La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/09/2019 | FRANCE | N°18MA00744

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 16 septembre 2019, 18MA00744


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 135 448 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait du dysfonctionnement d'installations relevant du port militaire de Toulon.

Par un jugement n° 153187 du 15 décembre 2017, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 février et

le 27 septembre 2018, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour dans le dernier état d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 135 448 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait du dysfonctionnement d'installations relevant du port militaire de Toulon.

Par un jugement n° 153187 du 15 décembre 2017, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 février et le 27 septembre 2018, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 15 décembre 2017 du tribunal administratif de Toulon ;

2°) à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 142 247,58 euros, assortie des intérêts au taux légal ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée sans faute à son égard en sa qualité de tiers à un ouvrage public ;

- le lien de causalité entre les dysfonctionnements des installations relevant de la base navale de Toulon et les taux anormalement élevés de présence de la bactérie Escherichia coli ayant justifié deux interdictions temporaires de pêche et de ramassage des mollusques bivalves est établi ;

- le préjudice financier dont il demande l'indemnisation est établi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2018, la ministre des armées demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête présentée par M. A... ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise sur le préjudice financier invoqué.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés ;

- le préjudice financier dont M. A... demande réparation est manifestement surévalué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 23 décembre 2013, abrogé le 15 janvier 2014, puis par un arrêté du 16 juin 2014, abrogé le 17 juillet 2014, le préfet du Var a interdit la pêche, le ramassage, la commercialisation et la mise à la consommation humaine des mollusques bivalves filtreurs provenant de la baie du Lazaret pour les périodes comprises entre le 24 décembre 2013 et le 16 janvier 2014, d'une part, et entre le 17 juin et le 18 juillet 2014, d'autre part, en raison de taux de présence de la bactérie Escherichia coli supérieurs au seuil sanitaire réglementaire.

2. M. A..., qui exerce une activité de mytiliculteur à La Seyne-sur-Mer, impute les contaminations de la baie à deux incidents ayant affecté des stations de relevage du port militaire de Toulon. Il fait appel du jugement du 15 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'engagement de la responsabilité de l'Etat.

Sur la responsabilité de l'Etat :

En ce qui concerne le premier incident :

3. Une fuite d'une conduite de refoulement sur le site de la station de relevage des eaux usées de Milhaud, qui constitue un ouvrage public relevant du port militaire, est survenue le 8 décembre 2013. Elle a nécessité la mise en surverse de l'installation du 10 au 20 décembre 2013, à l'exception de la journée du 19 décembre. Les services techniques de la base navale ont réalisé des prélèvements les 20 et 26 décembre 2013, dont l'analyse a été confiée au laboratoire départemental du Var. Ces prélèvements ont révélé une augmentation importante de la concentration d'E. coli dans la rade de Toulon. La concentration sur le site de la baie du Lazaret, certes limitée par rapport aux sites de Milhaud, de Brégaillon et du quai Noël, était comprise entre 270 et 412 unités formant colonie (UFC) pour 100 ml d'eau de mer, alors qu'elle est inférieure à 15 unités en temps normal.

4. L'arrêté du préfet du Var du 23 décembre 2013 est fondé sur les résultats de prélèvements réalisés par l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) sur les mollusques de la baie du Lazaret le 20 décembre 2013 suite au déclenchement d'une alerte préventive après une forte pluviométrie, qui ont révélé une concentration de 16 000 unités pour 100 grammes de chair et de liquide intervalvaires (CLI), avant que la réduction de cette concentration ne conduise le préfet du Var à lever son interdiction le 15 janvier 2014.

5. Il ressort des analyses réalisées à l'initiative des services du ministère des armées que le dysfonctionnement de l'installation du site de Milhaud est à l'origine d'une contamination généralisée de la rade de Toulon par la bactérie E. coli. Si la ministre des armées avance en défense que la contamination de la zone de la baie du Lazaret pourrait également avoir pour origine le lessivage des sols par les fortes précipitations qui se sont abattues sur la région du 19 au 21 décembre 2013, elle n'apporte aucun élément de nature à l'établir. Dans les circonstances de l'espèce, du fait de la concomitance entre la période de dysfonctionnement de l'installation du site de Milhaud et la date de réalisation des prélèvements ayant justifié l'interdiction prononcée par le préfet du Var, le lien de causalité entre le dysfonctionnement de l'ouvrage public et le préjudice invoqué par M. A... en sa qualité de tiers à l'ouvrage, qui revêt un caractère anormal et spécial, doit être regardé comme établi, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif sur ce point. La responsabilité sans faute de l'Etat est donc engagée à ce titre.

En ce qui concerne le second incident :

6. Une panne électrique ayant affecté une pompe de la station principale de relevage des eaux usées sur le site de la darse de la fulminaterie en pyrotechnie sud, qui constitue également un ouvrage public relevant du port militaire, a entraîné la mise en surverse de l'installation pour une période comprise entre le 26 juin et le 1er juillet 2014. Les prélèvements réalisés et analysés les 3 et 15 juillet 2014 par le laboratoire d'analyse, de surveillance et d'expertise de la Marine (LASEM) ont révélé que la contamination par la bactérie E. Coli qui s'en est ensuivie avait été limitée à la darse de la fulminaterie. L'arrêté du préfet du Var du 16 juin 2014 fait suite à des prélèvements réalisés par l'IFREMER sur les mollusques de la baie du Lazaret les 3, 5 et 12 juin 2014, soit plusieurs semaines avant la survenance de ce second incident. Les résultats négatifs des prélèvements réalisés par l'IFREMER les 7 et 15 juillet 2014 confirment que ce dernier n'a pas affecté la baie du Lazaret.

7. Il suit de là que cette seconde contamination par la bactérie E. coli, qui a justifié l'interdiction prononcée par l'arrêté du préfet du Var du 16 juin 2014, n'a pas pour origine l'incident sur le site de la darse de la fulminaterie survenu entre le 26 juin et le 1er juillet 2014. Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif sur ce point, le lien de causalité entre le dysfonctionnement de l'ouvrage public et le préjudice invoqué par M. A... n'est pas établi. La responsabilité de l'Etat n'est donc pas engagée à ce titre.

Sur l'évaluation du préjudice :

8. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'étude réalisée par l'expert-comptable du requérant, à laquelle sont joints en annexe les extraits pertinents des documents comptables, que l'interdiction prononcée par le préfet du Var pour la période comprise entre le 24 décembre 2013 et le 16 janvier 2014 a entraîné une baisse du chiffre d'affaires de l'exploitation de M. A.... Le chiffre d'affaires réalisé précédemment en décembre 2012 et en janvier 2013 s'est élevé à 163 063,57 euros. L'activité de cette exploitation était en forte croissance, laissant envisager, en rapprochant non seulement le chiffre d'affaires réalisé par mois pour les années 2012 et 2013 comme le fait cet expert-comptable, mais également ceux des années 2013 et 2014, une augmentation d'environ 50 %. Le chiffre d'affaires attendu pour les mois de décembre 2013 et janvier 2014 doit ainsi être évalué à 244 595 euros, alors que le chiffre d'affaires réalisé s'est élevé à 110 967 euros. La perte de chiffre d'affaires pour cette période doit donc être évaluée à 133 628 euros, de sorte que le manque à gagner de M. A..., compte tenu d'un taux de marge brut non contesté de 38,69 %, doit être fixé à 51 701 euros.

9. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit utile d'ordonner une expertise que M. A... est seulement fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande indemnitaire tendant à obtenir réparation de son préjudice suite à la fuite d'une conduite de refoulement sur le site de la station de relevage des eaux usées de Milhaud. Il y a lieu de condamner l'Etat à lui verser la somme de 51 701 euros au titre du préjudice subi.

10. Il y a lieu, en outre, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros à M. A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon est annulé en tant qu'il a rejeté la demande indemnitaire de M. A... tendant à obtenir la réparation de son préjudice né d'une fuite d'une conduite de refoulement sur le site de la station de relevage des eaux usées de Milhaud.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser la somme de 51 701 euros à M. A....

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et à la ministre des armées.

Copie en sera adressée pour information au directeur départemental de la protection des populations du Var.

Délibéré après l'audience du 2 septembre 2019, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président assesseur,

- M. B..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 16 septembre 2019.

2

N° 18MA00744


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA00744
Date de la décision : 16/09/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-03-03 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics. Conditions de fonctionnement de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: M. Sylvain MERENNE
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : AARPI CLAMENCE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-09-16;18ma00744 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award