Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. M'A... E...a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2018 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de l'admettre au séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de destination et en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an assortie d'un signalement au système d'information Schengen (SIS II).
Par un jugement n° 1809707 du 8 avril 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 9 mai 2019, M. E..., représenté par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1809707 du 8 avril 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2018 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de l'admettre au séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de destination et en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an assortie d'un signalement au système d'information Schengen ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation en vue de la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trente jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour pour la période de réexamen de sa situation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) à titre subsidiaire, d'annuler la décision d'interdiction de retour sur le territoire français assortie d'une inscription au système d'information Schengen ;
6°) de mettre à la charge de l'État, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 3 000 euros à verser à Me D..., qui s'engage à renoncer à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- la décision lui refusant l'admission au séjour a méconnu les stipulations du 1° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié et est entachée d'erreur d'appréciation sur la continuité de sa présence depuis dix années ;
- la décision lui refusant l'admission au séjour a méconnu les stipulations du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'une année présente un caractère disproportionné au regard de son intégration à la société française.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juin 2019, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 juin 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leur famille modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, et notamment ses articles 40 et 109 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Silvy, premier conseiller,
- et les observations de Me C..., substituant Me D..., représentant M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. M'A...E..., ressortissant algérien né le 27 janvier 1971, relève appel du jugement du 8 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 24 octobre 2018 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français, en fixant le pays à destination duquel il pourra être éloigné.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / 1) au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant ; (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier et des écritures du préfet des Bouches-du-Rhône que M. E... s'est présenté aux guichets de la préfecture le 26 février 2008 afin de solliciter la délivrance d'un titre de séjour en raison de son état de santé et qu'il a été muni à cette occasion d'une attestation de dépôt valable jusqu'au 25 mai 2008 prorogée en mai 2008, août 2008 et novembre 2008. Sont également produits au titre de l'année 2008 plusieurs ordonnances médicales émanant de structures hospitalières prescrivant la délivrance de médicaments qui comportent en surcharge l'horodatage du système Sésam Vitale et l'indication de l'identité du malade lors de leur traitement par des officines pharmaceutiques. Ces éléments probants établissent, par suite, la résidence habituelle en France de M. E... au cours de l'année 2008. Il ressort également des pièces du dossier que M. E... justifie des soins reçus en France aux mois de mars, avril, mai et juin 2009 par la production d'un relevé détaillé de remboursements de l'assurance maladie, d'une hospitalisation dans un service de psychiatrie à Marseille du 24 juillet 2009 au 18 août 2009 et d'un compte-rendu d'un examen de son genou gauche en septembre 2009. Ces pièces probantes, par leur nombre et leur cohérence, sont de nature à établir une présence continue du requérant sur le territoire français au cours de l'année 2009. Au titre de l'année 2010, M. E... produit une attestation de dépôt de demande de titre de séjour du 18 juin 2010 valant autorisation provisoire de séjour et prorogée jusqu'au 15 décembre 2010, un relevé détaillé de remboursements de soins médicaux par l'Assurance maladie faisant apparaître des soins au cours du mois de juin de cette année et des ordonnances émanant du centre hospitalier de Martigues en juin, juillet, novembre et décembre 2010. Ces pièces probantes sont également de nature à établir une présence continue du requérant sur le territoire français au cours de l'année 2010. Au titre de l'année 2011, M. E... produit des ordonnances émises par des médecins du service de psychiatrie du centre hospitalier de Martigues au cours des mois de février, mars et novembre, des consultations à l'hôpital Nord de Marseille aux mois d'octobre et novembre, un compte-rendu d'examens biologiques du mois de novembre et un relevé de remboursements de l'Assurance maladie faisant également apparaître la prise en charge de soins au cours des mois de septembre et d'octobre. Ces pièces probantes, par leur nombre et leur cohérence, sont de nature à établir une présence continue du requérant sur le territoire français au cours de l'année 2011. Pour l'année 2012, le requérant produit une ordonnance émise par un médecin du service de psychiatrie du centre hospitalier de Martigues au mois de janvier qui comporte en surcharge l'horodatage du système Sésam Vitale et l'indication de l'identité du malade, une fiche de circulation établissant une prise en charge en consultation externe à l'hôpital Nord de Marseille en janvier 2012, un document établissant une démarche auprès des services consulaires d'Algérie à Marseille au cours du même mois, sa carte attestant de son admission à l'aide médicale d'État de février 2012 à février 2013 et un relevé de remboursement de l'Assurance maladie établissant des dépenses de santé au cours des mois de juin, juillet, août, septembre et octobre 2012. Ces pièces probantes, par leur nombre et leur cohérence, sont de nature à établir une présence continue du requérant sur le territoire français au cours de l'année 2012. Pour l'année 2013, M. E... produit sa carte attestant de son admission à l'aide médicale d'État de janvier 2013 à janvier 2014, une fiche de circulation pour une prise en charge en milieu hospitalier en janvier 2013 à l'hôpital Nord de Marseille, plusieurs ordonnances médicales au cours du premier semestre 2013 et un compte-rendu d'examen médical en juin 2013 ainsi qu'une facture de souscription d'un abonnement auprès de l'entreprise EDF du 27 décembre 2013. Ces documents probants sont de nature à établir sa présence habituelle sur le territoire français au cours de l'année 2013.
4. Il ressort également des pièces du dossier et il n'est pas utilement contesté par le préfet des Bouches-du-Rhône que M. E... produit, pour justifier de ce qu'il résidait habituellement sur le territoire français au cours des années 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018 des relevés bancaires mouvementés, des pièces médicales probantes, des factures relatives à son nouveau domicile sur la commune de Saint-Victoret et des correspondances administratives de nature à établir une présence effective.
5. Il résulte de ce qui précède que M. E... établit, à la date de la décision attaquée, résider habituellement en France depuis plus de dix années. Il est fondé, par suite, à soutenir que le préfet des Bouches-du-Rhône a méconnu les stipulations précitées du 1° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié en lui refusant l'admission au séjour.
6. Il s'en suit, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 24 octobre 2018 lui refusant un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de l'article 40 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, applicable à la date du présent arrêt : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
8. Eu égard au motif d'annulation retenu et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux y feraient obstacle, le présent arrêt implique nécessairement la délivrance à M. E... d'un certificat de résidence algérien d'un an portant la mention " vie privée et familiale ". Si les conclusions aux fins d'injonction de ce dernier ne portent que sur la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour pour la durée du réexamen de sa situation par l'autorité préfectorale, il y a lieu pour la Cour, en application du second alinéa précité de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, et au regard des circonstances d'espèce de prescrire au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer ce titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Aux termes de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 : " (...) En toute matière, l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale peut demander au juge de condamner la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à lui payer une somme au titre des honoraires et frais que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Il peut, en cas de condamnation, renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État et poursuivre le recouvrement à son profit de la somme allouée par le juge. / Si le juge fait droit à sa demande, l'avocat dispose d'un délai de douze mois (...) pour recouvrer la somme qui lui est allouée. S'il recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'État. S'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive. (...) ".
10. Le conseil de M. E... présente des conclusions sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la décision du bureau d'aide juridictionnelle susvisée du 21 juin 2019, celui-ci a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans ces conditions, de mettre à la charge de l'État le versement à Me B... D...d'une somme de 1 500 euros, sous réserve de sa renonciation à percevoir l'indemnité correspondant à la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 8 avril 2019 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 24 octobre 2018 du préfet des Bouches-du-Rhône est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à M. E... un certificat de résidence algérien d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Me D... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. M'A...E..., à Me B... D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2019, où siégeaient :
- M. Poujade, président de chambre,
- M. Portail, président assesseur,
- M. Silvy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 juillet 2019.
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N° 19MA02251
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