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17/07/2020 | FRANCE | N°18MA03484

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 17 juillet 2020, 18MA03484


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D..., Mme C... D... et la SCI Gelefon Marrain ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat et la commune de La Londe Les Maures à leur payer la somme de 277 811 euros en réparation des préjudices résultant de l'implantation et du fonctionnement d'un parc d'attraction dénommé " Aquaboum ".

Par un jugement n° 1701247 du 5 juillet 2018, le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune de La Londe Les Maures à payer à M. et Mme D... la somme de 24 311 euros en

réparation des préjudices subis.

Procédure devant la Cour :

Par une requête,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D..., Mme C... D... et la SCI Gelefon Marrain ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat et la commune de La Londe Les Maures à leur payer la somme de 277 811 euros en réparation des préjudices résultant de l'implantation et du fonctionnement d'un parc d'attraction dénommé " Aquaboum ".

Par un jugement n° 1701247 du 5 juillet 2018, le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune de La Londe Les Maures à payer à M. et Mme D... la somme de 24 311 euros en réparation des préjudices subis.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 juillet 2018, la commune de La Londe Les Maures, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 5 juillet 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée par les requérants devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à leur charge le versement de la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a commis aucune faute, dès lors qu'aucune mesure ne s'imposait ;

- le rapport du 9 août 2013 et celui du 27 août 2015 produits par les requérants souffrent d'une erreur méthodologique, le bruit résiduel ayant été enregistré en dehors de toute activité normale et habituelle des lieux ;

- elle produit un rapport en date du 7 août 2015 démontrant l'absence de dépassement des émergences réglementaires ;

- elle a pris des mesures dès 2013, imposant la fermeture de l'Aquaboum à minuit pour la période estivale ;

- les époux D... ne peuvent demander aucune indemnisation, ayant eu connaissance avant d'acquérir leur propriété de la présence de l'Aquaboum à proximité ;

- ainsi, seule l'aggravation des nuisances sonores postérieure à l'acquisition de leur habitation et présentant un caractère anormal et spécial serait de nature à leur ouvrir droit à réparation ;

- cette aggravation n'est pas démontrée ;

- le préjudice ne revêt pas un caractère anormal et spécial.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2019, M. et Mme D... et la SCI Gelefon Marrain, représentés par Me Maitre, demandent à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident :

- de réformer le jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a limité à la somme de 24 311 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la commune de La Londe Les Maures en réparation des préjudices subis ;

- de porter à la somme de 277 811 euros le montant de l'indemnité due par la commune et l'Etat, assortie des intérêts et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de la commune la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les émissions sonores liées à l'activité du parc d'attractions ne respectent pas les seuils réglementaires, tel que le relèvent les études qu'elle a produites et dont les résultats sont fondés ;

- l'étude communiquée par la commune est contestable ;

- elle transmet une nouvelle étude datée de juillet 2017 mesurant le bruit résiduel ;

- la commune a engagé sa responsabilité pour carence dans l'exercice de ses pouvoirs de police générale et spéciale ;

- l'Etat a également engagé sa responsabilité pour faute ;

- la commune et l'Etat ont également engagé leur responsabilité pour faute, tirée de la carence à faire cesser des infractions aux règles d'urbanisme ;

- il est en effet interdit d'installer un parc d'attractions dans la bande littorale des cent mètres et dans les espaces à préserver au sens de l'article L. 121-23 du code de l'urbanisme ;

- le parc est exploité sans autorisation d'urbanisme ;

- la responsabilité sans faute de la commune pour rupture d'égalité devant les charges publiques est également engagée ;

- ils subissent un préjudice anormal et spécial ;

- ils n'avaient pas connaissance de l'exploitation de ce parc en 2011 lors de l'acquisition de leur propriété ;

- les nuisances ont augmenté dès 2012 ;

- ils occupent leur logement de façon continue durant toute la période estivale ;

- la somme de 35 000 euros réparera le préjudice tiré des nuisances sonores ;

- la somme de 10 000 euros réparera le préjudice tiré des nuisances visuelles ;

- le préjudice constitué par les nuisances lumineuses peut être évalué à 5 000 euros ;

- la perte de valeur vénale de leur propriété peut être estimée à 222 000 euros ;

- ils ont fait réaliser des études acoustiques et sollicité un huissier pour la somme totale de 2 811 euros, qui doit leur être remboursée ;

- ils ont subi un préjudice moral qui doit être réparé par la somme de 3 000 euros.

Par un mémoire, enregistré le 21 octobre 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucune carence de l'autorité municipale ni du préfet du Var n'est caractérisée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la commune de La Londe Les Maures.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de La Londe Les Maures relève appel du jugement du 5 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulon l'a condamnée à payer la somme de 24 311 euros à M. et Mme D... en réparation des préjudices résultant du fonctionnement du parc d'attractions dénommé " Aquaboum " situé sur l'arrière plage de Miramar, à proximité immédiate de leur habitation, propriété de la SCI " Gelefon Marrain ". Par la voie de l'appel incident, M. et Mme D... demandent de porter à la somme de 277 811 euros le montant de l'indemnité due par la commune et l'Etat.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune :

2. L'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales dispose que : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale (...) ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; (...) ".

3. Le parc d'attractions, dénommé " Aquaboum ", situé à 20 mètres seulement de la villa occupée par les époux D..., occupe une surface de 2 500 m2 et a fonctionné sept mois par an, fermant ses portes à minuit entre juin et septembre, de 2008 jusqu'à la fin de l'été 2016. Il résulte de l'instruction, notamment des deux études en date du 9 août 2013 et en date du 27 août 2015 produites par les époux D..., que les émissions sonores générées par le parc d'activités, qui ont été mesurées à + 13,0 dB(A) et + 15 dB(A), dépassent les seuils réglementaires fixés par le code de la santé publique en ses articles R. 1334-30 et suivants alors en vigueur. Si la commune conteste ces études en soutenant que le bruit résiduel a été enregistré après minuit, soit en dehors de toute activité normale et habituelle des lieux, il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce que soutient la commune, que l'environnement immédiat de l'habitation des époux D... serait bruyant, tandis que ces derniers produisent une étude de juillet 2017, postérieurement au déplacement du parc sur un autre site, qui mesure le bruit ambiant sans l'activité du parc en début de soirée, avec des données enregistrées proches de celles des études antérieures. Si la commune a quant à elle communiqué une étude en date du 7 août 2015 avec arrêt exceptionnel du parc entre 23h et 23h30 afin de mesurer le bruit ambiant sans l'activité de l'Aquaboum, laquelle conclut que l'émergence mesurée en période nocturne (entre 22h00 et minuit) est inférieure aux valeurs réglementaires, elle ne démontre pas ni n'allègue que les clients du parc auraient été évacués durant cette demi-heure ni que les souffleries auraient cessé de fonctionner.

4. Si, suite aux plaintes récurrentes des époux D... depuis 2012, le maire de La Londe Les Maures a imposé des clauses dans la convention d'occupation du domaine public conclue entre la commune et la SARL " Le Manège du port ", exploitante du parc d'activités, pour lutter contre le bruit et les nuisances lumineuses, il ne les a pour autant pas fait respecter et n'a pris aucune mesure pour atténuer les nuisances sonores et lumineuses subies par M. et Mme D.... Dans ces conditions, la responsabilité de la commune est engagée. Cette dernière n'est pas fondée par ailleurs à demander que sa responsabilité soit atténuée en raison du risque qu'aurait accepté M. et Mme D... en faisant l'acquisition de leur habitation en 2011, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que les activités de l'" Aquaboum " se sont diversifiées à compter de 2012 et ont engendré des nuisances plus importantes.

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

5. Ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, le préfet du Var, à qui les époux D... n'ont demandé que le 24 novembre 2016 de faire usage de ses pouvoirs de police au regard de la carence des autorités municipales, n'a commis aucune faute. La responsabilité de l'Etat doit, dès lors, être écartée.

En ce qui concerne les préjudices :

6. Il n'est pas besoin de statuer sur l'autre chef de responsabilité invoqué, constitué par la méconnaissance des règles d'urbanisme, dès lors que la faute retenue tirée de la carence du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police est en lien direct et certain avec l'ensemble des préjudices invoqués par les époux D....

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que si M. et Mme D... occupent leur habitation secondaire tout au long de la période estivale, ils ne démontrent ni même n'allèguent l'occuper de façon habituelle le reste de l'année et, en tout état de cause, y subir des préjudices durant cette période, le parc fermant alors à 20 heures. Dans ces conditions, les troubles subis pendant la seule période estivale par les époux D... dans les conditions de jouissance de leur bien, constitués par des nuisances sonores telles qu'évaluées au point 3, et lumineuses et esthétiques telles qu'attestées par les photographies jointes au dossier, doivent être réparés par la somme de 10 000 euros, incluant également le préjudice moral.

8. En deuxième lieu, M. et Mme D... justifient de frais d'études acoustiques et de frais d'huissier pour un montant total de 2 811 euros, qui doit leur être remboursé.

9. En troisième et dernier lieu, la perte de valeur vénale invoquée par M. et Mme D... n'est pas établie, le parc ayant été déplacé en 2017. Si les requérants soutiennent qu'il est probable que le parc soit réinstallé sur la plage de Miramar, le préjudice en résultant revêt un caractère purement hypothétique.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les époux D... ne sont pas fondés à demander que la somme à laquelle a été condamnée la commune de La Londe Les Maures soit portée à la somme de 277 811 euros. La commune est quant à elle seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon l'a condamnée à payer une somme de 24 311 euros à M. et Mme D.... Cette somme doit être ramenée à 12 811 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

11. Les époux D... ont droit aux intérêts au taux légal sur la somme que la commune de La Londe Les Maures est condamnée à leur verser, à compter de la date de réception de leur demande préalable du 22 décembre 2016.

12. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée par les époux D... le 21 avril 2017. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter de la date à laquelle était due pour la première fois une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de La Londe Les Maures, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. et Mme D... et la SCI Gelefon Marrain au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ces derniers la somme demandée par la commune de La Londe Les Maures sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La somme que la commune de La Londe Les Maures a été condamnée à payer à M. et Mme D... est ramenée à 12 811 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la commune de la demande préalable adressée le 22 décembre 2016. Les intérêts échus un an après cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates, pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 5 juillet 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. et Mme D... et la SCI Gelefon Marrain et le surplus des conclusions de la requête de la commune de La Londe Les Maures sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., Mme C... D..., la SCI Gelefon Marrain, la commune de La Londe Les Maures et le ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2020, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président assesseur,

- Mme E..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 17 juillet 2020.

2

N° 18MA03484


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA03484
Date de la décision : 17/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

49-04-02-05 Police. Police générale. Tranquillité publique. Activités bruyantes.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: Mme Karine DURAN-GOTTSCHALK
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : SELARL ATMOS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-07-17;18ma03484 ?
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