :

2. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Aux termes de l'article 11 de la même loi : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour être qualifiés de harcèlement moral, les agissements en cause doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

4. M. E... soutient qu'il a fait l'objet, d'avril 2010 à la fin février 2012, de faits constitutifs d'un harcèlement moral en raison des agissements de ses supérieurs hiérarchiques constitués par l'absence de déclenchement d'une enquête administrative malgré ses demandes expresses à la suite des menaces qu'il avait dénoncées par des rapports du 23 mai et du

5 juillet 2010, par des demandes infondées, tendancieuses et fallacieuses, d'explication et de justification sur son travail par son supérieur, par l'aggravation de ses conditions de travail, par une mise à l'écart et un dénigrement, par une violation de sa session informatique individuelle sécurisée, par un blocage de toute communication avec sa hiérarchie, par une absence de déclenchement d'une enquête à la suite de la dégradation de son véhicule personnel, par des notations illégales, par des accusations mensongères, par une violation du secret médical, et enfin, par un refus de formation en vue d'une remise à niveau.

5. En premier lieu, M. E... soutient que, dans la nuit du 29 au 30 avril 2010, il a fait l'objet avec ses collègues de travail de menaces assorties d'insultes, proférées par son supérieur hiérarchique direct, d'attribution de mauvaises notations s'ils n'augmentaient pas leur activité de timbres amendes et procédurales, ce supérieur indiquant par ailleurs qu'il se réservait la faculté de muter les récalcitrants dans un autre service. Après des interventions syndicales restées vaines, par un courrier du 23 mai 2010 adressé à sa hiérarchie, il dénonçait ces faits et demandait l'ouverture d'une enquête administrative, ce qui resta sans réponse. Par ailleurs, sur sa demande du 23 août 2010, le ministre de l'intérieur refusait de lui communiquer son dossier administratif, ce qui a, par la suite, été ordonné à ce ministre par un jugement du tribunal administratif de Lyon n° 1102042 du 24 janvier 2013. A la lecture de son dossier,

M. E... trouvait des documents qui démontraient que sa hiérarchie avait évoqué l'incident de la nuit du 29 au 30 avril 2010, sans qu'il en soit informé, ce qui démontre, selon lui, qu'il a fait l'objet de faits constitutifs de harcèlement moral. Néanmoins, par la seule production de sa lettre du 23 mai 2010, M. E... n'établit pas les faits relatés d'injures et de menaces adressées à l'ensemble des agents présents. En outre, d'une part, l'absence de réponse alléguée à ce courrier du 23 mai 2010, la circonstance qu'il ne lui ait pas été accordé un entretien sur cet incident, et qu'il n'a pas été répondu à sa demande de communication de son dossier individuel, si elles procèdent d'une gestion critiquable du personnel, ne révèlent pas des faits de nature à laisser présumer un harcèlement moral. Et, d'autre part, la directive de service d'augmentation de l'activité de constatations d'infractions n'excède pas, en soi, les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

6. En deuxième lieu, M. E... fait valoir qu'il a été a été faussement accusé par son supérieur hiérarchique direct de la perte d'un éthylotest alors que cette disparition alléguée qui lui a été imputée n'a jamais été démontrée, qu'il ne lui a pas été communiqué le registre du matériel, qu'il a pourtant sollicité, et qu'il a été menacé de la saisine de la commission disciplinaire pour connaitre de cette disparition. Mais, il ressort des pièces du dossier que les poursuites disciplinaires ont été abandonnées par sa hiérarchie. Par ailleurs, il soutient que l'avertissement reçu le 19 mars 2012, pour d'autres faits reprochés, est manifestement disproportionné. Cependant, il résulte de l'instruction que cette sanction a été confirmée d'abord par un jugement du tribunal administratif de Montpellier du 15 avril 2014, puis par un arrêt de la présente Cour n° 14MA02760 du 13 mai 2016. Par suite, l'infliction de cette sanction, qui ne résulte pas d'un exercice anormal du pouvoir hiérarchique, ne peut être regardée comme un fait constitutif de harcèlement moral.

7. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que l'intéressé a sollicité une mutation à caractère social dès 2010 pour motifs médicaux, et que les éléments de son dossier médical avaient été transmis au service médical de l'administration de manière confidentielle.

M. E... a relevé, dans une lettre du 11 octobre 2010 du directeur zonal des CRS Sud-Est au directeur central, que celui-ci avait indiqué que M. E... " est dans une détresse psychologique profonde " alors que le directeur zonal était censé ne disposer d'aucune information sur sa santé. Cependant, la hiérarchie directe de M. E... qui était à son contact permanent avait nécessairement informé le commandement supérieur de son état de santé fragile, sans pour autant que celui-ci disposât d'éléments médicaux précis sur sa situation. Ainsi, le requérant n'est pas fondé à soutenir que ce directeur a volontairement méconnu le secret médical, et aurait, par suite, commis un fait de harcèlement moral. Il est par ailleurs constant que, par lettre du 23 décembre 2011, le ministre de l'intérieur a donné un avis favorable à sa demande de mutation à caractère dérogatoire, lequel a nécessairement été émis après consultation de la hiérarchie de l'intéressé. Ainsi, M. E... n'est pas fondé à soutenir que ses supérieurs auraient, dans ces circonstances, cherché à lui nuire.

8. En quatrième lieu, par un courrier du 8 février 2011, le directeur zonal des CRS Sud-Est a demandé de faire procéder à l'effacement du fichier " activité fonctionnaire " implanté dans le répertoire " mes documents " des sessions informatiques, au motif selon le requérant, que cette application était discriminante dans le processus de notation parce qu'elle catalogue le comportement des agents selon une phraséologie convenue, qui dissimule la réalité de l'évaluation du supérieur hiérarchique de l'agent. Mais, cette mesure a concerné tous les agents de la section à laquelle appartenait M. E... et ne peut dès lors être considérée comme révélant un fait constitutif de harcèlement moral dirigé personnellement contre l'intéressé. En outre, la circonstance que l'utilisation de ce fichier ait nécessité une intervention dans la session informatique individualisée, qui comme il l'a été dit a porté sur l'entier service dont relevait le requérant, n'est pas, par elle-même, de nature à faire présumer des faits de harcèlement moral.

9. En cinquième lieu, dans la nuit du 24 au 25 juin 2011, à l'occasion d'une réunion organisée pour fêter le départ à la retraite d'un commandant, le véhicule personnel de

M. E..., stationné aux abords du lieu de cette réunion, a été dégradé. Le requérant a alors rédigé un compte rendu sur cet incident, puis a été auditionné par l'inspection technique zonale de la CRS Sud-Est, sans qu'aucun résultat ne lui soit communiqué. La seule absence de réponse à son signalement qu'il considère comme une négligence dans l'enquête diligentée sur ces faits, ne présente pas le caractère d'un fait constitutif de harcèlement moral.

10. En sixième lieu, M. E... fait valoir que ses conditions de travail ont été fortement dégradées dès lors que la pertinence et le nombre de ses procès-verbaux étaient systématiquement contestés par sa hiérarchie, que cette hiérarchie n'a répondu qu'une seule fois à tous les rapports qu'il lui avait adressés, notamment sur le logiciel " ECAD " de rédaction des procédures de la Police nationale en raison des critiques émises sur la rédaction de ses rapports et procédures d'activités, et qui, selon lui totalement infondées. Il fait aussi valoir qu'il a patrouillé seul avec un adjoint de sécurité alors qu'en vertu de l'article 181 du règlement intérieur de la Police nationale, cette mission exige à minima deux gardiens de la paix. Cependant, il résulte de l'instruction, d'une part, que l'intéressé n'a patrouillé dans les conditions sus-indiquées que pendant trois jours, et d'autre part, que les absences de réponses écrites ou d'entretiens oraux aux très nombreuses sollicitations, courriers, notes et rapports adressés par M. E... à sa hiérarchie directe et supérieure, notamment l'absence de réponse à la remarque de son commandant de compagnie d'un manque de résultats, ne sont pas révélatrices en tant que telles de la volonté délibérée de ne pas dialoguer avec l'intéressé, et ainsi de le tenir à l'écart des missions et de la vie professionnelle de sa section. Par ailleurs, si M. E... soutient que sa situation personnelle n'a pas été évoquée lors des réunions mensuelles des chefs de section et de services au cours de l'année 2011, à supposer cette allégation établie, cette seule circonstance ne traduit pas davantage un dénigrement de sa personne, ou une atteinte à sa dignité, démontrant une volonté de lui nuire.

11. En septième lieu, il résulte de l'instruction que si M. E... a été affecté à la 3ème section afin de ne plus être placé sous l'autorité directe de son ancien brigadier-chef, en étant dispensé de travail de nuit, pour exercer les fonctions d'agent d'accueil au poste de commandement de Genas, auparavant tenu par un adjoint de sécurité, il n'établit pas que l'ordre de rejoindre ce poste excède les limites normales de l'exercice du pouvoir hiérarchique alors que ce changement de fonction a été pris dans son intérêt afin de l'éloigner de son supérieur direct avec lequel manifestement persistait une difficulté relationnelle. Il résulte également de l'instruction que M. E... a été placé en arrêt maladie du 9 juillet 2010 au 23 juin 2011. Après le contrôle médical d'aptitude à la reprise du 23 juin 2011, il a été placé en poste aménagé pour six mois avec dispense du travail de nuit et à ce titre, affecté au garage de l'unité.

La circonstance qu'il ne justifiait d'aucune compétence mécanique, ce dont il se plaint, ne traduit pas " une mise au placard ", dès lors qu'il ne soutient pas n'avoir pas eu les compétences nécessaires pour s'occuper des charges administratives liées au fonctionnement de ce service.

Il a ensuite été affecté à la 3ème section de roulement, où il a travaillé en cycle mixte jour/nuit et a alors sollicité une mesure de sauvegarde médicale et une formation de remise à niveau professionnelle suite à son année d'arrêt maladie. La seule circonstance qu'il ait été amené à effectuer ponctuellement des services de nuit malgré l'incompatibilité médicale qui vient d'être mentionnée, en raison des exigences de l'organisation des missions de la CRS Sud-Est, ne peut être regardée comme susceptible de faire présumer de l'existence d'un harcèlement.

M. E... soutient également qu'il a fait l'objet d'un refus injustifié de formation pour une remise à niveau consistant en une séance de tir dit " tir de reprises de 60 cartouches " pour pouvoir être porteur d'une arme. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de son retour de maladie, M. E... a bénéficié d'un poste adapté lequel n'impliquait pas nécessairement de bénéficier de cette formation. Par suite, contrairement à ce que soutient l'intéressé, le rejet de sa demande n'a pas été pris pour des raisons injustifiées au regard de l'intérêt du service et n'est donc pas la traduction d'un fait constitutif d'un harcèlement moral. Après avis du comité médical, l'administration décidait, le 17 septembre 2011 d'un aménagement de son temps de travail en l'excluant du travail de nuit. M. E... a alors été victime d'une rechute pour troubles anxio-dépressifs du 9 décembre 2011 au 17 février 2012 et à la suite de la saisine de la commission de réforme et de l'expertise médicale du docteur Capdeville du 8 avril 2012, un arrêté du 25 avril 2012 du préfet de défense de la zone sud reconnait l'imputabilité au service des troubles anxio-dépressifs de l'intéressé. Eu égard à tout ce qui vient d'être dit, les changements d'affectations de M. E..., ordonnés dans l'intérêt de sa santé et dans les limites des possibilités d'organisation du service, ne révèlent pas un exercice disproportionné du pouvoir hiérarchique, ni des faits constitutifs de harcèlement moral.

12. En huitième lieu, M. E... fait valoir qu'il a fait l'objet d'une baisse de sa notation en 2010, annulée par un jugement du tribunal administratif de Lyon n° 110630 du

21 octobre 2010, et que le ministre n'a pas déféré à l'injonction d'établir une nouvelle notation pour l'année 2010. Cette notation n'ayant pas été précédée d'un entretien d'évaluation, elle a été annulée pour vice de procédure. Ce jugement, devenu définitif, permettait à M. E... de demander au tribunal qu'il soit exécuté. Dans ces conditions, l'intéressé qui n'a pas initié cette démarche, n'est pas fondé à faire utilement valoir à l'appui de sa demande tendant à faire condamner l'Etat à réparer les préjudices nés de faits constitutifs de harcèlement moral, la circonstance que l'administration n'a pas satisfait à l'injonction de procéder à une nouvelle notation au titre de l'année 2010.

13. En neuvième lieu, il résulte de l'instruction que si M. E... n'a pas bénéficié d'une notation en 2011, c'est uniquement en raison de ses absences du service pour cause de maladie. Par suite, il n'est pas fondé à faire valoir que l'absence de notation en 2011 constitue un fait révélant un harcèlement moral à son encontre.

14. En dixième lieu, il résulte de l'instruction que la notation 2012 de M. E... a été annulée par le tribunal administratif de Montpellier par un jugement du 25 mars 2016

n° 1402822 au motif que le notateur a fondé son appréciation principalement sur des circonstances antérieures à l'année de notation. Cette notation n'est pas en soi de nature à traduire un fait constitutif de harcèlement moral envers M. E..., pas plus la circonstance étrangère au présent litige, que l'administration n'aurait pas déféré à l'injonction d'établir une nouvelle notation pour l'année 2012.

15. En onzième lieu, d'une part, par un jugement du 25 mars 2016, le tribunal administratif de Montpellier n'a pas fait droit aux conclusions d'annulation présentées par

M. E... dirigées contre sa notation 2013, faute pour l'intéressé d'établir que la fixation de son classement à 4/7 en 2013 " résulterait uniquement du niveau de cette note au titre des années 2010 et 2012 alors qu'elle était antérieurement fixée à 5/7 en 2009 ".

D'autre part, en faisant valoir que ses notations 2013, 2014, 2015 et 2017 lui sont favorables,

M. E... n'apporte pas la preuve qui lui incombe que les notations des années 2010, 2011 et 2012 constituent, prises ensemble, des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Enfin, M. E... n'établit pas par ailleurs qu'il aurait fait l'objet d'une discrimination constitutive d'un harcèlement moral dans sa promotion au grade de brigadier de police, en se bornant à faire état des moyennes d'avancement par ancienneté, alors que, même si les conditions prévues par les dispositions législatives et règlementaires sont réunies, ainsi que souligne à juste titre en défense l'administration, cette promotion est fondée sur l'appréciation des valeurs professionnelles respectives et comparées des agents susceptibles d'être promus.

16. En douzième lieu, si M. E... se prévaut des rapports du médiateur de la Police nationale 2013 (page 28) et 2014 (page 38) qui relatent des cas de déstabilisation insidieuse, ainsi que de plusieurs ouvrages traitant du sujet du harcèlement moral au sein du ministère de l'intérieur, comme par exemple les livres de Mme C..., fonctionnaire de police " Omerta dans la police " et " Suspendue de la République ", ou le livre de Michel Pichon " Journal d'un flic ", cette documentation à caractère général est sans incidence sur la situation personnelle et juridique de l'intéressé.

17. Il résulte de tout ce qui vient d'être dit, que les différentes mesures avancées par

M. E..., prises individuellement et dans leur ensemble, ne présentent pas le caractère d'un harcèlement moral au sens des dispositions de l'article 6 quinquiès de la loi du

13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

En ce qui concerne la discrimination syndicale :

18. En août 2009, M. E... est devenu représentant du syndicat Alliance Police nationale CFE. Sa qualité de délégué syndical aurait été mentionnée en commission administrative locale où son absence de notation aurait été justifiée par des jours de congés pour exercice d'un mandat syndical ainsi que sur le tableau d'avancement 2010 sous la forme

" non noté placé en (illisible) non noté fonctionnaire ASSA syndical ", et cette mention a été portée, selon lui, en méconnaissance de l'article 18 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui dispose que " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions (...) syndicales ", révélant un acte discriminatoire. Cependant, il n'est pas établi que la qualité d'adhérent de l'intéressé à un syndicat de la Police nationale, notoirement connue du service, alors même qu'elle n'avait pas à être mentionnée en tant que telle au cours de cette procédure, se soit traduite par une quelconque discrimination syndicale à son égard.

19. Il résulte de tout ce qui précède, comme l'ont déjà dit les premiers juges, que

M. E... est seulement fondé à se prévaloir de l'illégalité de ses notations au titre des années 2010 et 2012, ainsi que de la décision implicite de refus du ministre de l'intérieur de lui communiquer son dossier administratif.

En ce qui concerne le préjudice résultant de décisions illégales :

20. Toute illégalité fautive est de nature à entraîner la responsabilité de la personne publique ayant pris cet acte. La demande indemnitaire présentée par M. E... doit s'apprécier au regard des trois décisions illégales mentionnées ci-dessus, à savoir ses notations 2010 et 2012, ainsi qu'un refus de communication de document administratif.

21. Il résulte de l'instruction d'une part, que M. E... a fait l'objet de deux notations illégales successives dans un délai rapproché, dont une pour référence à des faits antérieurs à l'année notée, ce qui constitue une situation anormale. Il démontre ainsi un lien direct et certain entre les deux décisions illégales précitées et le trouble moral qu'il invoque.

S'il n'est pas établi que c'est en raison de sa notation illégale en 2010 qu'il n'a pas bénéficié

dès cette année d'une promotion dans le grade de brigadier de police, il sera néanmoins fait une juste appréciation du préjudice moral subi par l'intéressé et résultant de la succession de

deux notations illégales, dans un contexte de difficultés relationnelles avec la hiérarchie, en le fixant à 1 000 euros. D'autre part, comme il a été dit plus haut, le refus de communiquer à

M. E... son dossier administratif a été considéré illégal par le juge administratif. Cette illégalité est fautive et cette faute est susceptible d'engager la responsabilité de l'administration. Toutefois, le requérant n'établit pas que le retard apporté à lui communiquer les documents administratifs qu'il sollicitait lui ait causé un préjudice moral particulier. Par suite, ses conclusions indemnitaires à ce dernier titre doivent être rejetées.

22. Il résulte de ce qui précède, que M. E... est fondé à soutenir, dans la mesure indiquée au point précédent, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande indemnitaire présentée devant le ministre de l'intérieur.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

23. Le présent arrêt qui n'admet qu'une partie des conclusions indemnitaires présentées par M. E... n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de

M. E... tendant à ordonner au ministre de l'intérieur de le nommer brigadier de police dès l'année 2010, de reconstituer sa carrière et son traitement et de lui attribuer un échelon supplémentaire dans le grade de brigadier de police, doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige:

24. L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. E... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : L'Etat versera à M. E... la somme de 1 000 euros en réparation des préjudices subis.

Article 2 : Le jugement n° 1602471 du 1er juin 2018 du tribunal administratif de Montpellier est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. E... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 20 octobre 2020, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.

2

N° 18MA03607


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA03607
Date de la décision : 03/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : BEAUVOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-11-03;18ma03607 ?
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