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22/06/2020 | FRANCE | N°19MA05540-19MA05541

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 22 juin 2020, 19MA05540-19MA05541


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 4 mai 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est lui a retiré son agrément en qualité d'aumônier à compter du 14 mai 2018, d'enjoindre au ministre de la justice de réexaminer sa situation et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1800741 du 17 octobre 2019, le tribunal adminis

tratif de Bastia a annulé la décision du 4 mai 2018 par laquelle le directeur in...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... F... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 4 mai 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est lui a retiré son agrément en qualité d'aumônier à compter du 14 mai 2018, d'enjoindre au ministre de la justice de réexaminer sa situation et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1800741 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Bastia a annulé la décision du 4 mai 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est a retiré l'agrément délivré à M. F... et enjoint au directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille de procéder au réexamen de la situation de M. F... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la Cour :

I- Par un recours enregistré le 17 décembre 2019 sous le numéro 19MA05541, la garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 octobre 2019 du tribunal administratif de Bastia ;

2°) de rejeter les conclusions de M. F....

Elle soutient que le comportement de M. F... et les faits qui lui sont reprochés justifient la mesure prise à son encontre.

II- Par un recours enregistré sous le numéro 19MA05540 le 17 décembre 2019, la garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement du 17 octobre 2019 du tribunal administratif de Bastia.

Elle soutient que :

- sa requête contient des moyens sérieux et le jugement est susceptible d'avoir des conséquences difficilement réparables ;

- le comportement de M. F... et les faits qui lui sont reprochés justifient la mesure prise à son encontre.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- et les observations de M. B..., représentant la garde des sceaux, ministre de la justice, et de Me C..., représentant M. F....

Considérant ce qui suit :

1. Les affaires n°19MA05540 et n°19MA05541 ont fait l'objet d'une instruction commune et concernent une même décision administrative. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par une seule décision.

Sur l'affaire n° 19MA05541 :

2. La garde des sceaux, ministre de la justice, sous le n°19MA05541, relève appel du jugement du 17 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé la décision du 4 mai 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille a retiré l'agrément délivré à M. F... et enjoint de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

3. Aux termes de l'article D. 439 du code de procédure pénale : " L'agrément des aumôniers est délivré par le directeur interrégional des services pénitentiaires après avis du préfet du département dans lequel se situe l'établissement visité, sur proposition de l'aumônier national du culte concerné. (...) ". Aux termes de ceux de l'article D. 439-3 du même code : " Les aumôniers et les auxiliaires bénévoles d'aumônerie ne doivent exercer auprès des détenus qu'un rôle spirituel et moral en se conformant aux dispositions du présent titre et au règlement intérieur de l'établissement. ".

4. Pour retirer l'agrément de M. F... en qualité d'aumônier des établissements pénitentiaires de Corse au titre du culte musulman, le directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est s'est fondé sur des faits survenus lors d'une réunion publique le 15 février 2016, sur des faits le mettant en cause en juin 2016, sur des faits survenus au sein de la maison d'arrêt de Borgo les 29 avril et 15 mai 2016, sur la tentative d'assassinat dont ont fait l'objet deux surveillants de la maison d'arrêt de Borgo le 19 janvier 2018 et sur le fort risque de trouble à l'ordre public généré par ces faits.

5. En premier lieu, la ministre reproche l'incident intervenu le 15 février 2016, dans le cadre d'une réunion publique tenue dans l'école des jardins de l'empereur, à Ajaccio, à l'initiative des autorités de l'administration scolaire afin de répondre à des incidents pouvant révéler des difficultés dans les relations entre de jeunes garçons et de jeunes filles. Mais, il ressort des pièces du dossier que M. F... a tenu, durant cette réunion, des propos d'apaisement, relativisant les obligations religieuses des enfants. S'il a refusé de serrer la main d'une institutrice, et non pas de " plusieurs femmes " comme le fait valoir l'administration, cet évènement est isolé et l'intéressé l'a publiquement regretté, indiquant ne pas souhaiter le renouveler.

6. En deuxième lieu, la ministre ne produit en appel, pas davantage qu'en première instance, d'éléments permettant d'établir que M. F... aurait délibérément méconnu des directives de l'administration en ce qui concerne l'obligation de pratiquer le culte dans la salle de spectacle durant les mois de mai et juin 2016. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que l'intéressé aurait continué à mener des entretiens individuels en dépit des consignes de l'administration pénitentiaire, et alors même, au demeurant, que le droit de mener de tels entretiens est garanti par les dispositions de l'article R. 59-3-6 du code de procédure pénale qui prévoient : " Les personnes détenues peuvent s'entretenir, à leur demande, aussi souvent que nécessaire, avec les aumôniers de leur confession. Aucune mesure ni sanction ne peut entraver cette faculté. / L'entretien a lieu, en dehors de la présence d'un surveillant, soit dans un parloir, soit dans un local prévu à cet effet, soit dans la cellule de la personne détenue et, si elle se trouve au quartier disciplinaire, dans un local déterminé par le chef d'établissement... ". En outre, la ministre n'établit pas la réalité des propos d'un détenu qui aurait considéré comme " choquant " les paroles de M. F... dont la consistance n'est au demeurant pas citée.

7. En troisième lieu, comme l'a jugé le tribunal, si le requérant a effectivement été entendu par les services de la direction régionale de la police judiciaire concernant des faits d'association de malfaiteurs, suite à un signalement auprès du procureur de la république d'Ajaccio relatif à un projet d'attentat visant des établissements de nuit dans la région de Porto-Vecchio et Porticcio, M. F... a fait valoir devant le tribunal, sans être contredit, qu'il s'est rendu à une convocation consistant en une audition libre, et n'a jamais été placé en garde-à-vue à l'issue de cette audition. L'administration ne soutient pas que M. F... aurait par la suite été inquiété par la justice.

8. En quatrième lieu, le recours fait état de ce que plusieurs articles de presse ont révélé que M. F... faisait l'objet d'une inscription au " fichier S ". Mais en tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette inscription serait justifiée par d'autres faits que ceux rapportés ci-dessus, ni par des risques, du reste non établis de troubles à l'ordre public. Précisément, comme indiqué au point 8 du jugement attaqué, les éléments contenus dans la note du 9 décembre 2016 du service de coordination pour la sécurité en Corse et dans la note intitulée " analyse de situation, Aumônerie musulmane Borgo au 20.10.2017 " qui retracent le parcours de M. F... et l'historique des signalements dont il a fait l'objet depuis 2011 en évaluant le niveau de risque présenté par l'intéressé, ne sont pas de nature à établir le risque de radicalisation allégué. La note du 9 décembre 2016 précisant même que les investigations n'avaient pour l'heure rien démontré. De surcroît, M. F... a produit en première instance plusieurs attestations, notamment de M. Mesghati, président du conseil régional du culte musulman et de M. G..., qui indiquent qu'il intervient depuis de nombreuses années auprès de la communauté musulmane, et au sein d'associations et d'établissements pénitentiaires, sans aucune difficulté.

9. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que le directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est aurait pris la même décision de retrait d'agrément s'il ne s'était appuyé que sur les faits survenus lors de la réunion publique du 15 février 2016.

10. Au total, la ministre de la justice n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé la décision du 4 mai 2018 pour inexactitude matérielle des faits et pour erreur d'appréciation.

Sur l'affaire n° 19MA05540 :

11. Le présent arrêt se prononçant sur le fond de cette affaire, les conclusions tendant au sursis à exécution du jugement deviennent sans objet.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur le recours n° 19MA05540.

Article 2 : Le recours n° 19MA05541 de la garde des sceaux, ministre de la justice est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F... et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 8 juin 2020, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. D..., président assesseur,

- Mme E..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juin 2020.

2

N° 19MA05540 - 19MA05541


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA05540-19MA05541
Date de la décision : 22/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-03-11 Droits civils et individuels. Libertés publiques et libertés de la personne. Droits de la personne.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: M. Laurent MARCOVICI
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : GUEZ GUEZ ; GUEZ GUEZ ; GUEZ GUEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-06-22;19ma05540.19ma05541 ?
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