Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 2 novembre 1994 par laquelle le directeur du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice l'a placée en disponibilité d'office entre le 15 septembre 1994 et le 1er novembre 1998, de mettre à la charge du CHU de Nice la somme de 374 657 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de cette décision et d'enjoindre à l'établissement de régulariser la validation de ses droits à la retraite pour la période du 15 septembre 1994 au 1er novembre 1998 à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1503378 du 16 février 2018, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 11 mai 2018 et 25 septembre 2019, Mme D..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 16 février 2018 ;
2°) d'annuler la décision du directeur du centre hospitalier universitaire de Nice du 2 novembre 1994 ;
3°) de condamner le CHU de Nice à lui verser la somme totale de 294 653 euros en réparation des préjudices subis du fait de cette décision ;
4°) d'enjoindre au CHU de procéder à la régularisation de ses droits à la retraite au titre de la période pendant laquelle elle a été placée en disponibilité d'office, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Nice le paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif n'a pas précisé à quelle date la décision litigieuse lui avait été notifiée ;
- contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, elle n'a découvert les conséquences de son placement en disponibilité sur sa pension qu'à la date de sa liquidation, au cours de l'année 2015, de sorte qu'aucun délai de prescription quadriennale n'a pu courir avant cette date ;
- il n'est pas justifié de la compétence de l'auteur de la décision litigieuse ;
- cette décision ne mentionne pas les voies et délais de recours ;
- l'administration a méconnu les circulaires du 13 septembre 1995 et du 16 avril 1996, prises pour l'application des articles 55 et 56 de la loi du 9 janvier 1986, aucune preuve de la suppression de son emploi n'étant apportée par le CHU ;
- elle a également méconnu l'article 93 de cette loi, dès lors qu'elle n'a pas recherché si un emploi équivalent pouvait lui être proposé et que sa rémunération principale n'a pas été maintenue le temps de procéder à ces recherches ; à cet égard, contrairement à ce qu'ont indiqué les premiers juges, elle n'a pas été passive face aux démarches diligentées par le CHU pour la réintégrer dans ses services ;
- en omettant de lui proposer une réintégration à l'issue de son détachement à la commune de Nice, le directeur du CHU a également méconnu les articles 16 et 20 du décret du 13 octobre 1988 ;
- son préjudice financier lié à sa perte de rémunération s'élève à la somme de 108 745 euros ;
- elle a également été contrainte de vendre un appartement acquis afin de compléter sa retraite par des revenus locatifs qu'il est raisonnable de penser qu'elle aurait perçus pendant dix-neuf ans, soit 136 800 euros ;
- le préjudice financier consécutif à la perte de ses droits à la retraite s'établit à la somme de 49 108 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2019, le CHU de Nice, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme D... le paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public ;
- et les observations de Me A..., représentant Mme D..., et de Me G..., représentant le CHU de Nice.
Deux notes en délibéré, produites pour Mme D..., ont été enregistrées les 24 et 26 décembre 2019.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., infirmière puéricultrice retraitée au CHU de Nice, relève appel du jugement du 16 février 2018 par lequel le tribunal a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 2 novembre 1994 du directeur de cet établissement la plaçant en disponibilité d'office entre le 15 septembre 1994 et le 1er novembre 1998, et d'autre part, à l'indemnisation des préjudices en lien avec cette décision.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 2 novembre 1994 :
2. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières établies par le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
3. La date à laquelle la décision du 2 novembre 1994 plaçant Mme D... en disponibilité d'office entre le 15 septembre 1994 et le 1er novembre 1998 lui a effectivement été notifiée n'est pas établie par l'administration. Mais, il ressort des pièces du dossier que Mme D... a nécessairement eu connaissance de cette décision au plus tard le 28 décembre 1998, date à laquelle elle a adressé un courrier au directeur du CHU de Nice dans lequel elle exposait que " Par décision en date du 2 novembre 1994, j'ai été informée qu'il est mis fin à compter du 15 septembre 1994 à mon détachement... ". Cette connaissance acquise suffit à permettre d'apprécier le délai raisonnable dont elle disposait pour se pourvoir contre cette décision. Il suit de là que les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 novembre 1994, présentées pour la première fois au greffe du tribunal administratif de Nice le 26 août 2015, étaient tardives et devaient, comme telles, être rejetées.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". En outre, aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".
5. Lorsqu'est demandée l'indemnisation du préjudice résultant de l'illégalité d'une décision administrative, le fait générateur de la créance doit être rattaché non à l'exercice au cours duquel la décision a été prise mais à celui au cours duquel elle a été valablement notifiée. La circonstance que cette notification n'a pas été accompagnée de la mention des voies et délais de recours, si elle fait obstacle, en vertu des textes applicables, à ce que le délai de recours contentieux puisse être opposé à une demande tendant à l'annulation de la décision en cause, est sans incidence pour l'application de la loi du 31 décembre 1968.
6. Ainsi que cela a été dit au point 3, Mme D... doit être regardée comme ayant eu connaissance de la décision à laquelle elle impute les préjudices qu'elle invoque au plus tard le 28 décembre 1998. Le délai de prescription quadriennale, qui a donc commencé à courir le 1er janvier de l'année suivante, a été interrompu par une contestation adressée par la requérante au CHU de Nice le 2 mai 1999 et a recommencé à courir le 1er janvier 2000 pour échoir le 31 décembre 2003. La requérante ne peut sérieusement soutenir qu'elle ignorait légitimement les conséquences qu'aurait cette décision sur sa situation pécuniaire et notamment sur le montant de sa pension de retraite, alors que la position de disponibilité dans laquelle elle la plaçait l'avait privée, de fait, de toute rémunération entre le 15 septembre 1994 et le 1er novembre 1998. Enfin, si elle invoque également son état de santé, elle n'établit pas, ni même n'allègue, qu'il caractériserait une force majeure au sens des dispositions précitées. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que les créances dont se prévalait Mme D... étaient prescrites.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
8. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions d'appel de Mme D..., n'implique aucune mesure d'exécution. Il s'ensuit que ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier universitaire de Nice, qui n'est pas partie perdante, la somme que demande Mme D... au titre des frais qu'elle a exposés. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de celle-ci le versement à cet établissement d'une somme de 1 000 euros à ce même titre.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Mme D... versera au centre hospitalier universitaire de Nice la somme de 1 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... épouse F... et au centre hospitalier universitaire de Nice.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme H..., présidente de la cour,
Mme I..., présidente-assesseure,
M. C..., conseiller,
Lu en audience publique, le 9 janvier 2020.
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No 18MA02202