Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 13 mars 2018, et un mémoire récapitulatif, enregistré le 9 mai 2019, la SAS Auredis, représentée par la SCP Bouyssou et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler la décision du 21 décembre 2017 par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a refusé d'autoriser l'extension de la surface de vente d'un hypermarché à l'enseigne " E. Leclerc " à la Colle-sur-Loup ;
2°) d'enjoindre à la CNAC de réexaminer sa demande dans un délai de quatre mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le recours formé devant la CNAC était irrecevable ;
- les membres de la CNAC n'ont pas été régulièrement convoqués ;
- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
- la CNAC a retenu à tort que le projet concerné et celui autorisé sur le même site en 2017 auraient dû faire l'objet d'une présentation unique ;
- il n'existe pas de risque de saturation des voies d'accès ;
- il n'y a pas d'atteinte à l'animation de la vie urbaine ;
- les intervenants en défense n'ont pas qualité pour demander au juge de procéder à une substitution de motifs.
Par un mémoire récapitulatif, enregistré le 7 mai 2019, la SAS Distribution Casino France, représentée par la SELARL Concorde avocats, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la SAS Auredis ;
2°) de mettre à la charge de la SAS Auredis la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par la SAS Auredis ne sont pas fondés ;
- la décision de refus pouvait encore être fondée sur d'autres motifs prévus à l'article L. 752-6 du code de commerce.
Par un mémoire récapitulatif, enregistré le 10 mai 2019, les SNC Juin Saint-Hubert, Juin Saint-Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean, représentées par Adden avocats, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la société Auredis ;
2°) de mettre à la charge de la société Auredis le versement de la somme de 5 000 euros à chacune en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les moyens soulevés par la SAS Auredis ne sont pas fondés ;
- la décision de refus pouvait encore être fondée sur d'autres motifs prévus à l'article L. 752-6 du code de commerce.
La requête a été communiquée à la CNAC, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., pour la société Auredis, de Me B..., pour la SNC Juin Saint-Hubert et autres, et de Me C..., pour la SAS Distribution Casino France.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Auredis exploite depuis 1999 un hypermarché sous l'enseigne " E. Leclerc " situé le long du boulevard Pierre Sauvaigo à la Colle-sur-Loup, d'une superficie de 3 261 mètres carrés. Par un permis de construire valant autorisation d'équipement commercial du 23 mai 2017, elle a été autorisée à créer un nouveau point permanent de retrait (" drive ") par le transfert du point de retrait existant sur des parcelles proches.
2. La SAS Auredis a ensuite demandé une extension de son autorisation d'équipement commercial pour la création d'une surface de vente supplémentaire de 1 672 mètres carrés par la restructuration du bâti existant. Ce projet a été autorisé par une décision du 15 septembre 2017 de la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) des Alpes-Maritimes. Par une décision du 21 décembre 2017, la CNAC a fait droit aux recours présentés par la SAS Distribution Casino France, d'une part, et par les SNC Juin Saint-Hubert, Juin Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean, d'autre part, et refusé de délivrer à la SAS Auredis l'autorisation demandée. La SAS Auredis demande l'annulation de cette décision.
Sur l'insuffisance de motivation de la décision attaquée :
3. Eu égards à la nature, à la composition et aux attributions de la Commission nationale d'aménagement commercial, les décisions qu'elle prend doivent être motivées.
4. Les motifs de la décision du 21 décembre 2017 comportent cinq paragraphes rédigés de la façon suivante :
" Considérant que le projet consiste en une extension de la surface de vente d'un hypermarché et en la régularisation d'une extension précédente effectuée dans le cadre de la loi de modernisation de l'économie ;
Considérant que le projet soumis à la CNAC fait suite à un projet de création d'un point permanent de retrait sur le même site qui a fait l'objet d'un avis favorable de la CDAC le 22 mai 2017 ; que les deux projets auraient dû faire l'objet d'une présentation unique ;
Considérant que les flux de véhicules, déjà importants sur les voies d'accès au site, seront encore augmentés par le projet ; que les voies d'accès risquent ainsi d'être saturées ; que la desserte du site par les modes doux est insuffisante ;
Considérant que le projet risque d'avoir un impact sur l'animation de la vie urbaine des communes de Vence et de la Colle-sur-Loup ;
Considérant qu'ainsi, ce projet ne répond pas aux critères énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce. "
5. Si la décision attaquée évoque l'augmentation des flux de véhicules et le risque de saturation des voies existantes, elle ne précise pas les éléments circonstanciés de fait que la CNAC a entendu retenir pour parvenir à cette conclusion au regard des études, avis et rapports produits devant elle, notamment suite à l'entrée en service récente d'un rond-point à proximité immédiate du site, dont les conséquences étaient discutées devant elle. Il en va de même s'agissant de la desserte du site par les modes doux, alors que ces mêmes documents font ressortir la présence d'une piste cyclable. La décision attaquée se borne ensuite à affirmer par une formulation générale que le projet, au demeurant situé en zone urbaine, aura un impact sur l'animation de la vie urbaine, sans préciser ni les activités affectées, ni les effets attendus, ni même si cet impact sera globalement positif ou négatif une fois l'ensemble de ces éléments pris en compte. Enfin, si la décision attaquée retient que le projet soumis à la CNAC aurait dû faire l'objet d'une présentation unique avec celui ayant fait l'objet du permis de construire du 23 mai 2017, elle ne précise pas les conséquences que la commission en a tiré sur l'examen du dossier, et, en particulier, si les conséquences sur les flux de circulation et sur la vie urbaine ont été examinées au regard des deux projets pris ensemble.
6. Faute d'une précision suffisante sur les circonstances de fait qu'elle a entendu retenir ou écarter au terme de l'instruction des recours dont elle était saisie, la CNAC, qui n'a par ailleurs pas produit de mémoire en défense dans la présente instance, n'a pas mis le juge de l'excès de pouvoir à même d'exercer son contrôle. Il suit de là que cette décision est insuffisamment motivée et que la SAS Auredis est fondée à en demander l'annulation. Il n'est dès lors pas nécessaire de se prononcer sur les autres moyens invoqués par la SAS Auredis.
Sur l'injonction :
7. L'exécution du présent arrêt implique que la CNAC réexamine les recours dont la SAS Distribution Casino France et les SNC Juin Saint-Hubert, Juin Saint-Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean l'ont saisie à l'encontre de la décision du 15 septembre 2017 de la CDAC des Alpes-Maritimes. Il y a lieu par suite, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la CNAC de procéder à ce réexamen dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à la SAS Auredis au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés.
9. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la SAS Distribution Casino France et les SNC Juin Saint-Hubert, Juin Saint-Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean sur le même fondement, la SAS Auredis n'étant pas partie perdante dans la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : La décision du 21 décembre 2017 de la CNAC est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la CNAC de réexaminer les recours de la SAS Distribution Casino France et de la SNC Juin Saint-Hubert, Juin Saint-Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la SAS Auredis la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la SAS Distribution Casino France et les SNC Juin Saint-Hubert, Juin Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Auredis, à la SAS Distribution Casino France, aux SNC Juin Saint-Hubert, Juin Saint-Hubert II, Saint-Jean, Saint-Jean II et les Terrasses Saint-Jean, à la Commission nationale d'aménagement commercial et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 4 novembre 2019, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. D..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 18 novembre 2019.
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N° 18MA01159