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16/05/2019 | FRANCE | N°18MA00530

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 16 mai 2019, 18MA00530


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A...D...et la SCI D...et Fils ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la communauté d'agglomération du pays ajaccien à verser les sommes de 89 440 euros à M. et Mme D...et de 57 238 euros à la SCI D...et Fils en réparation des préjudices résultant de l'implantation irrégulière de canalisations enterrées d'eaux usées sur leurs propriétés.

Par un jugement n° 1601149 du 7 décembre 2017, le tribunal administratif de Bastia a condamné la communauté d'agglomératio

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A...D...et la SCI D...et Fils ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la communauté d'agglomération du pays ajaccien à verser les sommes de 89 440 euros à M. et Mme D...et de 57 238 euros à la SCI D...et Fils en réparation des préjudices résultant de l'implantation irrégulière de canalisations enterrées d'eaux usées sur leurs propriétés.

Par un jugement n° 1601149 du 7 décembre 2017, le tribunal administratif de Bastia a condamné la communauté d'agglomération du pays ajaccien à verser à M. et Mme D... et à la SCI D...et Fils la somme de 5 000 euros tous intérêts confondus.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 février 2018 et le 24 janvier 2019, M. et Mme A...D...et la SCI D...et Fils, représentés par MeB..., demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement du 7 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Bastia a limité à la somme de 5 000 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la communauté d'agglomération du pays ajaccien en réparation des préjudices subis ;

2°) de porter aux sommes de 89 440 et 29 760 euros le montant de l'indemnité due respectivement à M. et Mme D...et à la SCI D...et fils, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 28 juillet 2016 et la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du pays ajaccien la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens.

Ils soutiennent que :

- le jugement qui fixe une indemnité globale tous intérêts confondus et ne précise pas les modalités de calcul du préjudice est insuffisant motivé ;

- l'acte d'acquisition, le certificat d'urbanisme et l'arrêté portant délivrance de permis de construire ne mentionnent pas l'existence d'une servitude de passage de canalisations enterrées ;

- le passage de canalisations n'a pas été autorisé ;

- l'implantation des canalisations sur les parcelles dont ils sont propriétaires est constitutive d'une emprise irrégulière ;

- leurs créances ne sont pas prescrites ;

- la perte de valeur vénale des parcelles doit être indemnisée sans abattement ;

- la somme allouée au titre des troubles de jouissance est insuffisante.

- l'indemnité allouée ne peut pas être forfaitaire ni commune aux propriétaires des deux parcelles.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2018, la communauté d'agglomération du pays ajaccien, représentée par la SCP Sartorio, Lonqueue, Sagalovitsch, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident :

- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 décembre 2017 ;

- de rejeter la demande présentée par M. et Mme D...et la SCI D...et Fils devant le tribunal administratif de Bastia ;

3°) de mettre à la charge de M. et Mme D...et de la SCI D...et Fils la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement n'est pas insuffisamment motivé ;

- les précédents propriétaires ont autorisé le passage des canalisations enterrées ;

- la servitude de passage est opposable à l'acquéreur dès lors qu'il en connaissait l'existence au moment de l'achat du terrain ;

- le déplacement des canalisations aux mois de février 2010 et de juin 2013 a été réalisé à la demande des requérants et avec leur accord ;

- les créances indemnitaires sont frappées par la prescription quadriennale ;

- en l'absence de dépossession définitive, la perte de valeur vénale du terrain n'est pas indemnisable ;

- les indemnités sollicitées au titre de l'emprise irrégulière sont injustifiées ;

- les requérants ne subissent pas de trouble de jouissance ;

- le retard dans le démarrage des chantiers de construction n'est pas en lien avec la durée des travaux de déplacement des réseaux ;

- la perte de loyers n'est pas établie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bourjade-Mascarenhas,

- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., représentant M. et Mme D...et la SCI D...et Fils et de MeC..., représentant la communauté d'agglomération du pays ajaccien.

Considérant ce qui suit :

Sur la régularité du jugement :

1. Le jugement attaqué, après avoir écarté la possibilité d'une indemnisation de la valeur vénale du terrain en l'absence d'extinction du droit de propriété, évalue le préjudice résultant de l'atteinte au libre exercice du droit de propriété des requérants à la somme globale de 5 000 euros tous intérêts confondus. En procédant à une estimation forfaitaire du préjudice subi du fait de l'emprise irrégulière, les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. M. et Mme D...sont propriétaires depuis le 30 juillet 1993 d'une parcelle de terrain située à Afa sur laquelle est édifiée une maison d'habitation. Les travaux de terrassement qu'ils ont réalisés en 2010 en vue de construire un garage en vertu d'un permis de construire obtenu le 8 septembre 2009 ont révélé la présence sur ce terrain d'une canalisation du réseau public d'eaux usées. Les époux D...ont cédé à la SCI D...et Fils une partie de leur terrain sur laquelle a été aussi retrouvée à la fin de l'année 2012 lors de travaux une canalisation enterrée. La communauté d'agglomération du pays ajaccien a déplacé une partie des canalisations qui reste toutefois enterrée dans le sous-sol de la propriété des requérants.

En ce qui concerne l'existence d'une emprise irrégulière :

3. L'enfouissement de canalisations publiques dans le sous-sol d'une propriété privée, qui dépossède le propriétaire de la parcelle d'éléments de son droit de propriété, ne peut être régulièrement réalisé qu'après, soit l'accomplissement d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, soit l'institution de servitudes dans les conditions prévues aux articles L. 152-1, L. 152-2 et R. 152-1 à R. 152-15 du code rural et de la pêche maritime, soit l'intervention d'un accord amiable avec le propriétaire.

4. La communauté d'agglomération du pays ajaccien ne justifie de l'accomplissement d'aucune procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique ni de l'institution d'une servitude. Si elle soutient que les propriétaires initiaux de la parcelle, acquise par la suite par les actuels propriétaires, avaient autorisé la pose des canalisations litigieuses, elle n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de cette allégation. La présence des requérants lors des travaux de déplacement des canalisations réalisés au mois de février 2010 et au mois de juin 2013 ne saurait valoir accord de leur part quant à l'implantation précise de l'ouvrage public. Dans ces conditions, la communauté d'agglomération du pays ajaccien ne justifiant d'aucun titre autorisant l'enfouissement des canalisations du réseau d'assainissement collectif dans le sous-sol des parcelles cadastrées section B n° 3059 et 3060, c'est à bon droit que le tribunal administratif a jugé que l'implantation de l'ouvrage public était constitutive d'une emprise irrégulière.

En ce qui concerne l'exception de prescription quadriennale opposée par la communauté d'agglomération du pays ajaccien :

5. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ".

6. Les droits de créance invoqués par la victime d'un dommage causés par un fait de l'administration en vue d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de l'article 1er précité de la loi du 31 décembre 1968, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés, et à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine du dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. En revanche, la circonstance que le dommage, et notamment les troubles subis dans les conditions d'existence, présente un caractère continu est, par elle-même, sans incidence sur la date à partir de laquelle a couru le délai de la prescription quadriennale.

7. Si les consorts D...ont eu connaissance de la présence d'une canalisation souterraine sur leur propriété en 2009 et la SCI D...en 2012, ce n'est qu'à la réception du courrier du 29 octobre 2015 de la communauté d'agglomération du pays ajaccien auquel était annexé un plan qu'ils ont été informés de la consistance exacte de l'emprise de l'ensemble des canalisations. La créance invoquée par les requérants ayant pour origine l'emprise irrégulière de ces ouvrages publics sur leurs parcelles, le délai prévu par les dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 n'a pu courir qu'à compter du 1er janvier 2016 et n'était pas expiré lorsqu'ils ont adressé à la collectivité publique le 25 juillet 2016 une demande préalable. Par suite, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, l'exception de prescription opposée par la communauté d'agglomération du pays ajaccien doit être écartée.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

8. Si le droit à l'indemnisation des conséquences dommageables d'une emprise irrégulière d'un ouvrage public n'est pas subordonné au caractère définitif de la privation de propriété qui en résulte, l'indemnisation du préjudice d'atteinte au libre exercice du droit de propriété, qui peut être regardée comme l'allocation d'une indemnité d'immobilisation, ne saurait toutefois correspondre au coût de la valeur vénale du terrain, coût qui serait indemnisé, pour sa part, en cas d'expropriation.

9. La présence des canalisations souterraines est à l'origine de multiples contraintes imposées aux propriétaires liées à la surveillance, à l'entretien et à la réparation des réseaux et à la réduction des possibilités d'utilisation des parcelles en raison d'une interdiction de construire, planter et entreposer dans l'emprise de la servitude. Le préjudice subi par les consorts D...et par la SCI D...et Fils est donc constitué non par une perte de valeur vénale des terrains, qui revêtirait un caractère permanent, comme l'ont estimé à bon droit les premiers juges, mais par une atteinte au libre exercice de leur droit de propriété.

10. Ce préjudice ne peut pas être estimé globalement pour l'ensemble des requérants dès lors qu'il concerne deux parcelles appartenant à des propriétaires distincts et qu'il est relatif à une durée d'indemnisation différente. Ce préjudice doit être fixé en fonction notamment de la durée de la période indemnisable, des dimensions de l'emprise irrégulière et de l'emplacement de celle-ci sur les parcelles concernées. Il sera fait une juste évaluation de l'atteinte au libre exercice du droit de propriété jusqu'à la date de l'arrêt en accordant à M. et Mme D... dans le sous-sol de la parcelle desquels ont été implantés 120 mètres linéaires de canalisation la somme de 22 000 euros tous intérêts confondus pour la période courant depuis 2010 et à la SCI D...et Fils dont la parcelle est traversée par 30 mètres linéaires de réseaux enterrés la somme de 3 800 euros tous intérêts confondus depuis la fin de l'année 2012.

11. Le relevé par un géomètre-expert de l'emplacement du réseau public d'assainissement collectif sur les parcelles des requérants, postérieurement au plan établi en 2015 par la communauté d'agglomération du pays ajaccien et mentionné au point 7, n'est pas utile à la solution du litige. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à demander l'indemnisation des frais d'un montant de 432 euros qu'ils ont exposés à cette occasion.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D...et la SCI D...et Fils sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a limité l'indemnité mise à la charge de la communauté d'agglomération du pays ajaccien à la somme globale de 5 000 euros. Par ailleurs, la communauté d'agglomération du pays ajaccien n'est pas fondée, par la voie de l'appel incident, à demander l'annulation de ce jugement.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme D... et de la SCI D...et Fils, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que la communauté d'agglomération du pays ajaccien demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du pays ajaccien une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme D... et par la SCI D...et Fils.

D É C I D E :

Article 1er : La somme globale de 5 000 euros que la communauté d'agglomération du pays ajaccien a été condamnée à verser à M. et Mme D...et à la SCI D...et Fils par le jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 décembre 2017 est portée aux sommes de 22 000 euros pour M. et Mme D... et de 3 800 euros pour la SCI D...et Fils, tous intérêts échus à la date du présent arrêt.

Article 2 : Le jugement du 7 décembre 2017 du tribunal administratif de Bastia est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme D...et de la SCI D...et Fils est rejeté.

Article 4 : La communauté d'agglomération du pays ajaccien versera la somme globale de 2 000 euros à M. et Mme D...et à la SCI D...et Fils au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de la communauté d'agglomération du pays ajaccien présentées par la voie de l'appel incident et celles qu'elle a présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A...D..., à la SCI D...et Fils et à la communauté d'agglomération du pays ajaccien.

Délibéré après l'audience du 2 mai 2019 où siégeaient :

- M. Vanhullebus, président de chambre,

- Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure,

- Mme Bourjade-Mascarenhas, première conseillère.

Lu en audience publique, le 16 mai 2019.

4

N° 18MA00530


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18MA00530
Date de la décision : 16/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

26-04-04-01 Droits civils et individuels. Droit de propriété. Actes des autorités administratives concernant les biens privés. Voie de fait et emprise irrégulière.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: Mme Agnes BOURJADE
Rapporteur public ?: M. ARGOUD
Avocat(s) : SEVENO

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-05-16;18ma00530 ?
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