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23/01/2020 | FRANCE | N°18MA03180

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 23 janvier 2020, 18MA03180


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Montpellier à lui verser la somme de 26 223,66 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, au titre des préjudices qu'il estime avoir subis à la suite de sa prise en charge par cet établissement le 20 décembre 2010.

Par un jugement n° 1701879 du 15 mai 2018, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le CHRU de Montpellier à verser

à M. C... la somme de 2 828,23 euros avec intérêts au taux légal et capitalisati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Montpellier à lui verser la somme de 26 223,66 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, au titre des préjudices qu'il estime avoir subis à la suite de sa prise en charge par cet établissement le 20 décembre 2010.

Par un jugement n° 1701879 du 15 mai 2018, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le CHRU de Montpellier à verser à M. C... la somme de 2 828,23 euros avec intérêts au taux légal et capitalisation ainsi qu'une somme de 67,20 euros au titre des dépens.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 juillet 2018, M. C..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 15 mai 2018 en tant que ce jugement a limité l'indemnité au versement de laquelle le CHRU de Montpellier a été condamné à la somme de 2 828,23 euros ;

2°) de porter à la somme de 26 223,66 euros, avec intérêts au taux légal, le montant de cette indemnité ;

3°) de mettre à la charge du CHRU de Montpellier au profit de Me A..., qui s'engage à renoncer à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle, la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les premiers juges ont insuffisamment motivé leur jugement en ce qui concerne le préjudice d'impréparation ;

- le CHRU de Montpellier a commis une faute dans le choix de la technique opératoire retenue ;

- le taux de perte de chance doit être fixé à 90 % ;

- il a droit à la réparation de son préjudice d'impréparation à hauteur de 10 000 euros, de son préjudice matériel du fait de frais divers à hauteur de 723,66 euros, des souffrances endurées à hauteur de 2 500 euros, du préjudice esthétique temporaire à hauteur de 3 500 euros, du préjudice lié aux dépenses de santé futures à hauteur de 4 000 euros, du préjudice esthétique permanent à hauteur de 2 500 euros, et des préjudices d'agrément et d'établissement à hauteur de 3 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2019, le CHRU de Montpellier, représenté par Me D..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. C... ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réduire le montant de l'indemnité allouée.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés ;

- les indemnisations accordées au titre des souffrances endurées et des préjudices esthétiques temporaire et permanent sont excessives.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme qui n'a pas produit de mémoire.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 septembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F...,

- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,

- et les observations de Me A... représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... relève appel du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 15 mai 2018 en tant que ce jugement a limité l'indemnité au versement de laquelle le CHRU de Montpellier a été condamné en réparation de ses préjudices à la somme de 2 828,23 euros. Les premiers juges ont également condamné le CHRU de Montpellier à verser au requérant une somme de 67,20 euros au titre des dépens. M. C... demande que son indemnisation soit portée à 26 223,66 euros. Par la voie de l'appel incident, le CHRU de Montpellier demande la réduction du montant de l'indemnité allouée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il résulte des termes de l'acte introductif d'instance devant le tribunal que M. C... n'a alors pas demandé la réparation d'un préjudice d'impréparation, mais celle d'un " préjudice autonome d'atteinte à l'intégrité physique, garantie par les dispositions de l'article 16-3 du code civil ". Les premiers juges ont rejeté cette demande au point 10 de leur jugement, auquel il ne saurait être reproché un défaut de motivation à propos d'une demande qui n'était pas présentée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité :

S'agissant de la responsabilité pour faute dans le choix de la technique opératoire :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier le 18 septembre 2012, que le chirurgien opérateur a retenu, parmi les deux techniques possibles pour réaliser la réduction mammaire de traitement de la gynécomastie graisseuse importante dont souffrait M. C..., la technique dite " de Thorek " à cicatrices horizontales sous-mammaires et non celle avec cicatrices en T inversés. Il résulte encore de l'instruction qu'un tel choix, s'il pouvait être discuté dans le cas de M. C..., en particulier du point de vue d'une éventuelle meilleure acceptation de la rançon cicatricielle, ne présente toutefois pas un caractère fautif. Ce choix n'est, en tout état de cause, pas à l'origine des séquelles cicatricielles dont M. C... se plaint dès lors, d'une part, que tout type d'intervention de réduction mammaire implique de façon inévitable l'existence de cicatrices et, d'autre part, que M. C... est atteint d'une forme de lipomatose avec répartition non homogène des masses graisseuses qui a une influence sur l'aspect des cicatrices. Dès lors, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté l'existence d'une faute dans le choix de la technique opératoire.

S'agissant du défaut d'information :

5. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...). Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel (...) ". S'agissant d'un acte médical à visée esthétique, l'obligation d'information du patient est renforcée et doit porter sur les risques et inconvénients de toute nature susceptibles d'en résulter.

6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le CHRU de Montpellier n'a pas complètement informé M. C..., qui était alors sous curatelle renforcée, des suites cicatricielles de l'opération envisagée eu égard à la technique employée. C'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont retenu que sa responsabilité était engagée du fait de ce défaut d'information.

En ce qui concerne la perte de chance :

7. La réparation du dommage résultant pour le patient de la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est finalement réalisé doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudice subis.

8. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que, si une intervention chirurgicale de réduction mammaire n'était pas impérieusement requise, elle était néanmoins le seul moyen de traiter la gynécomastie graisseuse importante à laquelle M. C... voulait qu'il soit remédié. Une telle intervention de réduction mammaire aboutit à l'existence de cicatrices quelle que soit la technique utilisée, ainsi que cela a été exposé au point 4. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la fraction du préjudice correspondant à la perte de chance du requérant de refuser l'intervention devait être fixée à 50% des différents chefs de préjudice subis.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

Quant aux frais divers et des frais de déplacement :

9. Avant application du taux de perte de chance, les premiers juges ont condamné le CHRU de Montpellier à payer à M. C... les frais postaux, de photographies et de médecin-conseil pour le montant total dont il demande réparation. Ils ont également, au titre des dépens condamné cet établissement à payer à M. C... la totalité des frais de déplacement dont il demande le remboursement.

Quant aux dépenses de santé futures :

10. L'engagement par M. C... de frais au titre d'une opération de chirurgie réparatrice future ne présente pas un caractère certain. C'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande présentée par le requérant sur ce point.

S'agissant des préjudices extra patrimoniaux :

Quant au préjudice d'impréparation :

11. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques encourus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.

12. M. C... demande la réparation d'un préjudice d'impréparation en se bornant à soutenir que la souffrance morale se présume. Toutefois, une telle présomption n'est pas irréfragable et il n'existe aucune automaticité de l'indemnisation. Il résulte de l'instruction, d'une part, ainsi que cela a été exposé au point 4, que l'existence de cicatrices à la suite d'une résection mammaire est inhérente à la réalisation d'une telle intervention quelle que soit la technique utilisée et que M. C... est atteint d'une forme de lipomatose avec répartition non homogène des masses graisseuses qui a une influence sur l'aspect des cicatrices, et, d'autre part, que l'expert a également relevé qu'il n'était pas certain que la rançon cicatricielle en " T inversés " aurait été mieux acceptée. La requête de M. C... n'étant aucunement étayée pour justifier ce préjudice d'impréparation, sa demande présentée sur ce point doit, dans ces conditions, être rejetée.

Quant aux souffrances endurées :

13. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les souffrances endurées par M. C... ont été évaluées à 2 sur une échelle allant de 1 à 7. L'allocation à ce titre par les premiers juges d'une somme de 2 000 euros avant application du taux de perte de chance n'est ni insuffisante ni excessive.

Quant aux préjudices esthétiques temporaire et permanent :

14. L'expert a évalué à 3 sur 7 le préjudice esthétique temporaire de M. C... et à 2 sur 7 son préjudice esthétique permanent. L'allocation à ce titre par les premiers juges de sommes respectives de 1 000 euros et de 2 000 euros avant application du taux de perte de chance n'est ni insuffisante ni excessive.

Quant aux préjudices d'agrément et d'établissement :

15. Il ne résulte pas de l'instruction que M. C... subit un quelconque préjudice d'agrément ni un préjudice d'établissement. Les demandes présentées à ce titre doivent donc être rejetées.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... et le CHRU de Montpellier ne sont pas fondés à demander la réformation du jugement attaqué.

Sur les frais liés à l'instance :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce qu'il soit mis à la charge du CHRU de Montpellier une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le CHRU de Montpellier par la voie de l'appel incident sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au centre hospitalier régional universitaire de Montpellier, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Drôme et à Me A....

Délibéré après l'audience du9 janvier 2020 , où siégeaient :

- M. Alfonsi, président de chambre,

- Mme F..., présidente assesseure,

- M. Sanson, conseiller.

Lu en audience publique, le23 janvier 2020.

La rapporteure,

signé

K. F...Le président,

signé

J.-F. ALFONSILa greffière,

signé

M. E...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 18MA03180


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA03180
Date de la décision : 23/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-01-04 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. Existence d'une faute. Manquements à une obligation d'information et défauts de consentement.


Composition du Tribunal
Président : M. ALFONSI
Rapporteur ?: Mme Karine JORDA-LECROQ
Rapporteur public ?: M. ARGOUD
Avocat(s) : GEORGES MAURY et ANTOINE MAURY AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-01-23;18ma03180 ?
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