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19/09/2019 | FRANCE | N°19MA00371

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 19 septembre 2019, 19MA00371


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes, par deux actes introductifs d'instance, d'annuler les arrêtés du 15 février et du 3 octobre 2018 du préfet de Vaucluse refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et fixant le pays de destination et de lui enjoindre de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir.r>
Par un jugement n° 1800831, 1803453 du 20 décembre 2018, le tribunal administra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nîmes, par deux actes introductifs d'instance, d'annuler les arrêtés du 15 février et du 3 octobre 2018 du préfet de Vaucluse refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et fixant le pays de destination et de lui enjoindre de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 1800831, 1803453 du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ces demandes, en ce qui concerne l'arrêté du 15 février 2018, en tant seulement qu'il porte refus de séjour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 22 janvier 2019, 7 mars 2019 et 8 avril 2019, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 20 décembre 2018 ;

2°) d'annuler les arrêtés du préfet de Vaucluse du 15 février et du 3 octobre 2018, l'arrêté du 15 février 2018 en tant qu'il porte refus de séjour ;

3°) d'enjoindre au préfet de Vaucluse de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au profit de Me C..., qui s'engage à renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- les décisions portant refus de séjour contreviennent aux dispositions de l'article L. 313-11, 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle fait valoir des motifs exceptionnels et des considérations humanitaires au sens de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le préfet a entaché ses décisions d'une erreur de droit en opposant la possible réclamation de la protection de l'enfant par les autorités américaines ;

- sa fille risque de subir un traitement inhumain et dégradant en cas de retour au Mali ;

- elle-même n'a pas accès aux soins au Mali ;

- les arrêtés litigieux portent atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 13 mars 2019, le préfet de Vaucluse conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la requérante d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme D..., présidente-assesseure de la 2ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D..., rapporteure,

- et les conclusions de M. Argoud, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante malienne née le 14 août 1990, fait appel du jugement du 20 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 février 2018 du préfet de Vaucluse portant refus de séjour et de l'arrêté du 3 octobre 2018 du préfet de Vaucluse portant refus d'admission au séjour, obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Sur les décisions portant refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire français :

2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...) ". Mme A... se prévaut du risque encouru par sa fille, née le 10 mars 2009 aux Etats-Unis, du fait de la volonté de son époux et de sa belle-famille résidant au Mali de porter atteinte à l'intégrité physique de son enfant. Toutefois, cette circonstance relative à l'hypothèse d'un retour au Mali ne constitue pas une considération humanitaire ou un motif exceptionnel justifiant la délivrance d'une carte temporaire de séjour au titre de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit :/ (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la décision de refus de séjour du 3 octobre 2018 a été prise au vu de l'avis du 8 septembre 2018 du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, lequel a estimé que si l'état de santé de Mme A... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans son pays d'origine, elle peut effectivement y bénéficier d'un traitement approprié et que son état de santé lui permet de voyager sans risque. Mme A... n'apporte aucun élément relatif à son état de santé de nature à remettre en cause cette appréciation. Ses craintes en cas de retour au Mali relatives à l'intégrité physique de sa fille sont sans influence sur la légalité du refus de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée en France selon ses déclarations le 1er mars 2016, à l'âge de 26 ans, pour rejoindre sa fille arrivée sur le territoire national en 2013. Elle n'apporte toutefois aucun élément de nature à établir sa présence habituelle avant l'année 2018 et à supposer une telle présence établie, celle-ci serait récente à la date des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français contestées. Si la requérante fait valoir qu'elle a travaillé à compter du mois d'avril 2018, en particulier dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, que sa fille est scolarisée depuis 2013 et que sa soeur réside à Paris, elle n'établit pas l'existence de liens personnels et familiaux intenses, anciens et stables sur le territoire national. La cellule familiale qu'elle forme avec sa fille qui dispose de la nationalité américaine peut se reconstituer hors de France. Ainsi, le préfet de Vaucluse n'a pas, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Les moyens tirés de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

6. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces dispositions que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français litigieuses, qui n'ont, en particulier, ni pour objet ni pour effet de séparer Mme A... de sa fille, ne portent pas atteinte à l'intérêt supérieur de celle-ci. Le moyen, opérant à l'encontre de ces décisions, tiré de la violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 doit donc être écarté.

7. Enfin, la simple mention dans les arrêtés litigieux de la circonstance que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ont indiqué dans leurs décisions que la requérante pouvait solliciter la protection des Etats-Unis en faveur de sa fille n'est pas constitutive d'une erreur de droit.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

Sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête :

8. Mme A... soutient que sa fille, âgée de 9 ans à la date de la décision contestée, est exposée en cas de retour au Mali au risque d'une excision, ce qui a constitué la raison pour laquelle elle a fait quitter ce pays en 2013 à sa fille, alors âgée de quatre ans, pour la soustraire à une telle mutilation que sa belle-famille avait organisée. Il ressort des pièces du dossier que cette mutilation sexuelle est très largement répandue sur l'ensemble du territoire du Mali. Il n'est pas contesté que la fille de Mme A... appartient à l'ethnie senoufo dans laquelle les mutilations génitales constituent une norme sociale et que dans sa propre famille les jeunes filles sont excisées. Mme A... justifie elle-même avoir subi cette mutilation par la production d'un certificat médical. Ainsi, la fille de la requérante court des risques élevés de subir une excision en cas de retour au Mali. La mise à exécution de la décision fixant le Mali comme pays à destination duquel Mme A... pourrait être éloignée d'office est ainsi susceptible d'exposer sa fille au risque, soit de subir cette pratique au cas où elle accompagnerait sa mère au Mali, soit d'être séparée de sa mère avec laquelle elle vit sur le territoire national depuis l'année 2016. Il suit de là que Mme A... est fondée à soutenir que l'arrêté attaqué, en tant qu'il fixe le Mali comme pays d'éloignement, porte atteinte à l'intérêt supérieur de sa fille en méconnaissance des stipulations du § 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision par laquelle le préfet de Vaucluse a fixé le Mali comme pays à destination duquel elle devait être éloignée.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Si le présent arrêt fait obstacle à l'exécution de la mesure d'éloignement prise à l'encontre de Mme A... à destination du Mali, il n'implique pas, par lui-même, la délivrance d'un titre de séjour. Par suite, les conclusions de Mme A... tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un tel titre de séjour doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

11. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il n'y a toutefois pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme en application de ces dispositions, ni, en tout état de cause, de faire droit aux conclusions présentées par le préfet de Vaucluse sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : L'arrêté du 3 octobre 2018 du préfet de Vaucluse est annulé en tant qu'il fixe le Mali comme pays de destination.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par le préfet de Vaucluse sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.

Délibéré après l'audience du 5 septembre 2019, où siégeaient :

- Mme D..., présidente-assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme E..., première conseillère,

- M. Sanson, conseiller.

Lu en audience publique, le 19 septembre 2019.

2

N° 19MA00371


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA00371
Date de la décision : 19/09/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme JORDA-LECROQ
Rapporteur ?: Mme Karine JORDA-LECROQ
Rapporteur public ?: M. ARGOUD
Avocat(s) : CANETTI

Origine de la décision
Date de l'import : 26/09/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-09-19;19ma00371 ?
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