La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/05/2019 | FRANCE | N°17MA02016

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 16 mai 2019, 17MA02016


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...I..., Mme J...I..., M. K...I...et Mme E...I...ont demandé au tribunal administratif de Nice de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des infections nosocomiales, des affections iatrogènes et des accidents médicaux (ONIAM) une somme de 856 887,62 euros en réparation, au titre de la solidarité nationale, des préjudices estimés subis par M. C...I...à la suite de l'intervention chirurgicale du 28 novembre 2012 et, à titre subsidiaire, de condamner solidairement le centre hospitalier d

e Cannes et le docteur D...B...à lui verser la somme totale de 272 066,2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...I..., Mme J...I..., M. K...I...et Mme E...I...ont demandé au tribunal administratif de Nice de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des infections nosocomiales, des affections iatrogènes et des accidents médicaux (ONIAM) une somme de 856 887,62 euros en réparation, au titre de la solidarité nationale, des préjudices estimés subis par M. C...I...à la suite de l'intervention chirurgicale du 28 novembre 2012 et, à titre subsidiaire, de condamner solidairement le centre hospitalier de Cannes et le docteur D...B...à lui verser la somme totale de 272 066,28 euros en réparation de ces préjudices, de condamner solidairement le centre hospitalier et le docteur B...à indemniser Mme J...I..., M. K... I... et Mme E...I...des préjudices qu'ils estiment avoir subis, à hauteur des sommes de 363 698,93 euros au profit de Mme J...I..., et de 20 000 euros chacun au profit de M. K...I...et de Mme E...I...et de prescrire une nouvelle expertise.

La caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes a demandé la condamnation solidaire du centre hospitalier de Cannes et du docteur B...à lui verser, d'une part, la somme de 136 397,03 euros au titre de ses débours et, d'autre part, la somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un jugement n° 1501412 du 28 février 2017, le tribunal administratif de Nice a mis hors de cause le docteur B...et l'ONIAM, a rejeté ces demandes, a mis les frais d'expertise à la charge définitive du centre hospitalier de Cannes et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 mai 2017, M. C...I..., Mme J... I..., M. K...I...et Mme E...I..., représentés par Me A..., demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 28 février 2017 en tant qu'il a rejeté leurs demandes indemnitaires ;

2°) de faire droit à ces demandes.

Ils soutiennent que :

- le jugement est insuffisamment motivé en ce qui concerne l'absence de recours à une nouvelle expertise ;

- le tribunal n'a pas pris en compte le risque de survenance d'un accident vasculaire cérébral à l'occasion de l'intervention chirurgicale réalisée ;

- la condition d'anormalité nécessaire à la mise en jeu de la solidarité nationale est remplie, dès lors que le risque de survenue de l'accident dont a été victime M. C...I...n'était pas supérieur à 5 %.

Par deux mémoires, enregistrés le 5 juillet 2017 et le 4 mai 2018, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Alpes-Maritimes, représentée par MeH..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 28 février 2017 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Cannes à lui verser la somme de 136 397,03 euros ainsi que les intérêts au taux légal à compter du jour de sa demande, et la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Cannes une somme de 500 euros pour la première instance, et une somme de 2 000 euros pour l'instance d'appel, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- elle fait sienne l'argumentation de la requête ;

- M. I...n'a pas été informé des risques inhérents à l'intervention ;

- elle justifie des frais exposés à la suite de l'AVC de M.I....

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2018, le centre hospitalier de Cannes, représenté par MeG..., conclut au rejet de la requête et des conclusions de la CPAM des Alpes-Maritimes.

Il soutient que les moyens soulevés par les consorts I...ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mai 2018, l'Office national d'indemnisation des infections nosocomiales, des affections iatrogènes et des accidents médicaux (ONIAM) représenté par MeF..., conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable à défaut de conclusions chiffrées ;

- les moyens soulevés par les consorts I...ne sont pas fondés.

Un mémoire présenté pour les consorts I...a été enregistré le 1er mai 2019 postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Jorda-Lecroq,

- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,

- et les observations de Me A...représentant les consortsI....

Considérant ce qui suit :

Sur la régularité du jugement :

1. Les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement concernant la demande d'expertise présentée par les consorts I...à titre subsidiaire en indiquant mettre l'ONIAM hors de cause sans qu'il y ait lieu de prescrire une nouvelle expertise.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier de Cannes :

2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (...) / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. / (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ". Un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que l'existence d'une perte de chance peut être niée.

3. La CPAM soutient que M. I...n'a pas été informé des risques inhérents à l'intervention. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le tribunal administratif de Nice le 26 juin 2013, que l'intéressé présentait en juin 2012 une sténose carotidienne gauche développée à 70 %, laquelle s'est aggravée pour atteindre au mois de novembre 2012 un développement à hauteur de 90 %. En l'absence d'intervention chirurgicale, l'état de M. I...aurait progressivement évolué vers une occlusion complète de la carotide gauche ainsi que des complications neurologiques graves. En cas de sténose carotidienne asymptomatique supérieure à 60 % telle que celle présentée par l'intéressé, la chirurgie carotidienne permet de réduire le risque de survenue d'un accident vasculaire cérébral (AVC) à cinq ans de 50 % par rapport à l'évolution naturelle avec simple traitement médical. Compte tenu du degré d'obstruction du diamètre de l'artère carotidienne de 90 % présenté par M.I..., l'intervention chirurgicale qui a été pratiquée le 28 novembre 2012 était, dans son cas, impérieusement requise, en sorte qu'il ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté la responsabilité du centre hospitalier de Cannes pour défaut d'information.

En ce qui concerne l'obligation de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale :

4. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire ". L'article D. 1142-1 du même code définit le seuil de gravité prévu par ces dispositions législatives.

5. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

6. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise judiciaire, et il n'est pas contesté, qu'ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges, eu égard à l'état initial de M.I..., caractérisé par une sténose carotidienne gauche développée à 90 %, qui aurait progressivement évolué vers une occlusion complète de la carotide ainsi que des complications neurologiques graves ainsi que cela a été exposé au point 3, l'intervention chirurgicale qu'il a subie le 28 novembre 2012 n'a pas entraîné de conséquences notablement plus graves que celles auxquelles il était exposé en l'absence de traitement chirurgical.

7. D'autre part, s'agissant de la fréquence de réalisation du risque de survenance d'un AVC au cours de l'intervention chirurgicale, l'étude médicale critique du 6 août 2014 produite en première instance tant par les requérants que par le centre hospitalier de Cannes dont ont fait état les premiers juges analyse les risques d'AVC encourus par les patients présentant, comme c'était le cas de M.I..., une sténose significative et ulcérée, opérés (4 à 7 %) et non opérés (19 à 28 %). Une telle appréciation des bénéfices de l'acte chirurgical par rapport à une abstention opératoire implique nécessairement la prise en compte, pour les patients opérés, du risque auquel est exposé le patient du fait de l'intervention, contrairement à ce que soutiennent les requérants. Par ailleurs, il résulte encore de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, qu'en cas de sténose carotidienne asymptomatique supérieure à 60 %, le risque opératoire inhérent à l'intervention chirurgicale de désobstruction de la carotide est connu et de l'ordre de 3 à 5 %. Dans le cas de M.I..., qui présentait, ainsi que cela a été exposé aux points 3 et 6, une sténose carotidienne développée à 90 %, l'intéressé se trouvait, du fait de l'intervention chirurgicale pratiquée, particulièrement exposé à la survenance d'un AVC au cours de cette intervention et une telle probabilité ne peut être regardée comme constituant une probabilité faible de nature à justifier la mise en oeuvre de la solidarité nationale. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que les conséquences dommageables qui ont résulté de cette complication ne sont pas anormales au regard de l'état de santé initial de M. I...comme de l'évolution prévisible de celui-ci et ont mis hors de cause l'ONIAM.

8. Il résulte de ce qui précède que les consorts I...et la CPAM des Alpes-Maritimes ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes. Les conclusions de la CPAM des Alpes-Maritimes présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, en conséquence, être également rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête des consorts I...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la CPAM des Alpes-Maritimes, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...I..., à Mme J... I..., à M. K...I..., à Mme E...I..., au centre hospitalier de Cannes, à l'Office national d'indemnisation des infections nosocomiales, des affections iatrogènes et des accidents médicaux, à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes et à la caisse primaire d'assurance maladie du Var.

Délibéré après l'audience du 2 mai 2019, où siégeaient :

- M. Vanhullebus, président de chambre,

- Mme Jorda-Lecroq, présidente assesseure,

- MmeL..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 16 mai 2019.

2

N° 17MA02016


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17MA02016
Date de la décision : 16/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité sans faute. Actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. VANHULLEBUS
Rapporteur ?: Mme Karine JORDA-LECROQ
Rapporteur public ?: M. ARGOUD
Avocat(s) : DUVAL

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-05-16;17ma02016 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award