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08/10/2020 | FRANCE | N°20MA00149-20MA0150

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 08 octobre 2020, 20MA00149-20MA0150


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Béziers, ou à défaut l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à lui verser la somme de 76 925,80 euros en réparation du préjudice économique qu'elle estime avoir subi du fait du décès de son époux, survenu le 30 juin 2014 alors qu'il était hospitalisé.

Par un jugement n° 1805212 du 18 novembre 2019, le tribuna

l administratif de Montpellier a condamné le centre hospitalier de Béziers à verser ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier de Béziers, ou à défaut l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à lui verser la somme de 76 925,80 euros en réparation du préjudice économique qu'elle estime avoir subi du fait du décès de son époux, survenu le 30 juin 2014 alors qu'il était hospitalisé.

Par un jugement n° 1805212 du 18 novembre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le centre hospitalier de Béziers à verser à Mme A... la somme de 85 948 euros.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête enregistrée le 15 janvier 2020 sous le n° 20MA00149, le centre hospitalier de Béziers, représenté par la SELARL Fabre, Savary, Fabbro, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 18 novembre 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Montpellier ;

3°) à titre subsidiaire, de ramener l'indemnisation qu'elle a été condamnée à verser à Mme A... à la somme de 1 439,90 euros ;

4°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que les premiers juges ont statué ultra-petita (en allouant à Mme A... une somme supérieure à celle demandée ;

- aucune faute de surveillance n'a été commise lors de la prise en charge du patient ;

- à défaut, un taux de perte de chance de 10 % doit être retenu ;

- le préjudice économique est surévalué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mars 2020, Mme A..., représentée par la SELARL Chatel et Associés, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident :

- de réformer le jugement du 18 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a limité à la somme de 85 948 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le centre hospitalier de Béziers en réparation du préjudice économique subi ;

- de porter à la somme de 93 381,43 euros le montant de l'indemnité due ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Béziers la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité de l'établissement de soins est engagée pour défaut de surveillance du patient, dans l'organisation du service ainsi qu'en raison d'un traitement (médicamenteux) adapté ;

- à défaut, les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale sont remplies ;

- le préjudice économique doit être intégralement indemnisé.

Par un mémoire, enregistré le 28 avril 2020, l'ONIAM, représenté par la SELARL de la Grange et Fitoussi, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la partie perdante la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'il doit être mis hors de cause.

La requête a été communiquée à la mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN) qui n'a pas produit de mémoire.

II. Par une seconde requête enregistrée le 15 janvier 2020 sous le n° 20MA00150, et un mémoire enregistré le 29 juillet 2020, le centre hospitalier de Béziers, représenté par la SELARL Fabre, Savary, Fabbro, demande à la cour d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 81117 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 18 novembre 2019.

Il soutient que :

l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner pour lui des conséquences difficilement réparables ;

les moyens énoncés dans sa requête sont sérieux.

Par un mémoire, enregistré le 14 mai 2020, l'ONIAM, représenté par la SELARL de la Grange et Fitoussi, s'en remet à la sagesse de la cour (sur la demande de sursis à exécution présentée par le centre hospitalier de Béziers).

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juillet 2020, Mme A..., représentée par la SELARL Chatel et Associés, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- elle est solvable ;

- les premiers juges n'ont pas statué ultra petita ;

- l'établissement de soins a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- la perte de revenus est établie.

La requête a été communiquée à la MGEN qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant le centre hospitalier de Béziers, et de Me D..., représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Par deux requêtes, enregistrées respectivement sous les n° 20MA00149 et n° 20MA00150, le centre hospitalier de Béziers, d'une part, relève appel du jugement du 18 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser à Mme A... la somme de 85 948 euros en réparation du préjudice économique qu'elle a subi du fait du décès de son époux, survenu le 30 juin 2014, à la suite de sa prise en charge à compter du 28 juin 2014 par cet établissement de soins et, d'autre part, demande à la cour de surseoir à l'exécution de ce jugement. Mme A... sollicite par la voie de l'appel incident une meilleure indemnisation de son préjudice. L'ONIAM conclut au rejet.

2. Les deux requêtes ci-dessus, qui sont présentées par le même requérant, sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Béziers :

3. Le I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique prévoit que la responsabilité de tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins peut être engagée en cas de faute. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé, n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. En outre, une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier engage la responsabilité de celui-ci envers la victime.

4. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise neuropsychiatrique diligentée par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Languedoc-Roussillon, que le patient n'était plus sous traitement sédatif le matin de son décès et que la médication mise en place s'est révélée inefficace. Toutefois, cette analyse est contredite par l'avis très circonstancié d'un médecin psychiatre produit par l'établissement de soins qui précise que le traitement antipsychotique prescrit était approprié à l'état de santé de M. A... afin d'améliorer la cohérence de sa pensée et de diminuer le caractère univoque de ses flux idéiques et que l'administration à fortes doses d'antidépresseur ne pouvait intervenir que dans un deuxième temps lorsque le patient se serait dégagé de ses idées uniques et délétères. Il suit de là qu'aucune faute de l'établissement de soins dans le traitement prescrit ne peut être retenue.

5. Il résulte également du rapport critique particulièrement circonstancié mentionné ci-dessus, que la gravité de l'état de santé du patient, qui présentait un état dépressif grave réactionnel majeur à des problèmes professionnels et familiaux, avait fait une précédente tentative de suicide au mois de novembre 2013 et faisait l'objet d'un suivi psychiatrique ainsi que d'un traitement par antidépresseur, a été correctement évaluée aussi bien lors de son admission au centre hospitalier le 28 juin 2014 qu'au cours des deux entretiens qu'il a eus avec un médecin psychiatre les 29 et 30 juin suivant. Il résulte des mêmes éléments d'information que la décision de le placer et de le maintenir en unité fermée le lendemain de son admission a été adaptée. Il suit de là qu'aucune faute de nature médicale à l'occasion de la prise en charge de M. A... ne peut en tout état de cause être retenue à la charge du centre hospitalier de Béziers.

6. D'autre part, la fréquence des visites des patients hospitalisés en milieu fermé par les personnels soignants n'est pas spécifiée par les recommandations de la conférence de consensus, les bonnes pratiques professionnelles recommandant simplement une visite toutes les deux heures dans le cas général, pouvant être ramenée à une visite toutes les heures dans certains cas particuliers. Alors que comme il été dit au point précédent, son état avait été correctement évalué, il ne résulte pas de l'instruction que la circonstance que M. A... avait déjà tenté de se suicider et qu'il présentait encore une idéation suicidaire le matin du 30 juin justifiait qu'il fît l'objet d'une surveillance particulière, effectuée à une fréquence plus élevée que celle ordinairement pratiquée pour les patients hospitalisés en unité fermée, étant observé, au demeurant, qu'il n'aurait pu être envisagé de le soumettre à une surveillance constante. Il suit de là que la circonstance que M. A... a été laissé seul dans sa chambre entre 13H45 et 15H, soit pendant un laps de temps d'une heure et quart durant lequel il est passé à l'acte, ne permet pas, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, de considérer qu'une faute dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Béziers a été commise en l'espèce.

Sur la solidarité nationale :

7. Le décès du patient n'est pas imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soin. Mme A... ne peut dès lors obtenir l'indemnisation de son préjudice économique au titre de la solidarité nationale sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer ni sur la régularité du jugement attaqué, ni sur la recevabilité des conclusions présentées en appel par Mme A... en vue d'obtenir une meilleure indemnisation, il y a lieu d'annuler le jugement attaqué du tribunal administratif de Montpellier et, par voie de conséquence, de rejeter tant la demande présentée devant ce tribunal par Mme A... que les conclusions d'appel incident dont elle a saisi la cour.

Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :

9. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement contestée, la requête tendant au sursis à exécution de ce jugement du tribunal administratif de Montpellier est devenue sans objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Béziers, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... les sommes demandées par le centre hospitalier de Béziers et par l'ONIAM au titre de ces mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 20MA00150 du centre hospitalier de Béziers.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 18 novembre 2019 est annulé.

Article 3 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Montpellier, ainsi que ses conclusions d'appel incident et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Béziers et l'ONIAM sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Béziers, à Mme C... A..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la mutuelle générale de l'éducation nationale.

Délibéré après l'audience du 24 septembre 2020 où siégeaient :

- M. Alfonsi, président de chambre,

- Mme E..., première conseillère,

- M. Sanson, conseiller.

Lu en audience publique, le 8 octobre 2020.

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N° 20MA00149, 20MA00150


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