Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... G..., Mme H... C... et Mme E... C... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'État à verser la somme de 17 265,52 euros à Mme G... et celles de 7 000 euros à Mmes C... en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis suite au décès de Yohann C..., survenu le 24 novembre 2011 alors qu'il était détenu au centre pénitentiaire de Perpignan.
Par un jugement n° 1601434 du 17 octobre 2017, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 19 mars 2018, Mme G... et Mmes C..., représentées par Me A..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 17 octobre 2017 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner l'État à verser la somme de 17 265,52 euros à Mme G... et celles de 7 000 euros à Mmes C..., assorties des intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à Me A... sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elles soutiennent que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- la dangerosité du détenu et le risque suicidaire n'ont pas été pris en considération ;
- le matelas auquel le détenu a mis le feu ne comportait pas de housse ignifugée inamovible ;
- la porte de la cellule n'était pas adaptée au risque d'incendie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2019, la garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête présentée par Mme G... et autres.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme G... et autres ne sont pas fondés.
Mme G... et Mmes C... ont été admises à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 janvier 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Marseille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., substituant Me A..., représentant Mme G... et autres.
Considérant ce qui suit :
1. Yohann C..., âgé de vingt-deux ans au moment des faits, a été transféré au centre pénitentiaire de Perpignan le 9 novembre 2011. Il a été placé en cellule disciplinaire pour une durée de sept jours, dont trois avec sursis, le 22 novembre suivant. Le 24 novembre 2011, à 20h01, il a déclenché délibérément l'alarme incendie de sa cellule par la fumée d'une cigarette, ainsi que l'a constaté le personnel de l'administration pénitentiaire, qui est immédiatement intervenu. A 20h12, il a contacté un surveillant afin de réclamer un médicament somnifère, alors que son traitement lui avait déjà été procuré. Il a de nouveau déclenché l'alarme incendie à 20h17 par l'incendie du matelas de la cellule, placé contre la grille intérieure de celle-ci. Le personnel de l'administration pénitentiaire est intervenu trois minutes plus tard, pour l'extraire de sa cellule, alerter les pompiers et lui prodiguer les gestes de premiers secours. Les pompiers et le personnel du SAMU sont arrivés sur place à 20h47. Le décès de la victime, provoqué par l'inhalation de fumées toxiques, a été constaté à 21h35.
2. Mme G..., mère de la victime, et Mmes H... et E... C..., ses soeurs, font appel du jugement du 17 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande indemnitaire dirigée contre l'Etat.
Sur la régularité du jugement :
3. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le tribunal administratif a écarté par des motifs précis et détaillés les fautes invoquées devant lui en première instance, en se fondant sur les pièces du dossier qui lui était soumis sans se borner à reprendre les arguments avancés par l'Etat en défense. En outre, le tribunal n'avait pas à préciser en quoi la porte de la cellule était conforme à la réglementation en vigueur, en l'absence de contestation circonstanciée sur ce point. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit, en conséquence, être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le placement en cellule disciplinaire et l'absence de retrait d'un briquet :
4. Il résulte du II de l'article 6 du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires, annexé à l'article R. 57-6-18 du code de procédure pénale, que le détenu placé en cellule disciplinaire conserve " le tabac et les objets liés à son usage tels qu'allumettes et papier à cigarette ". Le même article prévoit cependant que " les objets et vêtements laissés habituellement aux personnes détenues peuvent lui être retirés pour des motifs de sécurité. ".
5. Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif par des motifs qui ne sont pas contestés en appel, il résulte de l'instruction que l'incendie n'a pas été provoqué par le détenu en raison de troubles suicidaires, mais afin de perturber le fonctionnement de l'établissement pénitentiaire, ainsi qu'il ressort des évènements survenus à 20h01 et 20h12. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le détenu, qui avait été placé à l'isolement pour sanctionner la détention d'un téléphone portable, n'avait pas présenté de signes manifestant une impulsivité particulière ou laissant présager une tentative d'incendie de cellule. Aucun départ de feu n'avait été constaté par les surveillants après le premier déclenchement de l'alarme incendie à 20h01 par une cigarette allumée. En outre, la garde des sceaux indique en défense, sans être contestée, qu'il est habituel pour les personnes détenues de déclencher sciemment les détecteurs de fumée afin de manifester leur mécontentement. L'administration pénitentiaire n'a donc pas commis de faute en estimant, dans les circonstances de l'espèce, que ce seul fait ne constituait pas un motif de sécurité justifiant de retirer son briquet au détenu.
6. Lors de l'admission de Yohann C... au centre pénitentiaire de Perpignan, le 9 novembre 2011, l'administration pénitentiaire a procédé à une " évaluation du potentiel suicidaire ", par laquelle elle a relevé, au titre des facteurs sanitaires, la présence d'addictions et des antécédents d'automutilation, sans autre signe suicidaire. Il ne résulte pas de l'instruction que l'addiction relevée ait porté sur d'autres substances que le tabac, ou que les gestes d'automutilation commis par le passé aient été motivés par une intention suicidaire. Il a en outre réalisé le 10 novembre 2011 un entretien d'accueil avec un infirmier du service médico-psychologique régional. L'évaluation a été actualisée le 22 novembre 2011 avant le placement en cellule disciplinaire par un entretien au cours duquel le détenu a indiqué n'avoir aucun problème particulier. Il avait en outre bénéficié d'un suivi psychologique, dont une visite réalisée le 31 août 2011, et une reprise du suivi médical était prévue, sans qu'aucun caractère d'urgence n'ait été noté. En tout cas, il ne ressort pas des pièces au dossier que ce suivi ait été motivé par des troubles suicidaires. Ainsi, et à supposer même que l'incendie ait en réalité constitué une tentative de suicide, le comportement antérieur du détenu ne pouvait laisser présager l'imminence d'un passage à l'acte.
7. Il suit de là que l'administration pénitentiaire compte tenu des informations dont elle disposait, en particulier sur les antécédents de l'intéressé, son comportement et son état de santé, n'a pas commis de faute de nature en le plaçant en cellule disciplinaire, d'une part, et en s'abstenant de lui retirer pour des motifs de sécurité le briquet et les produits de tabac dont il disposait.
En ce qui concerne les autres fautes invoquées :
8. La garde des sceaux a produit en première instance un extrait du cahier des clauses techniques particulières (CCTP), de l'accord-cadre conclu en 2009 en vue de la fourniture de matelas housses anti-feu, qui comporte des spécifications sur leur résistance au feu. Il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas allégué, que les modèles offerts en réponse à ce marché n'auraient pas été adaptés, eu égard notamment aux caractéristiques comparées des différents modèles de matelas et de housses techniquement réalisables. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il résulte de l'instruction, notamment du rapport établi par le directeur du centre pénitentiaire le 25 novembre 2011 et de la fiche de transmission du 13 janvier 2012, que c'est bien un modèle acquis en 2010 en application de ce marché qui équipait la cellule disciplinaire où Yohann C... avait été placé.
9. Enfin, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le fait que la grille intérieure de la cellule se soit gondolée sous l'effet de la chaleur provoquée par l'incendie du matelas placé contre celle-ci par le détenu, ce qui a retardé l'intervention des surveillants, ne révèle pas une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, ni en tout état de cause un manquement aux stipulations de l'article 2 de la convention européenne des stipulations de l'article 2 selon lesquelles " La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. ".
10. Il résulte de ce qui précède que Mme G... et Mmes C... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leur demande.
Sur les frais liés au litige :
11. L'Etat, qui n'est pas tenu aux dépens, n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font en conséquence obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par Me A... sur leur fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme G... et autres est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... G..., à Mme H... C..., à Mme E... C..., à Me A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 6 juillet 2020, où siégeaient :
- M. D..., président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- Mme I..., première conseillère.
Lu en audience publique le 17 juillet 2020.
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N° 18MA01230