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03/03/2020 | FRANCE | N°19MA03476

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 03 mars 2020, 19MA03476


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'Exploitation des Etablissements Coltam et la société Swiss Life Assurances de biens ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Tourettes à leur verser respectivement la somme de 5 340,30 euros et la somme de 362 985,55 euros, à la suite de l'incendie qui s'est déclaré le 12 juin 2004 au sein de ces établissements, en réparation de leurs préjudices, assorties des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1603868 du 23 mai

2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la requête, a mis les dépens à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'Exploitation des Etablissements Coltam et la société Swiss Life Assurances de biens ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Tourettes à leur verser respectivement la somme de 5 340,30 euros et la somme de 362 985,55 euros, à la suite de l'incendie qui s'est déclaré le 12 juin 2004 au sein de ces établissements, en réparation de leurs préjudices, assorties des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1603868 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la requête, a mis les dépens à la charge définitive des intéressées et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 23 juillet 2019, le 10 janvier 2020 et le 6 février 2020, la société d'Exploitation des Etablissements Coltam et la compagnie Swiss Life Assurances de biens, représentées par Me C..., dans le dernier état de leurs écritures, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 mai 2018 du tribunal administratif de Toulon ;

2°) de condamner la commune de Tourettes à verser à la compagnie Swiss Life Assurances de biens la somme de 362 985,55 euros ;

3°) de condamner la commune de Tourettes à verser à la société d'Exploitation des Etablissements Coltam la somme de 5 340,30 euros ;

4°) d'assortir ces sommes de l'intérêt au taux légal au 28 décembre 2012 capitalisé au 28 décembre 2013 ;

5°) de condamner la commune de Tourettes aux dépens ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Tourettes la somme de 5 000 euros à verser à la compagnie Swiss Life Assurances de biens et à la société d'Exploitation des Etablissements Coltam en vertu de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- leur action en responsabilité est recevable puisque leur recours a été enregistré auprès du tribunal administratif de Toulon le 29 décembre 2016, soit avant l'entrée en vigueur au

1er janvier 2017 du décret " Jade " ;

- la jurisprudence " Czabaj " ne concerne pas le contentieux indemnitaire, et seule leur est opposable la prescription quadriennale, qui en l'espèce est à écarter puisqu'interrompue le

31 octobre 2008 par le référé expertise relatif à l'incendie du 12 juin 2004 et réenclenchée au lendemain du jour du dépôt du 29 avril 2013 du rapport de l'expert ;

- la nouvelle expertise sollicitée par la commune de Tourettes est inutile ;

- le lien de causalité entre l'aggravation des effets de l'incendie sur le bâtiment d'exploitation et l'insuffisance du débit d'eau est établi ; par suite le dysfonctionnement du réseau d'incendie est avéré ;

- la société Coltam n'a commis aucune faute de nature à amoindrir la responsabilité de la commune de Tourettes tirée d'un délai de 11 minutes entre le 1er départ de feu et la réception de la demande de secours ;

- les préjudices demandés sont pleinement justifiés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2019, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Var, représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation des appelantes à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable. La réclamation indemnitaire a été adressée à la commune le 28 décembre 2012. Une décision implicite de rejet est née un an plus tard le 28 février 2014. Par suite, la requête enregistrée le 29 décembre 2016 au greffe du tribunal administratif de Toulon est manifestement tardive ;

- aucune défaillance de la part du SDIS dans le traitement de l'incendie n'est établie ;

- la société Coltam ne justifie pas la pertinence de la somme de 5 360 euros, réclamée au motif qu'elle n'aurait pas été indemnisée par son assureur ;

- la somme réclamée par la société Swiss Life Assurances de biens d'un montant global de 362 983 euros ne saurait représenter le préjudice uniquement lié à l'aggravation de l'incendie du fait d'une éventuelle défaillance de la distribution d'eau, faute notamment de la présence de l'inventaire des matériels concernés avec leur valeur.

Par ordonnance du 10 janvier 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 10 février 2020 à 12h00.

Le 31 janvier 2020, il a été demandé à la société d'Exploitation des Etablissements Coltam et à la société Swiss Life Assurances de biens, de compléter l'instruction de l'instance par le chiffrage du préjudice résultant des matériels détruits et placés hors des zones 1 et 2 du bâtiment incendié le 12 juin 2004.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2020, la commune de Tourrettes, représentée par Me A..., conclut :

- à titre principal, au rejet de la requête ;

- à titre subsidiaire, à ce que le service départemental d'incendie et de secours du Var la garantisse de toute condamnation ;

- à ce qu'il soit ordonné une expertise avant dire droit ;

- à ce qu'il soit mis à la charge des appelantes la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative .

La commune de Tourrettes soutient que les moyens soulevés sont infondés, et à titre subsidiaire, qu'il y a lieu d'ordonner une expertise afin de déterminer la cause de l'incendie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant la société d'Exploitation des Etablissements Coltam et la société Swiss Life Assurances de biens et de Me D..., représentant le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Var.

Considérant ce qui suit :

1. La société d'Exploitation des Etablissements Coltam et la société Swiss Life Assurances de biens, subrogée dans ses droits, ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Tourettes à leur verser respectivement la somme de 5 340,30 euros et la somme de 362 985,55 euros en réparation des préjudices nés de l'incendie d'un bâtiment à usage de location de matériels de BTP et de jardinage. Par un jugement n° 1603868 du 23 mai 2019, dont les deux sociétés font appel, le tribunal administratif de Toulon a rejeté leur requête et a mis les dépens à leur charge définitive.

Sur l'exception d'irrecevabilité :

2. Il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique.

3. Il résulte du point 2 que l'impossibilité d'exercer un recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable, fixé à un an sauf circonstances exceptionnelles, ne s'applique pas aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique. Par voie de conséquence, c'est à tort que les premiers juges ont accueillis la fin de non-recevoir opposée en défense par le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Var tirée de la tardiveté des conclusions indemnitaires de la requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulon le 29 décembre 2016. Il y a lieu d'annuler le jugement attaqué et de statuer par la voie de l'évocation sur les conclusions de ladite requête.

Sur les conclusions indemnitaires :

4. La société d'Exploitation des Etablissements Coltam exploite sous l'enseigne Mat'Loc' une activité de location de machines et équipements pour la construction et le jardinage dans un bâtiment qu'elle loue sur la commune de Tourrettes. Le samedi 12 juin 2004 vers 20h, un incendie s'est déclaré dans cet immeuble. Les sociétés requérantes recherchent la responsabilité de la commune de Tourrettes, qui a appelé en garantie le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Var, en réparation des dommages subis par ce bâtiment et les matériels qu'il abritait, en raison de l'aggravation des conséquences de ce feu du fait de la défaillance des moyens de lutte contre l'incendie mis à la disposition des pompiers par la commune. Il est constant qu'un seul poteau d'incendie situé à plus de 200 mètres du bâtiment en cause permettait le raccordement à l'eau des matériels des pompiers, alors que le plan cadastral mentionne un poteau d'incendie situé à environ 50 mètres de l'entrée du bâtiment, inexistant en réalité. Il résulte de l'instruction qu'à 19h48 l'alarme incendie du bâtiment s'est déclenchée, suivie d'une intervention sur place pour vérifier la réalité de l'alerte par la vue de fumées, et que le service d'incendie et de secours a été appelé à 19h59. Les pompiers qui sont arrivés à 20h08 ont dû faire face à un feu déjà monté en puissance se propageant verticalement par rapport à

son environnement immédiat. A 20h10, une lance alimentée par un engin mobile est mise en batterie pour ne plus être alimentée à 20h14, faute d'eau. A 20h18, une lance est activée par alimentation sur le poteau d'incendie. En raison de la présence d'un seul poteau d'incendie sur

le secteur, des engins supplémentaires sont demandés à 20h18, alors qu'à 20h23 est posé le constat du percement de la toiture d'une partie de la mezzanine et du bâtiment nord.

Sont finalement mises en oeuvre quatre lances à incendie. Il est constaté à 20h37 une brusque chute de pression et de débit d'eau, qui a pour effet de réactiver l'incendie. Les moyens de lutte contre le feu sont alors réorganisés en fonction de l'eau disponible à partir des engins présents. A 20h40, l'eau arrive normalement à nouveau, et le feu est circonscrit à 20h48-20h49 pour être éteint à 21h52, les opérations étant terminées à 00h44. L'origine du feu est déclarée accidentelle sans avoir pu être caractérisée.

En ce qui concerne la somme demandée par la Société Swiss Life Assurances de biens :

5. La société Swiss Life Assurances de biens chiffre son préjudice à 362 983,55 euros qui correspond à la somme globale qu'elle a versée à la société d'Exploitation des Etablissements Coltam au titre de l'ensemble des dommages constatés à la suite de l'incendie du bâtiment, laquelle somme a été évaluée contradictoirement entre son expert technique et celui de la société d'Exploitation des Etablissements Coltam. L'expert mandaté par le tribunal administratif de Toulon n'a pas donné d'estimation du montant du préjudice, faute d'avoir pu établir un constat des dégâts matériels des lieux puisqu'à la date de son intervention, le bâtiment avait été reconstruit, outre qu'il n'a pas accédé à une liste précise des matériels détruits. Il résulte néanmoins des termes de son rapport que " dans l'absolu, la permanence de l'eau aurait pu permettre de limiter l'engagement des moyens à l'intérieur du local et très certainement de limiter, voire d'empêcher l'effet de gouttes enflammées et donc la mise à feu des matériels placés hors zone 1 et 2 ". Il résulte ainsi de l'instruction, que le préjudice indemnisable en raison de l'incendie par lequel la société recherche en responsabilité la commune de Tourrettes, porte sur l'ensemble des matériels placés hors zone 1 et 2, touchés voire détruits par la chute de gouttes enflammées, sur les 5 zones correspondant aux 5 phases du processus de propagation de l'incendie. Faute pour la société de faire connaître au juge le quantum exact des préjudices résultant de la perte des matériels cités ci-avant, la Cour s'estimant insuffisamment éclairée sur la somme susceptible d'être attribuée à la société Swiss Life Assurances de biens a demandé aux deux sociétés appelantes, le 31 janvier 2020, de compléter l'instruction de leur requête par le chiffrage du préjudice résultant des matériels détruits et placés hors des zones 1 et 2 du bâtiment incendié le 12 juin 2004. Le mémoire produit le 6 février 2020 par la société d'exploitation des établissements Coltam et la société Swiss life Assurances de biens n'a pas permis de préciser l'étendue du préjudice dont se prévaut la compagnie d'assurance. Dans ces conditions, les conclusions indemnitaires qu'elle présente, en l'absence de tout élément permettant d'apprécier le quantum exact de son préjudice, ne peuvent être accueillies.

En ce qui concerne la somme demandée par la société d'Exploitation des Etablissements Coltam :

6. La société d'Exploitation des Etablissements Coltam demande le versement de la somme de 5 340,63 euros, représentative de la quote-part de son préjudice qui n'a pas été pris en compte par l'indemnité d'assurance versée, en considération des stipulations du contrat d'assurance souscrit. L'appelante ne produit aucune pièce permettant d'établir la réalité de la perte qu'elle invoque liée à l'incendie et qui devrait être réparée par une somme déterminée uniquement en raison des clauses restrictives du contrat la liant à son assureur. Par suite, ce chef de préjudice sans lien direct et certain avec la perte des matériels placés hors zone 1 et 2 n'est pas indemnisable.

Sur les intérêts :

7. Les conclusions indemnitaires ayant été rejetées, celles portant sur l'application des intérêts légaux et de leur capitalisation ne peuvent également qu'être rejetées.

Sur les frais d'expertise :

8. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) " ;

9. Il y a lieu de mettre à la charge définitive de la société Swiss Life Assurances de biens et de la société d'Exploitation des Etablissements Coltam les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal de Toulon par décision du 8 décembre 2008.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la commune de Tourrettes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance supporte la charge des frais exposés par les appelantes et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge des sociétés d'Exploitation des Etablissements Coltam et Swiss Life Assurances de biens les sommes demandées par la commune de Tourrettes et le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Var.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1603868 du 23 mai 2019 du tribunal administratif de Toulon est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Swiss Life Assurances de biens et la société d'Exploitation des Etablissements Coltam devant le tribunal administratif de Toulon est rejetée.

Article 3 : La requête de la société Swiss Life Assurances de biens et de la société d'Exploitation des Etablissements Coltam, est rejetée.

Article 4 : Les frais d'expertise sont mis à la charge définitive de la société Swiss Life Assurances de biens et de la société d'Exploitation des Etablissements Coltam.

Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Tourrettes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6: Les conclusions présentées par le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Var au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'Exploitation des Etablissements Coltam, à la compagnie Swiss Life Assurance de biens, à la commune de Tourrettes et au service départemental d'incendie et de secours du Var.

Copie en sera adressée à l'expert.

Délibéré après l'audience du 11 février 2020, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. B..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 mars 2020.

N° 19MA034762


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA03476
Date de la décision : 03/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-01-02 Travaux publics. Notion de travail public et d'ouvrage public. Ouvrage public.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : CABINET LAURENT FAVET

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-03-03;19ma03476 ?
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